cicéron
c'est poincarré
Crédit Marcinjozwiak/Adobe stock
Engagées depuis de nombreuses années déjà dans des opérations de requalification, les zones d’activité économique (ZAE) font désormais face au paradigme « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui leur confère une plus grande valeur, impose de nouveaux objectifs aux collectivités et de nouvelles méthodes aux aménageurs.
Les zones d’activité économique (ZAE), petites ou grandes, mono-activité ou mixtes, artisanales, commerciales ou industrielles, anciennes ou récentes, vides ou pleines, en continuité de la ville ou isolées en périphérie, font, depuis la seconde moitié du XXe siècle, partie intégrante de l’aménagement et du fonctionnement des territoires. Conçues historiquement pour concentrer les activités économiques dans un périmètre voué à l’automobile, hors des centres-villes et des quartiers résidentiels, elles témoignent d’une approche fonctionnaliste de l’urbanisme. Leur création a été le plus souvent sous-tendue par un double objectif : une meilleure organisation spatiale des fonctions urbaines, et une meilleure répartition de la création de richesses sur le territoire élargi.
Les « ZAE de première génération » (ou zones industrielles/artisanales) ont été développées dans les années 1960-1970 dans un contexte de forte croissance économique, souvent sans planification ni même aménageurs. Répondant à une logique de zoning ces espaces souvent monofonctionnels ont été relégués à la périphérie des centres-villes, le long des axes de transport. Une seconde génération de zones a vu le jour au tournant des années 2000. Plus excentrées, éloignées des espaces anthropisés, elles ont accueilli des programmes mixtes, notamment des activités non productives (tertiaires, services, enseignement...) et se sont appliquées à tenter de répondre à des enjeux de qualité de vie des salariés et de qualité environnementale. Selon une étude de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) de 2010, les ZAE constituent un outil fondamental dans les politiques locales de développement économique qui doit nécessairement être développé sous la forme d’une opération d’aménagement. Cette dernière constituant l’une des principales actions des collectivités au titre de la compétence développement économique1.
Leur multiplication a été souvent justifiée au-delà de la demande des entreprises, par des stratégies d’attractivité concurrentielles entre les territoires. Ainsi, ces générations successives de zones d’activité, ont façonné une partie du paysage urbain de nos territoires actuels en entrées de ville (notamment avec les zones d’activité commerciale) et dans les quartiers périphériques. Mais elles sont remises en cause depuis plusieurs années, pour partie, du fait de leur faible qualité urbaine et paysagère, de leur manque d’entretien... Parfois, elles sont même délaissées, touchées par des processus profonds de déqualification, associés au monde d’avant.
Au terme de ZAE, nous préférons utiliser dans cet article celui de « site économique », plus large. Si le terme de ZAE ne fait référence à aucune définition juridique précise et normative, il est globalement associé à un aménagement du passé, des espaces vieillissants, qui peuvent impacter jusqu’à l’image elle-même des entreprises qui s’y trouvent. Quasiment tous les sites économiques seront concernés demain par des actions de densification, décarbonation, résilience, même si les ZAE les plus anciennes sont promises à des stratégies de requalification plus globales.
L’enjeu est donc de concevoir ou de repenser les sites économiques comme une réponse à une stratégie de développement économique territoriale portée par les collectivités et donc aux besoins des entreprises et de leurs salariés. Les schémas d’accueil des entreprises sont dans ce sens pertinents, car ils ont pour objectif de traduire la stratégie économique territoriale en solutions foncières, immobilières, d’animation et de gouvernance. Aujourd’hui, les démarches de requalification des sites doivent être conçues en réponse aux enjeux de sobriété foncière, énergétique et de décarbonation tout en répondant aux questions de ses utilisateurs et donc des entreprises et salariés.
Concernant les causes de ce phénomène de désaffection des zones d’activités, on peut mettre l’accent sur trois causes majeures. D’abord, un phénomène d’obsolescence dû au vieillissement et au faible entretien ou renouvellement du parc bâti ainsi qu’à la dégradation des espaces, services et équipements publics qui rendent aujourd’hui ces derniers inadaptés aux évolutions des besoins des entreprises et des salariés.
Ensuite, le manque de gestion globale, tant des voiries et espaces verts, des services aux entreprises et aux salariés, que dans le renouvellement des activités et le remembrement des parcelles. Une gestion globale rendue difficile également du fait des difficultés rencontrées de mobilisation des acteurs économiques dans les démarches collectives, de l’absence de représentation des propriétaires et/ou des occupants et de l’extraterritorialisation importante des centres de décision des grandes entreprises et ETI (entreprises de taille intermédiaire).
Enfin, une accentuation de la porosité entre tissu urbain et zones d’activité, particulièrement pour les premières générations de zones d’activité qui ont été progressivement rattrapées par l’urbanisation, générant ainsi des problématiques de fonctionnement et de cohabitation avec le reste de la ville : accessibilité et gestion des risques, gestion des déchets, cohabitation des activités productives et résidentielles, nuisances et acceptabilité de ce type d’espaces, place des transports motorisés.
Dans un contexte de rareté foncière et de saturation de sites économiques2, ces derniers représentent un levier d’attractivité territoriale, à condition de repenser leur programmation, leur fonctionnement et leur modèle économique pour répondre à trois défis majeurs.
Les sites économiques s’imposent comme des leviers majeurs de la transition écologique pour les collectivités locales. Souvent de faible densité et essaimés dans l’ensemble du territoire, ils constituent une sorte de « réserve foncière complexe » dont les modes d’aménagement et de gestion doivent être repensés. De la requalification de l’existant (transformation, densification, optimisation, adaptation, renaturation), à la réhabilitation de friches, en passant par la construction d’infrastructures hors-sol, les solutions pour engager la transition écologique dans les sites économiques sont multiples, et sources d’innovation et de réinvention. Plus généralement, il convient d’appréhender ces sites comme parties intégrantes du tissu urbain, et ainsi veiller à leur qualité urbaine, paysagère et architecturale. La renaturation toute ou partie de certains sites est aussi à intégrer dans un contexte global de densification et de contraction des activités économiques.
Les sites économiques doivent aussi s’adapter à un contexte économique en mutation : généralisation du télétravail, contraction des besoins en immobilier tertiaire, modernisation des circuits de production, réindustrialisation, raccourcissement des chaînes d’approvisionnement et de distribution, fabrication de petites séries à la demande, etc. Cette transition est sous-tendue par le vieillissement du patrimoine immobilier et des modes de fonctionnement, notamment pour les sites les plus anciens. En effet, ils font face à un risque d’obsolescence, qu’il convient d’apprécier au travers des valeurs locatives, des taux de vacance, de l’âge des constructions, de la destination des activités présentes et les synergies qu’elles entretiennent, de l’accessibilité en modes doux, etc. Mais bien agir nécessite de mieux connaître les activités qui s’implantent dans ces sites et leur rôle. Les travaux récents publiés par Magali Talandier sur l’économie métropolitaine ordinaire3 (EMO) mettent en lumière 19 familles d’emplois et donc d’activités (BTP, commerce de gros, entretien et maintenance, nettoyage, logistique, déchets, etc.), indispensables au bon fonctionnement et développement des métropoles et des aires urbaines et dont une partie est localisée en périphérie. Ainsi, on trouve dans les sites économiques de périphérie bon nombre d’entreprises au service des métropoles et qui créent de la valeur ajoutée.
Enfin, les sites économiques doivent mieux répondre aux enjeux de qualité de vie de leurs usagers. En matière de fonctionnement, il convient de prévoir des aménagements pour favoriser le bien-être des salariés. Cela passe notamment par la mise en place de services et équipements adaptés aux besoins et aux nouveaux modes de travail (crèches, conciergerie, télé-activités, etc.). Des services qui peuvent être mutualisés. Prendre le parti des « usages » pourrait permettre aux sites économiques d’accroître considérablement leur attractivité et « acceptabilité » auprès des citadins.
Pour répondre à ces défis, les collectivités agissent déjà depuis plusieurs années et s’appuient notamment sur leurs opérateurs, les entreprises publiques locales (EPL), vecteurs de compétences et de capacité d’innovation. Aménageurs historiques de sites économiques, commercialisateurs, promoteurs ou investisseurs, gestionnaires d’actifs, animateurs et gestionnaires de sites, les EPL agissent sur l’ensemble de la chaîne.
Notes
1/Zones d’activité économique en périphérie : les leviers pour la requalification, Cerema, Direction technique territoires et ville, collection « Connaissances », 2014.
2/Enquête « Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière, état des lieux et perspectives dans le cadre de l’objectif de zéro artificialisation nette », Cerema, Intercommunalités de France, ANCT, 2022.
3/Magali Talandier, L’Économie métropolitaine ordinaire, invisible, oubliée, essentielle, Autrement, POPSU, 2023.
Cet article est tiré du n°433 de la revue Urbanisme - Les ressources cachées du renouvellement urbain.
À lire également dans ce numéro :
L’invité : Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse / Porfolio : Gares du Grand Paris, par Lola Fauconnet / Rubriques : Livres, Cinéma, Expos, Jeux vidéo et Musique