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CD'enjeux

24 jan. 2024

Les effets socio-économiques territoriaux du rebond malgré une succession de crises (2021-2022)

Ce texte se rattache à une série de 3 articles consacrée aux effets socio-économiques territoriaux des crises actuelles sur la période 2020-2023.

Alors que la France est marquée par une nette détérioration des conditions économiques et sociales,  l’Observatoire des Impacts territoriaux des Crises (OITC), dont la vocation est de réaliser un suivi et une analyse en continu des impacts économiques et sociaux des mouvements de contraction et de rebond de la conjoncture dans les territoires en lien avec les enjeux de la transition, se propose de réaliser dans trois articles successifs un bilan rétrospectif et synthétique des effets de la crise sanitaire durant l’année 2020, du rebond post-Covid observé durant la période 2021-2022 et de la capacité de résilience des territoires durant l’année 2023 avant de proposer, pour ouvrir un nouveau cycle, un prochain article sur les premiers impacts territoriaux de la crise économique en cours et le degré d’exposition des territoires à celle-ci. 

Avec le ralentissement de l’épidémie et le relâchement des mesures sanitaires, l’économie française repart à la hausse dès le 2nd trimestre 2021 et la croissance s’accélère au troisième (+ 3 %). Le bilan sur l’année est remarquable : il aura suffi d’un an au pays pour absorber le choc historique de 2020 et faire mieux que reconstituer son stock de richesses.

2021 : un rebond aussi soudain qu’intense

Sur le plan territorial, la dynamique est sans équivoque. Même hors intégration des apprentis dans les données d’emplois salariés privés comptabilisés par l’Urssaf[1], la reprise se répand sur l’ensemble du pays. Sur les 305 zones d’emploi[2], seules 5 ont enregistré une baisse de leurs effectifs salariés privés : la ZE de Saint Quentin dans l’Aisne, celle de Montbéliard dans l’est, d’Orléans en région Centre et de Tulle en Corrèze.

Bien sûr, la trajectoire des territoires n’a pas nécessairement été linéaire durant l’année. Au premier trimestre, 25 zones d’emploi étaient encore affectées d’une tendance à la baisse. On y retrouvait un panel hétérogène de ZE comme celles de Roissy, plateforme aéroportuaire encore en délicatesse, Beauvais, plus au nord ou encore Coutances en Normandie, Bourges et Guéret au centre de la France, Pontarlier et Saint Louis, zones frontalières avec la Suisse et l’Allemagne, Le Chablais et La Maurienne, zones touristiques alpines, Nice, Menton et Fréjus, au bord de la méditerranée et deux territoires corses (Corte et Porto-Vecchio). Le 2nd trimestre présente un bilan encore plus remarquable. Seules 16 ZE ont subi une orientation à la baisse tandis que la partie sud du pays, particulièrement le massif alpin (plus de 10 % de croissance de l’emploi), enregistrait une dynamique exceptionnelle. Le 3ème trimestre marque une sensible inversion de tendance dans nombre de territoires en dépit de la croissance du PIB florissante au niveau national. 96 ZE enregistrent des pertes d’emploi. Aucune région n’est épargnée. Les pertes les plus intenses s’observent dans les territoires touristiques du sud du massif alpin (La Tarentaise, La Maurienne et Briançon), Saint Gaudens dans les Pyrénées, Mende et Millau ou encore Saint Claude dans le Jura, Belfort, Châlons-en-Champagne ou Châteaudun, Cambrai… Les territoires les plus dynamiques se répartissent eux aussi de manière très éparse, parfois en Corse, dans le sud-ouest, sur le littoral atlantique et même en Grand Est… Au 4ème trimestre, sans être mirifique, le bilan s’améliore. 36 ZE seulement sont marquées par des baisses d’emplois. Elles demeurent assez fortement concentrées en Ile de France (Versailles, Seine-Yvelinoise, Melun), dans la partie sud et est du bassin parisien (Pithiviers, Châteaudun, Nogent-le-Rotrou, L’Aigle et Evreux) ainsi que sur sa frange nord-est (Soissons, Château-Thierry et Epernay). 4 régions furent épargnées ou quasi-épargnées : la Bretagne, Occitanie, Pays de la Loire (exceptée Sablé-sur-Sarthe) et Grand Est. 

Sur le front du chômage, le bilan est lui aussi remarquable. Durant l’année, seules 5 ZE ont enregistré une hausse de la demande d’emploi. Elles figuraient toutes dans les DOM : les 3 ZE de Guyane (Ouest Guyanais, Savanes et Est littoral) et 2 en Guadeloupe (Est Grande Terre et Marie Galante). Celles profitant des plus fortes baisses apparaissent plutôt regroupées, formant comme des grappes, qui pour les plus visibles se retrouvent autour de Lyon, dans le massif alpin et le long du sillon alpin, la grande périphérie nantaise et le littoral normand. Comme pour l’emploi, la trajectoire de la demande d’emploi durant l’année n’a pas été constante. Alors que le premier trimestre peut être qualifié de mitigé (130 ZE ont enregistré une hausse de leurs chômeurs), l’amélioration observée au 2ème trimestre se répercute dans tous les territoires sauf 6, dont 4 dans les DOM (2 en Guadeloupe et 2 en Guyane) et 2 dans les Alpes (La Tarentaise et La Maurienne). Au 3ème trimestre, la situation se tend. 115 ZE voient le nombre de leurs demandeurs d’emploi augmenter. Les territoires impactés se situent massivement dans la France « de l’intérieur », Ile de France comprise, et dans les DOM (seules 2 ZE de la Réunion résistent) alors que ses périphéries, tant frontalières que montagneuses et littorales (à l’exception de la pointe bretonne) résistent. Au 4ème trimestre, la dynamique redevient nettement favorable et se diffuse dans presque tous les territoires. Seules 35 ZE sont affectées d’une hausse de leurs demandeurs d’emploi. Elles se situent préférentiellement le long du littoral atlantique (des Pays de la Loire au Pays Basque), sur le pourtour méditerranéen et en Corse.

Carte - Evolution du nombre de demandeurs d'emploi par région en 2021

© OITC

 

Une année 2022 placée sous le signe de la résistance   

Le rebond exceptionnel de 2021 provoque une surchauffe de l’économie mondiale qui se traduit par une poussée inflationniste générée par la hausse du coût des matières premières et amplifiée par le démarrage du conflit russo-ukrainien, qui provoquera une explosion du prix de l’énergie. Malgré ce contexte inflationniste, l’économie française résiste : si la croissance décroche légèrement au premier trimestre en raison d’une forte baisse de la consommation, elle reste vive au 2ème et 3ème avant de stagner au 4ème. Le nombre de défaillances d’entreprises se maintient à un niveau historiquement bas, le taux de chômage continue de baisser pour lui aussi atteindre un niveau quasi sans précédent et l’emploi salarié privé ne cesse de progresser. 

Au niveau territorial, le bilan apparaît plus mitigé. 82 ZE enregistrent des pertes d’emploi durant l’année (contre 5 en 2021, cf. supra). Ces ZE se situent majoritairement le long de la « diagonale du vide », sur les périphéries intérieures franciliennes, dans la grande périphérie lyonnaise et les Hauts de France (Oise et périphérie lilloise). Les territoires les plus dynamiques s’observent très majoritairement le long du littoral atlantique, les grand quart sud-est et littoral méditerranéen, la Corse et les DOM. Fin 2022, seulement 45 ZE affichent un nombre d’emplois salariés privés (hors apprentis) inférieur à l’avant Covid. Ces ZE se situent plutôt le long de la « diagonale du vide » mais aussi sur la frange intérieure de la Normandie (de Coutance à Vernon en passant par Avranches, Vire, Argentan et Evreux), en Picardie (Beauvais, Compiègne, Soisson, Château-Thierry, Laon et Saint-Quentin), dans certains territoires frontaliers (Thonville et Forbach à la frontière luxembourgeoise et Pontarlier et Saint Claude à la frontière suisse en Franche Comté) et dans l’est avec Montbéliard et Belfort, spécialisées dans l’industrie automobile.

La trajectoire économique des ZE n’a là non plus été linéaire durant l’année. Au 1er trimestre, 77 ZE, plutôt localisées le long « du Y du vide » (qui comprend la fameuse diagonale et un axe s’étirant grosso modo du Massif central au Cotentin), en Normandie, dans la partie est des Pays de la Loire et en Alsace,  furent impactées par une baisse de leurs effectifs salariés. Au second, le bilan se dégrade sérieusement : 100 ZE ont enregistré des pertes d’emploi. Elles se répartissent à peu près partout sur le territoire national (seuls les territoires ultramarins sont préservés). Le 3ème marque une amplification des difficultés. C’est presque la moitié des ZE qui sont frappées d’une baisse (151 ZE). Elles se concentrent assez nettement au cœur du pays, les littoraux apparaissant plutôt épargnés, sans doute en raison du fort dynamisme du tourisme estivale. Au dernier trimestre, le bilan géographique s’améliore mais ne peut être qualifié de satisfaisant. 127 ZE ont perdu des emplois sur la fin d’année. Elles se situent là encore plutôt à l’intérieur du pays, les franges littorales et frontalières étant plus dynamiques (à l’exception du Cotentin et des Pyrénées).

Sur le plan du chômage, la dynamique apparaît plus favorable et s’inscrit un peu plus dans le prolongement de l’année 2021. Seules 2 ZE ont enregistré une progression de leurs demandeurs d’emploi durant l’année, toutes deux dans les DOM : la ZE de l’Ouest Guyanais et celle de Marie Galante en Guadeloupe.

 

Carte - Evolution du nombre de demandeurs d'emploi par région en 2022

©OITC

Au 1er trimestre, le bilan est exceptionnel. La baisse des demandeurs d’emploi s’observe partout (seules 3 ZE sont affectées d’une hausse : Sarlat-la-Canéda, Autun et Est-Littoral en Guyane). Des baisses très intenses (entre – 30 % et - 15 %) s’observent même dans l’ouest français (à l’ouest d’une ligne s’étirant de l’estuaire de la Garonne à Dieppe) et l’ex région Rhône- Alpes. Le 2ème trimestre s’inscrit dans le prolongement du 1er. Seules 6 ZE subissent un retournement à la hausse (Mont-Blanc, Tarentaise, Maurienne et Briançon dans les Alpes, et Ouest-Guyanais en Guyane et Marie Galante en Guadeloupe). Le 3ème trimestre offre a contrario une toute autre dynamique des territoires en matière de chômage : l’inversion de tendance est quasi-totale. Seules 30 ZE enregistrent une orientation à la baisse. Elles se situent principalement dans l’est du pays, au bord de la Méditerranée (Sainte-Maxime, Cannes et Menton), en Corse, dans le massif alpin (Briançon, Maurienne, Mont-Blanc et Chablais) et à la frontière suisse (Pontarlier et Saint-Louis). Le 4ème trimestre apparaît plus équilibré. 210 ZE ont profité d’une baisse. La centaine de ZE frappées d’une détérioration de leur marché du travail se localisent au sud d’un axe Bordeaux – Maurienne et tout le long du littoral atlantique et jusqu’au Cotentin. Le bon bilan de l’année 2022 est donc essentiellement imputable au 2 premiers trimestres. Les deux suivants attestant d’une réorientation de la dynamique, moins favorable. 

Un retour « au monde d’avant »

Bien que complexe et parfois difficilement lisible, la géographie du rebond post-covid, appréciée ici à l’aune de la dynamique de l’emploi salarié privé et de la demande d’emploi, fut plutôt révélatrice d’un certain retour au « monde d’avant ». Si au plus fort de la crise sanitaire (2020), les territoires les plus en panne de développement – que nous avions nommé les territoires « wagons » - avaient moins subi que les territoires les plus dynamiques – les « locomotives » -, le rebond semble bien avoir été tendanciellement plus profitable à ces derniers. Les territoires du littoral atlantique, de Rhône Alpes, du massif alpin, d’Alsace et du sillon Lorrain, fort dynamiques avant Covid, ont retrouvé leur élan. Parmi ces « locomotives », seuls les territoires franciliens et certains territoires frontaliers ne semblent pas avoir complétement retrouvé leur trajectoire antérieure.

C’est comme si la crise sanitaire, évènement éminemment singulier de par sa brutalité, son intensité et son ampleur, avait produit, provisoirement, des effets géographiques spécifiques provoquant comme une quasi-inversion des termes du développement territorial. Avec le retour à une certaine forme de « normalité » (la guerre et l’inflation nous sont – malheureusement - plus familiers qu’une épidémie mondiale), les dynamiques territoriales se sont « remises à l’endroit », dessinant une géographie plus conforme à celle de ces 20 dernières années – hors épisode Covid –, faisant de l’idée d’un « monde territorial d’après » bien plus une chimère qu’une réalité. Cette tendance sera plutôt confirmée par les dynamiques observées durant l’année 2023, que nous analyserons dans notre prochain article de façon à mettre en lumière le degré d’exposition des territoires à la crise économique qui vient.

 

 

Cet article est issu des travaux de l’Observatoire des Impacts Territoriaux des Crises dirigé par Olivier Portier et Vincent Pacini  et dont la Caisse des Dépôts est partenaire à travers l’Institut pour la Recherche.

Notes

[1] Comme dans le premier article, nous commentons ici les données produites dans l’ancien millésime de données Urssaf qui n’intégraient pas dans son champ les apprentis. A partir de 2022, l’Urssaf les a intégré dans ses données, « boostant » les performances de créations d’emploi.

[2] La zone d’emploi est un zonage élaboré par l’Insee et définit un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent.