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Dans ce billet, nous nous intéressons au changement de régime du marché immobilier résidentiel ancien, provoqué par un tout nouvel environnement de taux d’intérêt qui bouleverse les caractéristiques du financement du marché immobilier. Nous explorons les éléments périphériques aux taux d’intérêt (facteurs de demande - durée de crédit, accroissement de l’endettement des ménages, taux d’effort, progression des revenus, facteurs d’offre – construction, coûts de production) pour identifier les forces de résilience qui se présentent.

Marché immobilier : une normalisation imposée par un changement de régime monétaire

La guerre en Ukraine n’est pas seulement un « game changer » cyclique/temporaire : elle comporte des éléments qui imposent des transformations structurelles des économies (davantage de souveraineté, accélération de la TEE, monde moins coopératif et davantage fragmenté). Cela, associé à d’autres bouleversements (ex : fonctionnement modifié du marché du travail avec des contraintes de recrutement persistantes et une baisse de la productivité, cf. billet sur la persistance de l’inflation), amène à une rupture dans la façon dont, par rapport à une simple continuité de cycle économique, les acteurs pouvaient anticiper l’avenir. Il se dessine ainsi un net changement de régime de l’inflation et de taux d’intérêt par rapport au passé (décennie 2010) et par rapport à ce qui était attendu pour la décennie à venir : l’actif immobilier, très sensible aux taux d’intérêt, en pâtit en conséquence.

Quels ont été les facteurs de soutien du marché immobilier, quelles perspectives ?

Nous regardons les facteurs de soutien du pouvoir d’achat immobilier dans la décennie passée et dressons des perspectives, en nous référant, pour le chiffrage des impacts, à un billet de S. Baillehache, L. Delhaye et C. Gouardo, «  Comment réagit le marché de l’immobilier à des chocs d’offre et de demande ? »  :  

  • La baisse des taux des crédits à l’habitat : la baisse du coût de refinancement des banques à la BCE et de financement sur les marchés de capitaux (marchés obligataires) ont permis au taux des crédits à l’habitat (hors frais de dossier et assurance) de décroître pour atteindre un plus bas historique proche de 1,1 % à l’été 2021 (source : Banque de France). En janvier 2023, le taux atteint 2,2 % (source : Banque de France), et continue d’augmenter d’après d’autres sources (2,8 % en février selon l’Observatoire CSA – Crédit Logement).


Perspectives : 

La hausse des taux directeurs de la BCE va se poursuivre et elle est déjà intégrée dans le niveau des taux longs des marchés obligataires observé actuellement. Notons une forte corrélation au taux OAT 20 ans qui constitue un bon proxy des évolutions à venir : le taux du crédit à l’habitat n’a vraisemblablement pas fini de s’ajuster à la hausse et il devrait probablement aller renouer avec ses niveaux du début de la décennie 2010 (entre 3,5 % et 4 %). Rappelons que, arithmétiquement, 1 point de hausse de taux d’intérêt réduit de 10 % la capacité d’achat par endettement ; estimer l’effet sur les prix n’est pas évident, toutefois, l’analyse historique suggère que 1 point de hausse du taux d’intérêt engendre une baisse de 4 %, en moyenne et à 2 ans selon l’économétrie, des prix (article explicatif).

 

  • La hausse de la durée moyenne de crédit à l’habitat : toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de la durée d’octroi permet d’accroître le pouvoir d’achat immobilier ; selon l’Observatoire CSA-Crédit Logement, cette durée d’octroi a progressé continument, passant de 170 mois au début des années 2000 (14,2 ans) à 210 mois en 2010 (17,5 ans) et 248 mois en décembre 2022 (20,7 ans) : c’est un plus haut historique.
Perspectives :

Il est difficile d’envisager une croissance sensible continue de cette durée d’octroi des prêts car le bilan des banques n’est pas calibré pour porter des prêts ayant des maturités trop élevées (il y a trop d’inadéquation avec leurs ressources, qui sont davantage courtes). Les premières données 2023 révèlent même un recul de 6 mois de cette durée d’octroi (242,3 mois en moyenne en janvier & février, reflétant peut-être un effet de composition relatif à la moindre production pour les prêts très longs aux primo-accédants). Les dernières recommandations du Haut Conseil de Stabilité Financière (lien) sont de ne pas octroyer de crédits de plus de 25 ans, tout en gardant une marge de dépassement 20 %. Ce facteur, qui a apporté historiquement beaucoup de pouvoir d’achat, est un facteur de soutien qui ne devrait pas apporter de nouvelles marges de manœuvre.

 

  • La hausse de l’endettement des ménages : les ménages se sont davantage endettés, passant, au moment de l’octroi du crédit, d’un endettement d’un peu plus de 4 ans de revenu au début de la décennie 2010 à un peu plus de 5 ans depuis 2018, mais ce paramètre plafonne depuis. Les banques maintiennent constant ce paramètre ainsi que le taux d’effort (part des dépenses liées au remboursement de leur crédit immobilier dans leur revenu) autour de 30 %.


    Ce taux d’effort n’est pas au plus haut historique (30,1 % vs. 31,6 % en 2009) : il pourrait être augmenté (rappelant qu’une hausse de 1 point se traduit par une hausse des prix de 1,4 % en moyenne à 2 ans, article explicatif) mais la distribution des taux d’effort montre que les marges de manœuvre sont faibles. En effet, la part des ménages dont le taux d’effort dépasse 30 % est déjà élevée dans la production de crédit : elle s’établit à 53,4 % en 2021.

Perspectives :

D’après les dernières recommandations du Haut Conseil de Stabilité Financière, le taux d’effort des emprunteurs ne doit pas excéder 35 %, avec une marge de flexibilité pour 20 % des prêts (en 2021, cette marge était déjà bien utilisée puisque cela a concerné 18,9 % des prêts).

 

  • La hausse du revenu disponible des ménages : le revenu des ménages a augmenté dans la décennie 2010, permettant d’accroître la capacité de remboursement ; rappelons que la capacité d’achat immobilier des ménages dépend en grande partie de leur capacité d’endettement (de nombreuses études montrent que plus de 80 % des achats se font via un recours au crédit), donc le facteur « baisse des taux d’intérêt » a jusqu’à présent sensiblement plus pesé que celui « hausse des revenus instantanés » dans la progression de la capacité d’achat immobilier par endettement des ménages. 
Perspectives :

La hausse des revenus nominaux (hausse de l’emploi, hausse des salaires, des prestations sociales) liée à l’inflation passée et, pour le revenu du travail, aux gains de productivité qui se feront jour, sont à même de faire progresser le revenu des ménages.

 

Au total, entre vents contraires (hausse des taux d’intérêt), facteurs qui ne seront plus aussi porteurs qu’ils ont pu l’être (durée d’emprunt, taux d’effort) et ceux qui seront insuffisamment porteurs (revenu des ménages), on peut s’attendre logiquement à ce que le nouveau paradigme économique, monétaire et financier engendre une normalisation des transactions (partant d’un point historiquement élevé) et une période d’ajustement des prix.

Les futures évolutions sont à mettre en perspective avec la dynamique passée, qui a été particulièrement forte. Gardons à l’esprit, à titre illustratif et non de prévision, qu’une baisse des transactions de 17 % et des prix de l’ordre de 22 %, quoique spectaculaire, ne ferait que ramener les deux variables à leur niveau moyen de 2017 : pour les transactions, cela correspond un niveau encore 9 % au-dessus de la moyenne sur 20 ans et, pour les prix, cela correspond à un niveau encore très supérieur à ceux des biens et services et à l’indice de revalorisation des loyers, en comparant leurs évolutions respectives depuis 20 ans, de respectivement 37 % et 44 %.

Si, à ce nouveau niveau de taux d’intérêt de crédit à l’habitat, une partie de la demande est amputée (le crédit recule et, plus spécifiquement, les primo accédants perdent accès au marché les premiers : ils ne représentent plus que 20 % des nouveaux crédits en novembre 2022 selon la Banque de France, contre 23,7 % 1 an auparavant), il faut considérer également ce qui se déroule côté offre, des facteurs jouant en l’occurrence un rôle compensateur à l’affaiblissement de la demande.

Facteurs de résilience du marché de l’habitat : les facteurs d’offre

Si la demande s’affaisse, il apparait que l’orientation des facteurs d’offre permet une certaine compensation, limitant la baisse des prix :

  • La hausse des coûts de production de la construction, même si elle devrait ralentir conjoncturellement avec la désinflation du prix des matières premières et la détente des difficultés d’approvisionnement, va se poursuivre à un rythme plus élevé que par le passé : les exigences du bâti (RE2020) se renforcent, les matières premières vont être aussi très demandées par les industriels dans le cadre de la TEE et la dynamique démographique ne plaide pas pour une détente des coûts salariaux. Au total, les coûts de construction vont maintenir le neuf à un prix élevé et il n’y a pas de sensible décorrélation durable entre le neuf et l’ancien : les coûts maintenus élevés viendront in fine limiter la baisse des prix de l’ancien.

  • Une certaine rareté du foncier et du bâti se dessine : la Zéro Artificialisation Nette (ZAN) exige des collectivités territoriales qu’elles réduisent de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la décennie 2010. La rareté nourrit la hausse des prix.
  • L’accroissement de l’offre de logement tend à ralentir, selon les derniers chiffres de l’Insee (lien) et les chiffres de mises en chantier plaident pour une accentuation de cette tendance (cf. graphique). Notons pourtant que l’Insee s’attend toujours à une hausse de la population dans les décennies à venir (lien), dans un contexte où la taille des ménages a une tendance à la baisse (lien), ce qui devrait nourrir la demande.  

Quelles évolutions du financement ?

L’encours des prêts à l’habitat s’établissait en France à 1 188 Md€ en 2021 (encours sains donc sans le pourcent des prêts dits « douteux », source : ACPR). Cela porte le ratio Dette immobilière/revenu des ménages à 76,4 % et le ratio Dette immobilière/Patrimoine brut des ménages à 7,2 %, (18 % si on le rapporte au seul patrimoine financier brut) ; retraité des passifs des ménages, le ratio Dette immobilière/Patrimoine net s’élève à 8,1 % (25,4 % du patrimoine financier net).

 

Un grand moteur de l’immobilier, actif lié à la capacité d’endettement, est le marché du crédit dont la production, partant de plus hauts historiques grâce aux taux d’intérêt à leur plus bas historique, devrait décliner. Notons que la causalité crédits-transactions peut être également inverse (des transactions vers les crédits), quand la demande se réduit pour des raisons non financières.

De l’observation historique des phases de recul de la production de crédit, on note que i) une baisse des crédits doit être forte pour aboutir à un recul des prix et des transactions (exemple de 2017/2018 avec contraction du crédit sans baisse des prix ni baisse des transactions), ii) la dynamique de marché s’adapte davantage sur les volumes (transactions) que sur les prix. La configuration actuelle de hausse des taux pénalise le crédit mais le système bancaire n’est pas dans la configuration stressée qu’il a connue lors des crises financières, celle des subprimes (2007-2008) et celle des dettes souveraines (2010-2012), qui avait pesé sur la production de crédit.

La production de crédit a été à son plus haut historique en 2022. Elle a commencé son retournement et la hausse des taux d’intérêt associée au durcissement des conditions de crédit exigées par les banques (hausse graduelle du niveau d’apport personnel, cf. graphique) conduira à une poursuite de sa baisse. La bonne tenue du marché de l’emploi est de bon augure pour que les banques n’ajoutent pas de prime de risque conjoncturel liée au risque de moindre remboursement due à une hausse du taux de chômage. Au total, la production de crédit se normaliserait, impliquant un recul au moins supérieur à 2014 et 2015, se rapprochant de ceux ayant débuté en 2006 et 2011, avec une baisse des transactions à deux chiffres en % (elle est déjà enclenchée) et une baisse des prix (qui est déjà observée, sur un an, selon les données de l’Insee, à Paris et en agglomération lyonnaise, mais ni au niveau national ni dans les grandes agglomérations et autres départements sous revue).

Source : Crédit logement

Conclusion : une correction inévitable sous forme de normalisation

  • Le marché immobilier va s’ajuster au nouveau contexte de taux d’intérêt, qui pourrait revenir dépasser 3,5 % courant 2023. Les volumes de crédit et de transactions vont donc corriger de leurs plus hauts historiques récents et revenir vers des standards de milieu de cycle. En conséquence, les prix devraient reculer, sans effondrement toutefois, car il reste des facteurs de soutien (hausse des revenus nominaux, épargne abondante – cf. billet sur l’analyse de l’épargne, rareté de l’offre, coût de production…).

      

  • Il existe, bien entendu, des nouveaux facteurs d’influence qui sont à intégrer : côté demande, les impacts de long terme du Covid19 et du télétravail restent à préciser (rappelant l’existence de travaux récents du Ministère des collectivités territoriales et de la Ruralité, portant sur l’exode urbain, qui tempère quelques conclusions « spontanées » sur le sujet) ; côté offre, les impacts de la loi Climat et résilience sur la location conditionnée aux performances thermiques (conséquence : des biens mis sur le marché de la vente ?) qui concernent 55 % du parc privé locatif au titre de la résidence principale en Île de France (cf. étude Insee), les politiques de revitalisation des villes moyennes (Action cœur de ville)…

Les conséquences de ce changement de régime sont à surveiller : en miroir de ce qui a été observé dans la décennie 2010, le contexte pourrait creuser les inégalités en freinant l’accès à l’immobilier des primo-accédants, les modèles d’affaires immobiliers et financiers calibrés sur des niveaux de transactions immobilières et d’octroi de crédit élevés seront fragilisés, les recettes principalement dédiées aux collectivités locales (Droits de mutation à titre onéreux, DMTO, les mal nommés « frais de notaires ») seront moins généreuses.