Ce texte se rattache à une série de 3 articles consacrée aux effets socio-économiques territoriaux des crises actuelles sur la période 2020-2023.

Alors que la France est marquée par une nette détérioration des conditions économiques et sociales,  l’Observatoire des Impacts territoriaux des Crises (OITC), dont la vocation est de réaliser un suivi et une analyse en continu des impacts économiques et sociaux des mouvements de contraction et de rebond de la conjoncture dans les territoires en lien avec les enjeux de la transition, se propose de réaliser dans trois articles successifs un bilan rétrospectif et synthétique des effets de la crise sanitaire durant l’année 2020, du rebond post-Covid observé durant la période 2021-2022 et de la capacité de résilience des territoires durant l’année 2023 avant de proposer, pour ouvrir un nouveau cycle, un prochain article sur les premiers impacts territoriaux de la crise économique en cours et le degré d’exposition des territoires à celle-ci. 

La crise sanitaire : un choc économique particulièrement violent…

Sur le plan de l’emploi salarié privé, l’année 2020, marquée par la succession de 2 confinements[1], s’apparente à une annus horribilis. Avec la mise à l’arrêt l’économie, le PIB plonge à un rythme sans précédent dès le 1er trimestre et atteint son point bas au second. Le choc est non seulement instantané mais frappe aussi par son intensité. L’emploi salarié privé décroche lui aussi immédiatement. Plus de 510 000 emplois salariés privés sont détruits, soit une baisse de 2,7 %. A titre de comparaison, la crise financière de 2008 avait, à son paroxysme, provoqué la perte de 213 500 emplois salariés au 4ème trimestre (- 1,2 %).

Dans ce contexte, le chômage partiel connait un bond sans équivalent. De 30 000 salariés en chômage partiel en février, leur nombre passe à 6,7 millions en mars et même à 8,7 millions en avril. Défiant tous les pronostics, la baisse de l’emploi est alors maitrisée. « Seulement » 74 000 emplois sont détruits au second trimestre, soit une baisse de 0,4 %.

Avec le déconfinement, l’activité repart au 3ème trimestre. L’emploi rebondit : presque 375 000 emplois sont créés, soit une intense progression (+ 2,1 %). Malheureusement, le second confinement, qui intervient fin octobre, pénalise à nouveau l’économie française. La dynamique de l’emploi s’oriente à nouveau à la baisse au 4ème trimestre. Plus de 116 000 emplois disparaissent (soit une baisse de – 0,6 %).

Ainsi, sur l’ensemble de l’année, le bilan est clairement négatif. 330 000 emplois ont disparu, soit une baisse de – 1,8 %. Ce qui constitue malgré tout un choc moins violent que celui enregistré durant l’année 2008.

… mais plutôt contenu grâce aux mesures de soutien à l’économie

Aussi défavorable et violent qu’il puisse paraître, ce bilan apparaît néanmoins remarquable eu égard à la brutalité du choc. L’OITC a tenté d’apprécier quelle aurait pu être son intensité si les mesures de soutien à l’économie n’avaient pas été mises en œuvre en comparant l’évolution des emplois qui, même pour ceux passés en activité partielle, continuaient d’être comptabilisés comme tel dans les statistiques de l’Urssaf, et de leur masse salariale associée, qui elle sortait du champ du fait de leur prise en charge par la solidarité nationale.

Si au 1er trimestre, le différentiel d’évolution est quasi nul, il demeure spectaculaire au second. La masse salariale du secteur privé s’effondre littéralement, enregistrant une chute de - 15,3 % ! Si l’on se cale sur le comportement de la masse salariale durant l’année 2020, on peut estimer que les pertes d’emplois salariés auraient pu s’élever non pas à -1,8 % mais à - 3,7 %. C’est au total plus de 670 000 emplois qui auraient pu être perdus.

Le maintien relatif de l’emploi a permis de contenir la progression du chômage. Si la crise sanitaire a interrompu un cycle de baisse de la demande d’emploi, la progression des demandeurs d’emploi n’a été « que » de 4,6 % durant l’année, pénalisée par deux trimestres à la hausse, le 2nd et le 3ème. La détérioration du marché du travail français, qui compte 266 000 demandeurs d’emplois de plus en fin d’année 2020, est incontestable. Mais peu de gens, et nous en fûmes, auraient misé sur un tel scenario à son démarrage.

Une traduction territoriale très disparate

La cartographie de l’évolution de l’emploi salarié privé[2] et de la demande d’emploi durant l’année 2020 à l’échelle des 305 zones d’emploi[3] françaises est révélatrice d’une capacité de résilience économique des territoires très contrastée.

Si les effets de la crise sanitaire sur l’emploi et le chômage se sont diffusés dans presque tout l’hexagone, de fortes disparités territoriales subsistent. Dans ce contexte défavorable, 49 ZE sont parvenues à créer de l’emploi et 26 à enregistrer une baisse du chômage. Les ZE résilientes en matière d’emploi se situent plutôt sur le littoral atlantique, dans la région Sud (Aix-en-Provence, Manosque, Draguignan), en Corse et plus étonnamment dans le nord de la France (Béthune, Arras, Saint-Quentin, Valencienne)… et,  en matière de chômage, toujours en Corse, dans les Outres Mers ou encore celles de Belfort, Coutances ou Lamballe en Bretagne…. 

A l’opposé, les zones dont l’emploi a été le plus impacté se retrouvent massivement dans le massif alpin, le long de la diagonale du vide et en Ile de France tandis que celles dont le marché du travail se détériore le plus se situent le long des frontières avec l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et le Luxembourg, en Ile de France, en Rhône Alpes et plus marginalement et de manière éparse, le long du littoral atlantique. Les variations de l’emploi et du chômage des territoires s’inscrivent ainsi dans une fourchette assez large s’étendant de – 33 % à + 3,4 % pour l’emploi et de -10,5 % à + 24,2 % pour le chômage.

Le 1er trimestre, épicentre de la crise sanitaire, a frappé large sur le front de l’emploi. Seules 4 ZE ont résisté (3 sont situées en Corse du Sud et celle de Forbach). Et 67 enregistrent des pertes supérieures à 3,7 %. Parmi celles-ci, figurent les zones d’emploi alpines, sur-impactées par les fermetures de station (les ZE du Mont Blanc, de la Tarentaise, de la Maurienne et de Briançon enregistrent des pertes supérieures à 10 %). Les ZE franciliennes mais aussi, et de manière plutôt contre-intuitive, de nombreuse ZE de la diagonale du vide (notamment dans sa partie sud-ouest, au nord de la Bourgogne et à l’extrême nord en Meurthe et Moselle) affichent des baisses plutôt contenues (inférieures à 3 %).

La carte de l’évolution de l’emploi au second trimestre permet de percevoir une légère embellie. 123 ZE enregistrent une hausse, parfois très intense dans la Tarentaise (+ 14,4 %), La Maurienne (+ 7,9 %) ou Briançon (+ 6,7 %), qui avec le 1er déconfinement retrouvent de l’allant. La Corse, le pourtour méditerranéen et quelques ZE comme Montbéliard, Aubenas, Sarlat ou Royan continuent néanmoins de subir de lourdes pertes. 

Au troisième trimestre, l’embellie est quasi-générale. Seules 6 zones d’emploi restent à quai : Provins en Ile de France, Vendôme dans le Loir-et-Cher, Loches, un peu plus au sud, Lesparre-Médoc au sud de l’estuaire de la Gironde et Pau. Les territoires les plus dynamiques apparaissent principalement dans les zones attractives et touristiques des Alpes, d’une grande partie de la région Sud et du pourtour méditerranéen ainsi que le long du littoral atlantique.

Enfin, la rechute du dernier trimestre se traduit assez nettement spatialement : 180 ZE sont frappées d’une orientation à la baisse de leurs effectifs. Baisse qui peut dépasser 10 % dans les territoires alpins, une nouvelle fois frappés par des fluctuations extrêmes liées à leur très forte spécialisation touristique dans les activités de ski.   

Sur le front du chômage, le processus de diffusion de la crise dans les territoires démarre un peu plus tardivement. Au 1er trimestre, « seulement » 99 ZE enregistrent une augmentation. Cette hausse s’observe principalement dans les territoires de Grand Est, de Corse, d’Occitanie et dans une moindre mesure sur les parties intérieures de la Bretagne. Le Nord résiste ainsi que les territoires des massifs alpins et pyrénéens.

Au second trimestre, c’est la dégringolade. La progression du chômage se généralise et affecte presque toutes les zones d’emploi. Seules 7 sont préservées. Elles se situent en Corse (5) et en Guyane (1), la dernière étant celle de Sainte-Maxime.

En dépit d’une amélioration sensible de l’emploi au 3ème trimestre, le bilan en matière de chômage se maintient. Seules 13 ZE enregistrent une baisse. On les retrouve une fois encore en Corse et dans les Alpes.

Enfin, au 4ème trimestre, la reprise de l’emploi du 3ème trimestre est suivie d’effet. 243 ZE profitent d’une baisse de leurs demandeurs d’emploi. Seuls les territoires franciliens et ceux situés sur les franges du pays, à l’est, du Chablais jusqu’à Nice, de Nice à Perpignan, de Perpignan aux Pays Basque et du Pays basque jusqu’au Finistère, enregistrent une dégradation.

Les « locomotives » plus impactées que les « wagons »

Au démarrage de nos travaux, début avril 2020, confrontés à l’absence de statistiques suffisamment fraiches pour prendre la mesure en temps réel des effets territoriaux de la crise sanitaire, nous avions tenté d’établir une typologie des territoires en fonction de leur degré d’exposition économique possible à la crise. Ce premier travail nous permit de poser une hypothèse structurante pour la suite de nos travaux. Les territoires les plus exposés apparaissaient massivement parmi ceux que nous avions qualifiés de « locomotive ». Ces territoires « locomotives » regroupaient les territoires les plus dynamiques de l’avant covid, comme les territoires franciliens, les métropoles de l’ouest français (et non pas toutes les métropoles), les territoires frontaliers (Sillon Lorrain, Génevois français…), rhônalpins (notamment les territoires spécialisés dans le tourisme de ski) et d’Alsace. A contrario, les territoires que nous avions qualifié de « wagon », marqués par des trajectoires de développement atones se matérialisant par un repli démographique, une faible dynamique économique et une forte dépendance aux mécanismes de socialisation et de redistribution, plutôt situés le long de la diagonale du vide, dans le Limousin et la grande périphérie du bassin parisien…, apparaissaient comme sous-exposés.

La suite de nos travaux, notamment ceux sur la dynamique du chômage, permit de confirmer cette hypothèse et de mettre en évidence le rôle particulièrement déstabilisant de la crise sur le marché du travail des territoires franciliens, frontaliers, d’Alsace, des Alpes, de Rhône Alpes et des métropoles de l’ouest français, Toulouse en tête.

Dans le prolongement, nous avons pu également constater que les impacts économiques territoriaux de la crise sanitaire se distinguaient assez nettement de ceux générés par la crise financière de 2008 : « Le regard comparé avec la crise précédente dessine une cartographie des impacts sensiblement différente, marquée par une plus forte concentration des pertes, notamment sur les très grandes agglomérations françaises et les zones d’emploi franciliennes. »[4]. Seulement 30 % des zones d’emploi concentraient 88 % des pertes d’emploi en 2020 contre 69 % lors de la crise de 2008.

Autre crise, autres effets géographiques, pourrait-on résumer. C’est partant de cette idée qu’à la venue du rebond, début 2021, nous formulâmes l’hypothèse que les effets territoriaux de celui-ci seraient sans doute tout autre que ceux produits par la crise. Tel sera le sujet que nous aborderons dans notre prochain article « Les effets socio-économiques territoriaux du rebond malgré une succession de crises (2020-2021 »

 



 

Cet article est issu des travaux de l’Observatoire des Impacts Territoriaux des Crises dirigé par Olivier Portier et Vincent Pacini  et dont la Caisse des Dépôts est partenaire à travers l’Institut pour la Recherche.

 

Notes

[1] Le 1er a lieu entre le 17 mars et le 22 mai 2020. Le second entre le 30 octobre et le 14 décembre 2020. Le 3ème et dernier, plus souple, aura lieu quant à lui entre le 3 avril et le 2 mai 2021.

[2] Nous précisons ici que nous commentons les données produites dans l’ancien millésime de données Urssaf qui n’intégraient pas dans son champ les apprentis. A partir de 2022, l’Urssaf a intégré les apprentis dans ses données, « boostant » les performances de créations d’emplois.

[3] La zone d’emploi est un zonage élaboré par l’Insee et définit un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent.

[4] « Crise covid : une analyse des premiers impacts économiques dans les territoires comparée à la crise de 2008 » – OITC , pour le compte de l’Institut pour la recherche Caisse des Dépôts