Temps de lecture
7 min

Après une période de stagnation, on observe depuis quelques années une baisse de la consommation de produits labellisés bio. La demande n’est plus au rendez-vous et cela vient compliquer l’équilibre économique de la filière. Alors que l’Etat a soutenu le développement de l’offre, notamment via les aides à la conversion, puis les aides au maintien, qui ont depuis été supprimées, c’est à présent la demande qui marque le pas. L’inflation est une des causes de ce ralentissement mais ce n’est pas la seule. Le manque d’information sur ce qu’est le bio, les incompréhensions voire les malentendus sur son cahier des charges ont généré au mieux une perte de confiance, au pire du désintérêt. Comment aider la filière à passer cette crise, comment informer sur les co-bénéfices sanitaires, écologiques et économiques du bio ? Comment convaincre les agriculteurs installés en bio et ceux qui veulent se convertir que c’est une pratique d’avenir pour une agriculture durable ?

Un produit est considéré comme bio lorsqu’il est certifié par le label européen Eurofeuille ou par sa déclinaison française : le label AB. Ils attestent tous les deux que le produit agricole ou la denrée alimentaire a bénéficié d’un mode de production spécifique, répondant à un cahier des charges précis. Ce cahier des charges oblige à certaines pratiques telles que l’élevage en plein air, le respect du bien-être animal ou l’utilisation de semence bio, et en interdit d’autres notamment l’emploi de pesticides, d’OGM ou d’engrais de synthèse. Il n’y a pas différentes catégories de bio, mais un cahier des charges unique. Dans la mesure où il est labelisé, un produit bio offre les mêmes garanties quel que soit son lieu d’achat. Enfin, lorsqu’un producteur est certifié bio, il est contrôlé chaque année par des organismes agréés par l’Etat qui attestent qu’il répond à ces obligations, et cela dans la durée.

La présence du label permet aux consommateurs d’identifier en un coup d’œil les produits élaborés selon ces règles strictes. C’est donc une garantie pour le consommateur d’acheter un produit cultivé ou transformé selon certaines règles précises.

L’intérêt pour le bio répond à la montée des préoccupations environnementales et sanitaires des Français depuis une vingtaine d’années

Depuis quelques années, la prise de conscience des enjeux environnementaux s’est généralisée et l’alimentation n’y échappe pas. La question du changement climatique est devenue un sujet de préoccupation majeur. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à faire attention à l’impact écologique de leur alimentation :  consommer des produits bruts, de saison, limiter les emballages, trier nos déchets...Cette plus grande sensibilité aux questions environnementales s’est accompagnée pour certains d’une remise en cause de nos modes de production intensifs, qui ont permis d’atteindre des rendements inégalés, mais dont les conséquences négatives engendrées sur l’environnement sont aujourd’hui documentées, notamment sur la qualité des sols et des eaux.

Les Français sont également de plus en plus conscients de l’importance de bien se nourrir. Ils ont été sensibilisés par les campagnes de santé publique et les récentes avancées scientifiques sur l’impact sur la santé des pesticides ou des perturbateurs endocriniens. Les grandes crises sanitaires de ces dernières années ont également participé à cette attention plus forte portée à la qualité de nos assiettes. Ils sont désormais plus soucieux de la qualité de leur alimentation et de celle qu’ils donnent à leurs enfants. 

 Ces deux facteurs expliquent le fort développement du marché bio puisque la consommation a été multipliée par 3,5 en dix ans.  Aujourd’hui 15% des ménages consomment bio quotidiennement.

C’est pour cela que de nombreux agriculteurs se sont convertis et aujourd’hui la France est devenue leader en Europe de la production bio en surface. Poussés par des convictions écologiques, par un marché plus rémunérateur ou encore par des préoccupations sanitaires, de nombreux agriculteurs se convertissent à l’agriculture biologique. 13% d’entre eux sont aujourd’hui certifiés bio, soit 58000 exploitants, et la filière bio représente 200000 emplois directs (équivalents temps plein)[1].

Malheureusement après des années de croissance, le marché ralentit

Les premiers signes de ralentissement ont commencé en 2019. En 2021, les achats bio ont diminué de 1,3% en valeur. Cette tendance s’est confirmée et s’est même accentuée en 2022[2]. Ce ralentissement s’explique principalement pour quatre raisons :

  • Un déséquilibre entre l’offre et la demande :  A partir de 2014, la grande distribution s’est emparée du bio et les rayons de produits bio se sont densifiés. En parallèle, de nombreux magasins spécialisés ont ouvert et le marché s’est trouvé saturé, la consommation n’augmentant pas aussi rapidement que l’offre. Les distributeurs ont alors commencé à supprimer des références et à moins mettre en valeur le bio. En conséquence, l’offre a été réduite et cela a eu un impact sur les ventes.
  • Une concurrence accrue des produits locaux et des autres labels : Le succès du bio a amené d’autres acteurs à se positionner sur ce marché, en proposant à leur tour des produits locaux, sans nitrites, sans OGM, sans additifs, sans aromes artificiels, sans conservateurs…  Ces produits sont parfois moins chers.  Certains consommateurs ont fait des choix, quelquefois en défaveur du bio.
  • Un manque de compréhension de ce qu’est le label bio et sur ses garanties : L’arrivée du bio en grande surface a parfois perturbé la confiance de certains consommateurs qui ont mis en doute la qualité des produits proposés. C’est d’ailleurs dans les grandes surfaces, là où l’horizon de la démocratisation du bio semblait se dessiner mais où la concurrence sur les prix est la plus forte, que la baisse de la consommation était la plus importante en 2021 (baisse de 3,9% entre 2020 et 2021 et de 7,6 % entre juillet en fin aout 2022)., Perdus dans la jungle des labels et des certifications, les consommateurs accordent moins de valeur au bio et ne sont pas toujours conscients des bénéfices environnementaux de l’agriculture biologique. Un Français sur deux estime ne pas avoir assez d’informations sur ce que le bio garantit.
  • L’inflation : La hausse de prix des produits alimentaires est particulièrement forte, sur un an elle a atteint 12,1% en janvier 2023, et 9,3% pour les produits frais[3]. Cette hausse des prix a entrainé une baisse de la consommation des ménages. Toujours selon l’INSEE, entre novembre 2021 et novembre 2022, les dépenses de consommation des ménages liées à l’alimentation ont diminué de 7%, ce qui s’est répercuté également sur le bio. Les consommateurs, notamment les plus contraints, ont été obligés de faire des choix et donc de renoncer à certains types de produits.

 C’est donc une période de transition qui s’ouvre pour ce secteur qui a un fort potentiel.

Trouver des solutions pour le soutenir le temps que la crise de consommation se résolve

Il faut désormais arriver à mieux valoriser les nombreux bénéfices environnementaux, sanitaires et économiques de l’agriculture biologique. Par son cahier des charges exigeant qui exclut l’usage des OGM et qui limite le recours aux intrants, l’AB assure le maintien et l’amélioration de la fertilité des sols, conserve une plus grande biodiversité, limite la pollution des eaux et permet une plus forte résistance aux aléas climatiques. Les bénéfices sont également sanitaires. Les études épidémiologiques réalisées auprès de populations du secteur agricole mettent en évidence une relation significative entre les expositions aux pesticides et différentes pathologies (maladie de Parkinson, cancer de la prostate et certains cancers hématopoïétiques), dont certaines sont désormais reconnues comme maladies professionnelles. Des études ont également confirmé que les résidus de pesticides sont significativement moins présents dans les produits bio qu’en conventionnel. Les filières bio sont économiquement plus résilientes car moins sensibles à l’inflation que les filières conventionnelles puisque moins dépendantes des engrais azotés, et donc du gaz. De plus, elles bénéficient souvent de contrats de long terme qui leur assurent plus de stabilité financière et moins de sensibilité aux fluctuations des marchés.

Enfin, grâce au système de rotation pluriannuelle et à la plus grande diversité de cultures, l’agriculture bio est plus résiliente face aux phénomènes météorologiques extrêmes et aux aléas du climat.

Pour toutes ces raisons, l’agriculture biologique doit continuer à se développer. Alors que l’agriculture fait face à un défi démographique, avec plus de la moitié des responsables d’exploitation qui vont transmettre leur ferme d’ici 2030, il faut donner envie aux futurs agriculteurs de s’engager dans cette pratique et ainsi faire prospérer les efforts humains et financiers engagés par leurs prédécesseurs. Les aspirants agriculteurs, qui sont cruciaux pour remplacer ceux qui partent à la retraite, veulent s'installer en bio. Il faut donc les accompagner, les encourager et ainsi contribuer à l'attractivité du métier agricole.  

Un travail de sensibilisation et d’information est également primordial pour faire comprendre aux consommateurs ce qu’est le label AB et en en quoi il se différencie des nombreux autres labels existants. Ce travail doit être accompagné d’une réflexion pour identifier de futurs débouchés et des dispositifs complémentaires pour permettre à celles et ceux qui agissent pour la biodiversité et l’amélioration de la qualité des sols d’être rémunérés pour leurs actions.

L’État, ainsi que l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur, ne doivent pas relâcher leurs efforts au moment où le secteur connaît des difficultés face à une baisse inédite de la demande.  Terra Nova présente dans son rapport « Le bio en baisse : simple ralentissement ou véritable décrochage ? » une vingtaine de propositions pour faire connaître et reconnaitre le bio, améliorer la structuration de la filière, assurer des revenus aux producteurs, poursuivre la démocratisation de sa consommation. L’objectif poursuivi est de faire en sorte que ce ralentissement de la consommation ne vienne pas compromettre les efforts engagés pour accélérer la transition écologique de l’agriculture.

 

Aller plus loin :

 

La Caisse des Dépôts soutient les travaux de Terra Nova, think tank progressiste indépendant qui produit et diffuse des solutions politiques innovantes en France et en Europe.

 

[1] Chiffres agence bio juin 2022 : Les chiffres clés - Agence Bio

[2] Les chiffres officiels seront publiés lors du salon de l’agriculture 2023 par l’agence bio.