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La nouvelle politique commerciale des Etats-Unis s’inscrit dans une logique de coercition. En s’appuyant sur l’utilisation des droits de douane comme levier de pression, cette stratégie vise à restreindre l’accès au marché américain, particulièrement pour les pays dépendants de leurs exportations vers les Etats-Unis. Examens des implications de cette politique tant pour l’économie américaine que pour l’Europe avec Antoine Bouët, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et professeur d’économie à l'Université de Bordeaux.

Quelles sont les grandes caractéristiques de cette nouvelle politique ?

La nouvelle politique commerciale des États-Unis s’inscrit dans une logique de coercition, s'appuyant largement sur l'utilisation des droits de douane comme moyen de pression sur les partenaires commerciaux. Si Donald Trump avait amorcé cette approche lors de son premier mandat, l'administration Biden ne l’a pas fondamentalement remise en question.

L’objectif est clair : menacer d’imposer des droits de douane afin de restreindre l’accès au marché américain, qui est considérable. Cette stratégie vise particulièrement les pays dont l’économie est fortement dépendante des exportations vers les États-Unis. C’est le cas du Canada et du Mexique, qui envoient entre 75 et 80 % de leurs exportations vers leur voisin.

Sous la menace de sanctions tarifaires, la Colombie a accepté de modifier sa politique d’accueil des migrants en provenance des États-Unis, tandis que le Canada a renforcé le contrôle de ses frontières pour limiter l’immigration et le trafic de fentanyl. Des pressions similaires sont en cours sur le Japon, la Corée du Sud et le Royaume-Uni. L’Union européenne pourrait bientôt être ciblée, avec la menace d’une hausse de 25 % des droits de douane sur les produits européens.

L’administration américaine justifie cette politique en dénonçant un traitement commercial injuste à l’égard des États-Unis, notamment un manque de réciprocité dans les droits de douane. L’argument avancé est que les États-Unis appliqueraient des droits de douane relativement bas sur les importations étrangères, alors que leurs partenaires commerciaux imposeraient des tarifs plus élevés sur les produits américains.

Dans les faits, cette analyse est contestable. En moyenne, les droits de douane appliqués par les États-Unis sur les produits européens sont comparables à ceux imposés par l’Europe aux produits américains. Certes, il existe des écarts sur certains produits, mais ils ne justifient pas une réforme radicale du système commercial mondial.

Donald Trump souhaite aller encore plus loin en instaurant une réciprocité sectorielle : pour chaque produit importé, le droit de douane américain devrait être ajusté en fonction du tarif appliqué par le pays exportateur. Une telle mesure serait un casse-tête administratif, car les États-Unis commercent avec 150 partenaires et importent près de 10 000 produits différents. Par ailleurs, une analyse détaillée des relations commerciales entre les États-Unis et l’Europe montre que seuls 49 % des produits sont concernés par un écart défavorable aux Américains.

En réalité, cette politique relève davantage d’un rapport de force systématique destiné à arracher des concessions aux partenaires commerciaux, sans pour autant offrir de contreparties.

Quels sont les impacts pour l’économie américaine ?

Si cette politique permet aux États-Unis de renforcer leur position dans les négociations internationales, elle risque d’entraîner des conséquences négatives sur l’économie américaine. Tout d’abord, elle entraînera une hausse des prix pour les consommateurs américains. En augmentant les droits de douane sur des produits importés comme les voitures allemandes (dont le tarif passerait de 2,5 % à 10 %), le coût d’achat pour les ménages américains augmentera, réduisant ainsi leur pouvoir d’achat. Les entreprises américaines seront également impactées. Par exemple, Boeing achète des équipements à des sociétés françaises comme Safran. Si ces pièces sont soumises à des droits de douane plus élevés, les coûts de production augmenteront, diminuant la compétitivité des entreprises américaines sur le marché international.

Par ailleurs, l’impact sur les recettes fiscales des États-Unis sera limité. Aujourd’hui, les taxes douanières ne représentent qu’environ 1 % des recettes publiques américaines. Même avec des droits de douane extrêmement élevés (80 % par exemple), les revenus générés ne dépasseraient pas 800 milliards de dollars, soit une somme dérisoire par rapport aux recettes de l’impôt fédéral sur le revenu (3 600 milliards de dollars).

Enfin, l’instabilité des politiques commerciales inquiète les acteurs économiques. Le manque de visibilité sur l’évolution des droits de douane dissuade les investissements et fragilise le commerce international. L’incertitude liée à la politique commerciale américaine est aujourd’hui à son plus haut niveau, ce qui pourrait freiner la croissance et l’innovation.

Et quelles en sont les impacts pour l’Europe ?

Pour l’Europe, l’impact immédiat de cette politique pourrait être modéré. Les États-Unis représentent entre 7 et 8 % des exportations françaises et allemandes. Une hausse des droits de douane de 10 % entraînerait une perte de PIB limitée pour la France, entre 0,1 et 0,2 %.

Cependant, la situation pourrait devenir plus préoccupante si l’administration américaine applique effectivement une taxe de 25 % sur les importations européennes. L’impact serait alors plus significatif, avec une perte de PIB estimée à 0,5-0,6 % pour la France et environ 1 % pour l’Allemagne, dont l’économie est plus dépendante des exportations.
Certains secteurs seraient particulièrement touchés comme l’automobile, l’industrie pharmaceutique, les vins et spiritueux ou encore les produits laitiers, des produits que les Européens exportent beaucoup vers les États-Unis.
Face à cette menace, l’Europe doit adopter une stratégie de fermeté. L’idée serait d’affirmer son ouverture à la coopération tout en mettant en garde les Etats-Unis contre des représailles équivalentes.

Le marché européen est un levier puissant : il constitue un débouché essentiel pour de nombreuses entreprises américaines. En imposant des droits de douane en réponse aux mesures américaines, l’Union européenne pourrait dissuader les Etats-Unis de poursuivre cette politique agressive.
Toutefois, cette stratégie repose sur un pari : celui que les États-Unis hésitent à entrer dans une guerre commerciale qui pourrait nuire à leur propre économie. L’idéal serait d’éviter l’escalade et de trouver un terrain d’entente avant que ces menaces ne se concrétisent.