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Les causes déterminant l’aménagement territorial relèvent du climat, de la géographie, des interactions des écosystèmes et de l’activité humaine, elle-même dépendante de facteurs techniques, socio-culturels ou politiques. L’ère de l’étalement urbain est ainsi indissociable de l’agriculture intensive, du libre-échange, de la mobilité facile, tous intrinsèquement liés à l’abondance énergétique. Mais l’aménagement territorial relève également de choix politiques individuels et collectifs aux impacts immenses. Il est ainsi urgent d’appliquer les décisions visant à adapter nos territoires et habitudes afin de ne pas subir les inéluctables aléas relevant du dérèglement climatique.
Cette adaptation – devant accompagner les actions d’atténuation – doit prendre la forme d’interventions opérationnelles immédiates massives et d’une planification ambitieuse et structurée pour une meilleure acceptation des changements. Cette planification se révèle complexe du fait de la multiplication et standardisation des documents, d’enjeux de gouvernance et d’échelle et d’une normativité inadaptée via un traitement descendant et insuffisamment transversal des problématiques. Élus, techniciens et urbanistes disposent néanmoins de leviers d’intervention pour transformer la planification autour des enjeux climatiques.
Réduire drastiquement l’artificialisation des sols est une nécessité absolue, chaque espace artificialisé, qu’importe la nature ou labellisation du projet, contribuant au dérèglement climatique. Pour mettre en œuvre le ZAN[1], il est indispensable de favoriser mixité fonctionnelle, densification et création de polarités autour d’infrastructures de transport collectif et d’un réseau de liaisons douces encourageant l’immobilité afin de retrouver l’esprit « village » autour d’activités relocalisées et de sociabilité. Cela implique l’harmonisation entre programmations, usages et bâtis, le réinvestissement des dents creuses, la multifonctionnalité des espaces et l’optimisation du temps d’usage.
Il convient également d’encourager l’investissement dans l’existant via des autorisations de dépassement des règles de gabarits/densité et le réinvestissement de 3 millions de logements vacants. Divers leviers (appels à projets, ORT[2], CRTE[3], PTCE[4], ELENA[5], taux différenciés de taxe d’aménagement…) sont à la disposition des collectivités pour aborder ces enjeux. Soulignons un problème d’accès à des données stratégiques (types de revêtements, pleine terre, cadastre de zones perméables) rendant difficile l’utilisation d’indicateurs précieux comme la déclinaison de coefficients d’emprise au sol et de biotope dans les unités foncières. Le référencement de ces éléments et l’adaptation des outils réglementaires et juridiques sont des objectifs prioritaires.
Deux enjeux s’offrent aux documents d’urbanisme pour impulser la sobriété. D’une part, la recherche d’un besoin moindre, d’une circularité des ressources et un questionnement sur leur disponibilité et leur (re)localisation, d’autre part, la hiérarchisation des valeurs définissant un individu/une société heureuse.
Les traductions réglementaires passent par un usage moindre des matériaux de construction, une sélection plus qualitative que le tout béton, la conception de centralités garantissant diversification et multiplication d’usages, la restructuration des polarités pour favoriser cohésion sociale et activités sobres en ressource et en déplacement. Un usage énergétique moindre via la réduction des surfaces allouées à chaque habitant est aussi à étudier - avec la réhabilitation des fonctions alors manquantes dans l’espace public - de même que l’alternative à l’automobile et l’essor de circuits courts. La sobriété impose d’analyser l’efficacité de l’usage des ressources : au-delà de considérer le besoin en énergie/matériaux, la planification doit questionner production, disponibilité et circularité du cycle de vie. La stratégie locale des filières de production ENR et de matériaux biosourcés va ainsi trouver sa place dans le document d’urbanisme. La sobriété est étroitement liée aux problématiques de l’artificialisation : il s’agit d’interroger notre usage de l’espace, « ressource » finie à préserver, non seulement pour l’être humain mais pour l’ensemble du vivant.
Face à l’effondrement de la biodiversité dont l’usage des sols et les activités anthropiques sont les principales causes, les documents d’urbanisme doivent pouvoir réinterroger notre culture utilitariste de la nature. Les TVB[6] et OAP[7] Biodiversité doivent renforcer les secteurs protégés en augmentant leur nombre et en y limitant drastiquement les activités humaines.
Il convient de maintenir/renforcer la qualité écologique des espaces dits naturels mais gérés par l’homme - agricoles, littoraux, forestiers, fluviaux, humides ou montagnards - qui constituent la majorité des écosystèmes métropolitains. Les documents d’urbanisme doivent assurer la préservation des haies, mares, bois, zones humides, glaciers ou cours d’eau et leur restauration en permettant d’une part la suppression des éléments de fragmentation des corridors écologiques et d’autre part les aménagements et travaux nécessaires.
Enfin, ils doivent favoriser la nature dans les espaces interstitiels du tissu urbain pour en faire des espaces moins fragmentant. Atténuer le réchauffement climatique limitera la pression sur la faune et la flore tandis que les recherches de sobriété et de moindre consommation foncière constituent des leviers complémentaires à la qualité des fonctionnalités écologiques.
Quatre problématiques se présentent à la planification urbaine pour traiter les bouleversements du cycle de l’eau. La première consiste à user sobrement de la ressource, les nouvelles conditions climatiques induisant à reconsidérer stock disponible, moyens de gestion et usages. Les documents d’urbanisme doivent prioriser les aménagements assurant cette sobriété car à même de renforcer le stockage naturel ou anthropique et restreindre ceux renforçant l’évaporation. Ils doivent participer à la réflexion sur l’usage de l’eau au sein des foyers en interrogeant les circuits en termes de ressources (eau potable/non-conventionnelle), de linéaire (rapprocher sources de chauffage et équipements de consommation) et de circularité du réseau (réemploi).
Il convient ensuite de renforcer l’infiltration. Alors que le réaménagement de son cycle a favorisé l’évacuation rapide de l’eau pour des raisons hygiénistes et économiques, l’évolution du régime de précipitation conduit à reconsidérer cette logique. Les documents d’urbanisme doivent faciliter l’infiltration notamment via la désimperméabilisation des sols, autoriser les travaux permettant un réseau hydrographique le plus naturel possible et restreindre les aménagements renforçant les débits et l’écoulement rapide vers les mers et océans. Il s’agit d’un levier majeur pour un stockage dans les masses souterraines répondant partiellement aux prélèvements nécessaires.
Améliorer qualitativement les eaux est le troisième enjeu. Si ralentir le cycle de l’eau dans un contexte de réchauffement global porte un risque sanitaire et de fonctionnalité écologique, un juste équilibre impose la réduction des facteurs de dégradation qualitative et un écoulement maintenu. Les documents d’urbanisme doivent protéger les ensembles paysagers et aménagements à même d’assurer cette qualité permettant de rouvrir des captages – à recenser et préserver - fermés pour cause de pollution et ainsi de répondre à un éventuel déficit en eau potable. Enfin, il est indispensable de prévenir les risques naturels, nombre de ceux-ci étant corrélés au cycle de l’eau. Les documents d’urbanisme doivent empêcher l’aménagement en zones à risques, urbanisées ou non. Dans les cas les plus extrêmes, il s’agit d’élaborer une véritable stratégie de repli.
L’application de ces mesures ne pourra se faire sans cohérence d’ensemble et la compréhension de la nécessité de ces changements. Il convient de remettre le récit au cœur de la prospective territoriale afin de définir un futur désirable sous le prisme de la sobriété et du rapport au vivant. Cela nécessite une vision d’ensemble des enjeux du climat et de la biodiversité, une étude approfondie des solutions potentielles, une législation adaptée et le courage politique pour prioriser les problématiques.
Une approche plus transversale dans la formation académique des acteurs territoriaux s’impose de fait, de même qu’une implication renforcée des citoyens. Les conventions citoyennes permettent la définition d’un récit commun, de partager la connaissance, de constituer un groupe de porteurs de parole voire d’ambassadeurs auprès du reste de la population et d’élaborer puis diffuser une vision à long terme pouvant servir de légitimation politique, leur résultant ne pouvant s’incarner que sous réserve d’une mise en cohérence avec le récit politique, ou en étant porté par celui-ci.
Cette politique d’aménagement dans un contexte climatique incertain nécessite un bouleversement idéologique généralisé, indispensable pour garantir un maximum de la stabilité qui nous sera enlevée par les évolutions climatiques. Seules 10 000 années de stabilité climatique et une abondance d’énergies fossiles bon marché ont permis l’avènement de la société actuelle. Le 21ème siècle marquant la fin ces deux conditions, il n’est guère d’alternative que de construire un autre modèle : nous ne sommes ni plus ni moins qu’à la fin d’un cycle.
Cet article reprend les grandes lignes de l'article de Yohan Gaillard & Florentin Fesnin publié ici : Ecrire le récit de l’aménagement du territoire selon le dérèglement climatique , Partie I
Notes
[1] ZAN : Zéro artificialisation nette
[3] CRTE : Contrat de relance et de transition écologique
[4] PTCE : Pôle territorial de coopération économique
[5] ELENA : Projet « Élaborons ensemble l'avenir »
[6] TVB : Trame verte et bleue
[7] OAP : Orientations d'Aménagement et de Programmation