cicéron
c'est poincarré
Crédit ©delkro - stock.adobe.com
Si l’Afrique a été l’un des continents les moins affectés par les effets sanitaires de la pandémie de la Covid-19, celle-ci a néanmoins exacerbé les fragilités économiques et les besoins en infrastructures de nombreux pays. Face à ces besoins, de plus en plus d’Etats font le choix de créer des Caisses de Dépôts pour financer leur développement économique et social. L’émergence depuis 2010 de Caisses de Dépôt en Mauritanie, au Gabon et en Tunisie et plus récemment au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Bénin, reflète l’attrait renouvelé de ce modèle, déjà présent en France, en Italie, au Maroc et au Sénégal. Cet article décrypte ce mouvement d’émergence de Caisses de Dépôt en Afrique en montrant l’intérêt de ce modèle en réponse aux défis du financement du développement sur le continent, d’autant plus dans le contexte de crise actuel.
En Afrique, le développement économique et social de nombreux Etats est contraint par le manque d’infrastructures et le développement encore limité du secteur privé. Parmi les freins à l’expansion de ces deux secteurs figure notamment le manque de projets bancables, structurés aux meilleurs standards internationaux, susceptibles d’attirer des investisseurs privés. La Banque africaine de développement estime qu’il manque chaque année environ 100 milliards de dollars de financements pour les infrastructures en Afrique. De même, selon Proparco, la filiale de l’Agence française de Développement (AFD) dédiée au secteur privé, les besoins de financements non couverts des très petites et moyennes entreprises (TPME) et des petites et moyennes entreprises (PME) d’Afrique subsaharienne représentaient 330 milliards de dollars en 2019, avec seulement 20% des TPME qui étaient financées par les banques.
Dans ce contexte, les Caisses de Dépôt ont une double valeur ajoutée. Premièrement, elles permettent aux Etats africains de mobiliser pour leur développement des ressources financières locales en plus des fonds venant de l’étranger, dont plusieurs Etats dépendent. Ces ressources sont constituées de l’épargne privée et des autres fonds qui leur sont confiés par la loi ou par un mandat de l’Etat, comme les dépôts des notaires et des avocats ou les fonds des organismes de sécurité sociale et des régimes de retraite. Deuxièmement, les Caisses de Dépôt offrent des financements de long terme, en appui des politiques de l’Etat, à des secteurs qui ont un fort impact positif sur les populations locales et sont de véritables leviers de croissance, comme la santé, l’énergie, le logement et les PME.
Entre 2008 et 2018, la Caisse de Dépôt et de Gestion du Maroc, par exemple, a investi 76 milliards de dirhams marocains en appui des politiques sectorielles de son pays, notamment en finançant l’aménagement de zones industrielles et de stations touristiques. En 2019, la Caisse des Dépôts et Consignations de Tunisie a investi, elle, 135 millions de dinars tunisiens dans 18 fonds commun de placement, en grande majorité tunisiens, contribuant ainsi au financement de 125 PME et à la création ou au maintien de 12 000 emplois.
Ce faisant, les Caisses de Dépôt africaines constituent des institutions financières centrales pour le développement de leurs pays. D’autant plus que leurs investissements ont un effet d’entrainement sur les autres acteurs économiques et financiers, qui, parce qu’ils ont confiance dans leur stabilité financière, acceptent d’investir à leurs côtés. En 2019, la Caisse de Tunisie estimait que chaque dinar qu’elle investissait dans des fonds locaux était multiplié par plus de 15 en termes d’investissement.
En outre, les Caisses de Dépôt africaines sont des investisseurs responsables, partenaires de long terme des acteurs économiques et de leurs projets, dans lesquels l’ensemble des dimensions économiques, sociales et environnementales est pris en compte. Elles contribuent ainsi à l’atteinte des Objectifs du Développement Durable des Nations unies. En 2019, la Caisse de Tunisie est devenue la première institution publique du pays accréditée RSE et a structuré sa démarche de prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, et de mesure des impacts de ses investissements.
En plus de contribuer à la croissance économique et au développement durable de leurs Etats, les Caisses de Dépôt jouent un rôle central de soutien à l’économie en cas de crise. C’est ce qu’a mis en lumière la pandémie de la Covid-19. Grâce à leurs ressources financières stables, elles disposent d’un modèle économique solide qui les rend moins sensibles aux fluctuations de court terme. Cette solidité leur permet de jouer un rôle contracyclique essentiel en temps de crise.
Les Caisses de Dépôt africaines sont ainsi de véritables partenaires de la relance. Tant sur le court terme, pour répondre à l’urgence de la reprise économique et en accompagnement des mesures prises par les pouvoirs publics, que dans une perspective de plus long terme, où leur capacité financière leur permet d’investir à plus longue échéance dans des secteurs stratégiques, productifs et/ou à fort impact social.
Leur intervention en tant qu’investisseurs publics est essentielle dans la mesure où elle exerce un effet de levier auprès des financeurs publics et privés. En outre, intervenir en fonds propres comme le font les Caisses de Dépôts leur permet d’accompagner les projets qui génèrent de la croissance à long terme, mais aussi d’aider à orienter les investissements dans les secteurs stratégiques nécessaires pour construire un avenir durable, dans les infrastructures (énergies innovantes et renouvelables, mobilité durable) ainsi que dans le secteur social (logement, santé, éducation). Au Sénégal, la Caisse des Dépôts et Consignations a investi aux côtés de l’Etat et de partenaires privés au capital de la société qui a construit et développé un projet de centrale solaire de 20 mégawatts dans la commune rurale de Bokhol.
En soutien aux entreprises, les Caisses des dépôts interviennent également en fonds propres pour accompagner la croissance et le développement des PME, notamment. Par exemple, en réponse à la crise, la Caisse marocaine a créé un fonds d’investissement dédié au financement des PME à fort potentiel de développement. Quant à elle, la Caisse de Tunisie a créé un véhicule d’investissement de 300 millions de dinars tunisiens pour soutenir la reprise d’activité et la croissance des entreprises tunisiennes de taille intermédiaire.
Appuyer l’émergence et le développement de Caisses de Dépôt africaines est donc crucial, d’autant plus dans le contexte actuel. C’est, entre autres, la mission du Forum des Caisses de Dépôt. Créée en 2011, cette plateforme de dialogue et d’échanges réunit actuellement 13 Caisses réparties sur 4 continents, principalement en Afrique*.
Pour les jeunes Caisses africaines, comme celles du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire et du Bénin, créées en 2018, le Forum est un espace privilégié où elles peuvent apprendre de l’expérience d’institutions homologues et se nourrir de leurs meilleures pratiques. Dans ce cadre, la Caisse des Dépôts française accueille et anime plusieurs fois par an des ateliers au cours desquels ses responsables métiers partagent leur expertise avec les cadres des autres institutions membres du Forum.
Au-delà du Forum, la Caisse des Dépôts française accompagne l’émergence et le développement des Caisses africaines au travers de coopérations bilatérales. Avec l’Agence française de développement (AFD), elle met actuellement en œuvre un programme d’appui au démarrage des Caisses du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire. Elle soutient aussi le développement des projets des Caisses africaines qui sont déjà opérationnelles, comme celles du Maroc et du Sénégal, avec lesquels elle a signé des accords de coopération.
L’émergence progressive de Caisses de Dépôt en Afrique, particulièrement depuis 2010, est une opportunité pour le développement du continent. Grâce à leur modèle fondé sur la transformation de ressources financières domestiques en investissements de long terme, elles participent à l’offre de solutions durables pour répondre au déficit de financements de nombreux secteurs d’activité essentiels pour le développement des Etats africains. Dans le contexte actuel de crise, les Caisses de Dépôt africaines ont un rôle central à jouer en tant que facteurs de stabilisation et de résilience des économies alors que le continent africain connait sa première récession économique depuis 25 ans, dont les conséquences sociales sur plusieurs pays pourraient s’avérer désastreuses. La Caisse des Dépôts française participe à la promotion de ce modèle par ses relations fortes et les appuis proposés à plusieurs de ses homologues du Sud, mais également dans une logique de partage au sein du Forum des Caisses de Dépôt. La crise a montré le rôle crucial de ces acteurs publics dans leur capacité à aticuler les réponses de court terme avec les enjeux de long terme. Promouvoir le modèle singulier des Caisses de Dépôt, acteurs de la relance au plus près du terrain et au bénéfice des populations, est plus que jamais crucial.
Télécharger la plaquette de communication du Forum mondial des Caisses de Dépôt
Diplômée du Double Master en Relations internationales de Sciences Po Strasbourg et l’Université Catholique de Louvain, Charlotte Rousseau a étudié le développement économique et social en Afrique dans une perspective multidisciplinaire : géopolitique, économie, histoire, climat, coopération au développement, etc. Chargée de mission Afrique au sein du département des Relations internationales du groupe Caisse des Dépôts, elle contribue et participe à l’animation et au suivi des relations institutionnelles avec les Caisses de Dépôt du continent africain, notamment dans le cadre du Forum des Caisses de Dépôt