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Un chiffre a attiré l’attention du monde politique et économique ces dernières semaines : celui de la fertilité en France en 2023. L’Insee estime que le nombre d’enfant par femme s’est élevé à 1,68 pour l’année écoulée, ce qui présage d’un vieillissement de la population « par le bas » avec un non-renouvellement de la population et une baisse relative des jeunes par rapport aux seniors. C’est un risque réel, qui a amené le président de la république à évoquer un « réarmement démographique » de la France, et qui pourrait se matérialiser dans les 20 prochaines années. Cependant, la Chaire TDTE[1] alerte depuis plusieurs années sur le risque d’un vieillissement « par le haut », via la combinaison d’une hausse significative de l’espérance de vie et de l’entrée aux âges élevés de la génération du Baby-Boom, qui se manifestera beaucoup plus tôt.
La Chaire TDTE estime que ces effets se manifesteront dès le début de la décennie 2030, soit dans moins de 10 ans, rendant primordiale une prise de conscience rapide et un plan d’action concret de la part des pouvoirs publics. Le problème majeur associé au vieillissement de la population « par le haut » est celui de la dépendance, que ce soit en hébergement dédié (Ehpad, résidences autonomie …) ou à domicile. Les individus vivant de plus en plus longtemps, ils atteignent plus fréquemment l’âge pivot de 83 ans, qui est aujourd’hui l’âge moyen d’entrée en dépendance[2].
Pour anticiper au mieux les problèmes financiers qui seront associés au vieillissement et à la dépendance il devient alors crucial de pouvoir s’appuyer sur des projections fiables et cohérentes de la dépendance future. C’est le but poursuivi par la Drees et le haut-commissariat au plan avec le modèle Livia[3], mais aussi celui de la Chaire TDTE qui a développé son propre modèle prédictif de la dépendance dans l’article de Genna (2023a). Dans cet article, nous présentons les grandes lignes de la dépendance future et ce à quoi il faut se préparer d’ici à 2030, que ce soit le niveau de dépendance, le profil des personnes concernées ou encore leur répartition géographique.
Comme évoqué, La chaire TDTE est en mesure de proposer une répartition des dépendants futurs sur le territoire français. L’horizon temporel retenu ici est 2030, ce qui représente une projection de moyen terme pour la France. Nous nous baserons ici sur la classification des Groupes Iso Ressources[4] (GIR) pour définir les termes de fragilité et de dépendance. Ainsi les GIR 1 et 2 sont considérés comme étant sévèrement dépendants, les GIR 3 et 4 sont modérément dépendants et les GIR 5 et 6 sont en situation de fragilité. Les projections de la Chaire TDTE sont effectuées en 2 étapes : la première consiste à estimer la probabilité relative de devenir dépendant en fonction d’un certain nombre de critères démographiques et socio-économiques (sexe, revenus, maladie longue …) via un modèle Probit sur les données d’enquête Share[5]. La seconde étape est d’appliquer ces probabilités aux données de recensement 2019 en associant à chaque profil socio-économique sa probabilité de dépendance pour 2030, corrigé du taux de mortalité de chaque catégorie d’individu. Les détails méthodologiques sont à retrouver dans Genna (2023a).
Les cartes suivantes représentent la répartition, en 2030, de la fragilité (GIR 5-6, carte de gauche) et de la dépendance modéré (GIR 3-4, carte de droite) sur le territoire français comme pourcentage des plus de 60 ans. Elles sont utiles afin d’observer l’hétérogénéité territoriale de la perte d’autonomie, qui découle de la démographie particulière de chaque département.
On observe avec ces cartes une réelle hétérogénéité géographique de la perte d’autonomie avec les départements du centre (Allier, Indre et Creuse notamment), du Nord (Nord, Pas-de-Calais et Ardennes) et de la Côté d’Azur qui seront fortement impactés en 2030. Ces résultats sont dûs à une démographie particulièrement vieillissante, mais également à des conditions socio-économiques moins favorables que dans d’autres départements, notamment ceux d’Île-de-France ou de l’Ouest. Lorsqu’il s’agit de la perte d’autonomie nous ne sommes pas tous égaux face à ce risque car cela ne dépend pas que de l’âge ; le sexe, l’activité physique, les revenus, le type d’habitat … sont autant de variables discriminantes face au risque de la dépendance future.
Comme évoqué, les facteurs socio-économiques sont prédéterminant face au risque de perte d’autonomie. Une des caractéristiques essentielles du modèle prédictif de la Chaire TDTE est de pouvoir séparer les dépendants futurs par profil, et notamment par tranche de revenus. Dans le tableau 1 ci-dessous sont détaillés les chiffres de la répartition future des personnes en perte d’autonomie selon leur tranche de revenu, élément essentiel lorsqu’il s’agit de la prise en charge de la dépendance.
On observe que pour chacune des catégories de perte d’autonomie, un peu moins de 50% de la population concernée gagne moins de 25 000€ par an. Ce chiffre est essentiel car d’après les chiffres d’Uni Santé le coût moyen d’un Ehpad en 2023 s’élève à 2204€ par mois, soit 26 448€ par an, ce qui signifie que près d’un dépendant sur deux ne sera pas en mesure de financer sa perte d’autonomie seul.[6]
Il y a, au-delà des questions de santé soulevées par la perte d’autonomie, un véritable enjeu économique car la prise en charge coûte cher, que ce soit en établissement (Ehpad, résidence-services senior, résidence autonomie…) ou à domicile (aide-ménagère, aide médicale, temps consacré par les aidants de la famille …). Une note récente de la Chaire TDTE, Gueye (2024), fait le point sur la question du maintien à domicile, de son coût mais aussi de ses limites par rapport à l’hébergement spécialisé pour la perte d’autonomie.
On l’a vu, les prévisions sur la perte d’autonomie sont peu rassurantes mais il est possible d’agir en conséquence une fois que l’on prend la mesure du problème. Cependant, les mesures prises par l’exécutif sont encore trop timides pour surmonter l’enjeu du vieillissement « par le haut ». La Chaire TDTE milite donc pour l’organisation d’une grande concertation sur le vieillissement et l’élaboration d’un projet de loi ambitieux qui permettra à la France de surmonter le premier défi démographique qui l’attend, avant de pouvoir s’attaquer au problème du vieillissement « par le bas ».
>> A noter le jeudi 7 mars 2024 : Conférence « Agir pour le Grand âge » : Programme et inscription ici
>> Revue d'Economie Financière n° 152 : LE FINANCEMENT DE LA DÉPENDANCE
Luc Arrondel, Marie-Thérèse Casman, Philippe Trainar, Pierre Pestieau, Association d'économie financière / Revue D'économie Financière / 22 février 2024
Notes
[1] Chaire " Transitions démographiques, Transitions économiques "
[2] Source : ministère de la Santé
[3] voir Degremont et al. (2023)
[4] Les détails de ces six groupes sont à retrouver dans l’Annexe 2-1 du Code de l’action sociale et des familles.
[5] Börsch-Supan, A., M. Brandt, C. Hunkler, T. Kneip, J. Korbmacher, F. Malter, B. Schaan, S. Stuck, S. Zuber (2013). Data Resource Profile: The Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe (SHARE). International Journal of Epidemiology. DOI: 10.1093/ije/dyt088.
[6] Cette problématique est analysée plus en profondeur dans Genna (2023b), notamment le recours à l’APA ou la généralisation d’une assurance dépendance obligatoire
Bibliographie
Börsch-Supan, A., M. Brandt, C. Hunkler, T. Kneip, J. Korbmacher, F. Malter, B. Schaan, S. Stuck, S. Zuber,Data Resource Profile: The Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe (SHARE), 2013, International Journal of Epidemiology. DOI: 10.1093/ije/dyt088
Degremont, M., Johnson Le Loher, C., Saranga, K. et A. Kuhn-Lafont, Quand les baby-boomers auront 85 ans, 2023, Haut-Commissariat au plan et matières grises
Genna K., Projeter le nombre futur de dépendants : une approche multifactorielle avec un modèle Probit, 2023, Revue d’économie financière, n°152
Genna K., Assurer la prise en charge de la dépendance future, 2023, Risques n°136
Gueye C., Maintenir à domicile ? 2024, Chaire TDTE