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La performance des marchés actions a été remarquable en 2021, le CAC 40 progressant de 28,9 % et le S&P 500 de 26,9 %. Dans ce billet, partant des moteurs de cette performance, nous dressons un état des lieux sur la valorisation du marché boursier et explorons les enjeux des prochains trimestres. Il apparaît que les sources de performances vont s’étioler et que la dynamique du CAC 40 sera probablement très dépendante du comportement de la Fed donc de facteurs domestiques américains.
Avant tout, il convient de souligner que contrairement aux années passées, pour le CAC 40, ce n’est pas la liquidité qui a « artificiellement » soutenu les cours en 2021 mais bien les fondamentaux des entreprises. Si en 2019 et 2020, la hausse de prix des actions a été supérieure à celle des bénéfices (ici : révision des bénéfices de l’année en cours), elle a été cette fois inférieure : la valorisation boursière, de ce point de vue, s’est « détendue ». Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, où la progression des bénéfices par action, bien que positive, a été de nouveau inférieure à celle des prix pour l’indice S&P 500 : la valorisation, là, s’est plutôt tendue.
Passons en revue 3 déterminants :
La reprise économique a été sensible en 2021, grâce aux mesures prophylactiques qui sont devenues moins mordantes sur l’activité qu’en 2020 et par le jeu des stimulii monétaires et budgétaires qui ont alimenté consommation et investissement. Le PIB mondial, selon le FMI, a progressé de 5,9 % en 2021 après -3,1 % en 2020. Jusqu’à la fin de l’été 2021, dans toutes les zones économiques, les surprises concernant les publications économiques ont été bonnes (cf. graphique), impliquant des révisions haussières des perspectives de production de valeur ajoutée : cela a alimenté des révisions haussières des bénéfices des entreprises, donc la hausse des prix des actions.
Perspectives : la croissance macroéconomique sera un facteur de soutien probablement moindre en 2022, à l’image des surprises économiques positives qui se tarissent depuis l’automne 2021, sans que l’on puisse incriminer seul l’impact sanitaire qui a perturbé l’activité, mais dans des ampleurs moindres que lors des vagues précédentes. Le FMI prévoit un tassement de la croissance mondiale en 2022 (+4,4 % après +5,9 %). La Chine, plus en avance dans le cycle économique, ralentirait davantage (+4,8 % après +8,1 %) que les Etats-Unis (+4,0 % après +5,6 %), où le moindre stimulus budgétaire pèse sur l’activité. En zone euro, l’effet « rattrapage » se poursuit mais mécaniquement à un rythme plus faible (+3,9 % après +5,2 %). La croissance sera un moteur moindre à la progression des bénéfices des entreprises, donc des cours boursiers.
La hausse des prix a globalement été sous-estimée : c’est un fait marquant de 2021, particulièrement à l’automne, et particulièrement en zone euro, du fait de la crise énergétique qui a perturbé les prévisions. L’évolution des prix des biens et services a une conséquence sur les actions de façon directe, via la formation des marges des entreprises, et indirecte, via les conditions de financement (cf. partie 2). En 2021, la hausse des prix ne semble pas avoir eu d’effet notoire sur les révisions de bénéfices des indices boursiers. Plusieurs raisons à cela : i) au sein des indices boursiers, sont représentées des entreprises dont les coûts de production ont augmenté, et dont les marges sont en conséquence potentiellement sous pression ; mais également des entreprises peu atteintes voire gagnantes (ex : producteurs d’énergie), ii) certaines entreprises, vu la forte demande de biens qui leur est adressée dans cette phase du cycle économique particulière, ont retrouvé du pricing power (pouvoir de fixation des prix) : elles n’ont pas eu à compenser la hausse des coûts par une érosion de leur marge (la demande finale découragée par la hausse des prix de leurs biens produits était supportable vu l’épaisseur de leur carnet de commandes) ; et iii) les entreprises ayant réduit leur taux de marge ont bénéficié d’une assiette de marge plus forte vu la forte production, sans affecter donc la masse des bénéfices.
Perspectives : si l’inflation devrait ralentir en 2022 (perspectives 2022 : lien), avoir à l’esprit trois points d’attention :
i) le ralentissement de l’inflation ne traduisant pas une baisse du niveau des prix mais une moindre croissance, il ne libère donc pas de marge : il faut avoir un raisonnement sur le niveau des prix, notamment des matières premières ;
ii) les hausses de prix vont changer de nature : quoique moindres, elles vont être davantage globales. D’abord, si l’inflation 2021 a été le fait de nombreux chocs spécifiques et localisés, les effets de diffusion de l’inflation passée dans l’inflation future (les effets dits « de second tour » ou « capillaires », voir notamment un article de Rexecode : lien) vont se traduire par une hausse des prix de nombreux biens et services, d’un grand nombre de salaires, dans un nombre probablement plus élevé d’entreprises. Les bénéfices pourraient donc en pâtir. Ensuite, les tensions du marché du travail sont fortes (Etats-Unis) et pourraient générer un partage de la valeur ajoutée au bénéfice des salariés : si ce partage se produit avant formation du résultat (via les salaires plutôt que l’intéressement), cela impactera les coûts de production. Sans gain de productivité et ajustement du prix de vente, c’est le taux de marge qui en patira. Il en est de même, enfin, sur un facteur à surveiller : un des enseignements de la crise est l’intérêt d’accepter un coût de production plus élevé pour avoir plusieurs fournisseurs, localement diversifiés, pour être davantage résilient aux chocs locaux (confinements, géopolitiques) et moins dépendant des aléas du commerce mondial (coût du fret, devenir des droits de douane) ;
iii) quid du pricing power, qui semble avoir été fort en 2021 ? La surconsommation de biens, qui ne devrait pas durer, questionne la capacité des entreprises à transmettre la hausse des coûts au prix de vente au consommateur.
Le contexte monétaire est un facteur déterminant des marchés boursiers via :
i) son action sur le cycle économique global, tantôt freinante (lorsque la banque centrale mène une politique monétaire face à un choc inflationniste, par exemple, pour freiner la demande de biens et services) ou au contraire stimulante (c’est le cas des politiques monétaires depuis plusieurs années) ;
ii) les enjeux financiers internes à l’entreprise : des taux d’intérêt bas facilitent le levier, ce qui bénéficie au développement de l’entreprise (donc augmente les bénéfices futurs, ce qui se retrouve dans le prix de l’action), amoindrissent les frais financiers (améliorant la marge) et encouragent l’usage de la dette (rachat d’actions pour augmenter les bénéfices par action et les cours boursiers, comme observé aux Etats-Unis) ;
iii) la demande d’actifs risqués : lorsque les liquidités sont abondantes et les rendements des actifs les moins risqués sont bas voire négatifs (le cas d’une grande partie des marchés monétaires et obligataires souverains développés ces dernières années), les investisseurs à la recherche de rendement sont poussés, faute de mieux, à acheter des actions, ce qui fait grimper mécaniquement leurs prix (rappelant, par exemple pour le CAC 40, que le taux de dividende est assez stable autour de 3 %/an).
Perspectives : le contexte monétaire va singulièrement évoluer en 2022. S’il est exclu que les banques centrales mènent des politiques monétaires restrictives (qui consisterait, pour la Fed, à accroître le taux directeur au-dessus de 2,5 % en réduisant la liquidité via une baisse de son bilan), se dessine tout de même une normalisation de la politique monétaire outre-Atlantique (perspectives politique monétaire et taux d’intérêt 2022 : lien). La BCE va continuer de faire croître son bilan mais la Fed vise dès 2022 une stabilisation voire une baisse de son bilan. La BCE ne devrait probablement pas augmenter ses taux directeurs alors que la Fed devrait augmenter les siens, les anticipations extraites du marché monétaire faisant état, à date, de 4 hausses de 25 pb. Le marché aura à l’esprit le contexte de 2018-2019 qui avait provoqué des épisodes de corrections boursières.
Rappel du contexte 2018-2019 :
Perspectives : le point faible du CAC 40 est probablement l’inflation et le marché de l’emploi américains qui conditionneront le comportement de la banque centrale américaine. La Fed a un rôle clé à jouer dans la tenue des indices boursiers. Tous les intervenants de marché ont ce risque « 2018-2019 » en mémoire, de même que les membres de la Fed. Il y a donc fort à penser que la normalisation monétaire américaine sera prudente, pour éviter tout désordre financier. Le contexte le plus adverse serait que la Fed soit face à un dilemme entre inflation et stabilité financière. A ce stade, où le marché monétaire anticipe 6 hausses de taux directeurs en 2 ans, portant le taux des fed funds à 1,5 % fin 2023 (à partir duquel est anticipé un plateau), les taux sans risque sont encore faibles (taux 3 mois : 0,34 %, taux 2 ans : 1,0 % ; taux 10 ans : 1,8 %) et inférieurs au taux de dividende du S&P 500 (1,3 %). Néanmoins, tant l’ampleur de la remontée des taux directeurs (qui conditionnent les taux 3 mois et 2 ans) que l’orientation du bilan (qui agit, lui, davantage sur le niveau des taux longs), seront à surveiller en 2022.
Les prix des actions dépendent de la confiance des agents et non des seuls fondamentaux macroéconomiques et monétaires. Le vecteur de risque est dense, tant du point de vue sanitaire (quid de nouveaux variants ?), géopolitique (Taiwan, Ukraine-Russie, impact de la hausse des prix alimentaires sur la stabilité politique…) et bien entendu économique. À cet égard, sont possibles, aux Etats-Unis, des scénarios extrêmes (d’un côté, surchauffe débouchant sur une inflation durable nécessitant une politique monétaire plus dure qu’anticipé, de l’autre, affaissement de la croissance du fait de manque de stimulus et de contraintes d’offre venant du marché du travail). La stabilité financière est questionnée par les niveaux de dette, et il conviendra de surveiller, en cas de hausse de taux d’intérêt marquée, la solvabilité des acteurs. Depuis plusieurs années, les acteurs financiers ont pris davantage de risque qu’ils en désiraient ex ante, par nécessité d’avoir du rendement : la rémunération des risques par les primes de risque qui ont été très compressées est une question sensible.