cicéron
c'est poincarré
Crédit ©photon_photo/Adobe stock
Matière première de la finance verte et durable, les données ESG doivent évoluer avec les nouveaux besoins des praticiens, l’émergence de l’IA et l’évolution du cadre réglementaire. La révolution en cours dans l’utilisation des données ESG signe la fin du règne des agences spécialisées et bouleverse l’écosystème des fournisseurs de données. De fait, celle-ci s’appuie sur trois facteurs : la normalisation du reporting de durabilité qui désintermédie les fournisseurs ; le principe de double matérialité qui rend leur notation obsolète ; et enfin l'émergence des données alternatives qui fait voler en éclat l’inertie et la très lente fréquence des données ESG, ce qui les projettent dans une dimension temporelle nouvelle : celle des exercices de scénarisation du futur.
Le miroir des agences de notation a cessé de répondre à l’obsédante question des investisseurs : dis-moi qui est la plus belle des entreprises ! Aussi floues qu’aient pu être les réponses à cette quête illusoire alimentée par les approches best-in-class (c’est-à-dire le processus de sélection au sein d’un même secteur), force est de constater que celles-ci n’intéressent plus grand monde : la déferlante réglementaire a balayé les canons de beauté de la durabilité et imposé ses critères et son principe de double matérialité. Or s’il y a bien une donnée qui ne sert ni à évaluer la matérialité financière ni à mesurer la matérialité d’impact c’est bien la note ESG d’un émetteur, qui agrège trop de paramètres, trop d’incertitudes et reflète trop le passé pour restituer une image fidèle du profil de risque ou d’impact d’une entreprise.
C’est précisément l’ambition de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) d’obtenir l’image la plus fidèle possible de ce double profil à partir duquel l’Europe définit la durabilité : plus de 1100 points de données sont convoqués pour tenter de recomposer le vrai visage d’une entreprise et – n’est-ce pas l’intention du régulateur ? - de démasquer les imposteurs en tout genre, des camoufleurs de risques aux éco-blanchisseurs. A ce grand jeu de la transparence alimenté par des données autrement plus fiables, plus comparables et plus accessibles que ne l’étaient celles des agences, il convient d’intégrer l’émergence d’une autre nature de données, qualifiée d’alternatives et qui s’imposent comme le nouvel eldorado pour conquérir les nouvelles frontières de la finance durable que sont le temps réel et le temps long, seuls susceptibles de relever les défis de la double matérialité et de la tragédie des horizons.
L’avenir est au miroir digital, qui complète l’image analogique du profil ESG d’une entreprise obtenue à partir de données reportées en la numérisant. Ainsi converti en milliers de pixels représentant chacun un point de donnée, le profil de risque et d’impact esquissé par l’entreprise elle-même dans le cadre contraignant de CSRD peut être utilement complété en recourant à l’I.A. Des algorithmes élaborés sur la base de traitement de texte des réseaux sociaux et d’analyse d’images, notamment satellites, génèrent une nouvelle nature de données.
Cette dernière complète le puzzle très imparfait des données traditionnelles pour fournir une résolution du profil ESG de l’entreprise beaucoup plus fine, mais aussi beaucoup plus fréquente par rapport à la donnée reportée en base annuelle ; et enfin beaucoup plus pertinente : en effet l’I.A. permet en quelque sorte de redonner la parole aux parties prenantes, qui ne sont ni plus ni moins que les seuls comptables légitimes de la durabilité d’une entreprise, en captant leurs opinions, leurs constats et leurs attentes. L’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) n’oublie d’ailleurs pas de rappeler qu’une matrice de matérialité des parties prenantes, version GRI (Global Reporting Initiative), est la première étape, sinon un point de passage obligé vers l’analyse de double matérialité.
Ainsi digitalisé et hybridé par différentes natures de données, le profil ESG de tout actif sous-jacent à un instrument financier présente un avantage décisif pour l’investisseur responsable : la photographie à l’instant T de la performance de durabilité de l’entreprise se prête à un usage en mode vidéo et même à la réalité augmentée. Adaptée à un scénario climatique, l’image fixe d’une telle empreinte carbone haute résolution (affinée par exemple avec des données sur les actifs réels) devient une trajectoire temporelle autrement plus robuste que l’extrapolation de données historiques sur les émissions de CO2 d’une entreprise.
Dans ce nouveau monde, les séries de données ESG historiques récoltées dans l’ancien monde ne fournissant qu'une vision floutée et biaisée des performances passées des entreprises en matière de durabilité, n’ont d’ailleurs qu’une valeur très limitée. A l’inverse, la valeur ajoutée et combinée des données réglementaires et alternatives ouvre un champs prospectif très prometteur qui permet enfin d’aligner l’horizon temporel de l’analyse financière, dont l’ambition est d’estimer l’avenir, avec celui de l’analyse de durabilité, dont l’ambition est de le façonner.