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Crédit ©JeanLuc / Adobe stock
Si c’est le moteur de Gottlieb Daimler qui est à l’origine de l’essor de la voiture à gaz de pétrole en Europe à partir de 1895, ce sont l’imagination et la virtuosité techniques de constructeurs français qui propulsent l’industrie automobile française au premier rang de l’industrie mondiale au début du XXe siècle. Peugeot, Panhard et Levassor, Renault, Citroën et d’autres développent cette industrie qui installe le leadership technique et industriel français jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Cet ADN a profondément marqué l’identité de notre industrie européenne.
Si elle est née aristocratique en Europe, l’industrie automobile va se développer pour devenir un produit de masse aux États-Unis. Dans les années 1950, avec le développement des Trente Glorieuses, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni étendent la puissance de l’industrie européenne par une offre diversifiée avant que le Japon, dans les années 1960, puis la Corée, ne deviennent à leur tour des acteurs majeurs mondiaux.
L’automobile mondiale a connu depuis la crise de 1974, puis celle de 2008, de profondes mutations qui ont affaibli les constructeurs américains, désormais relégués pour General Motors au 4e rang mondial et pour Ford au 7e, et ébranlé l’hégémonie européenne qui conserve avec Volkswagen, 2e constructeur mondial, et Stellantis, 6e constructeur, des groupes puissants mais soumis à une forte pression de transformation.
L’industrie européenne de l’automobile n’est pas restée statique, elle s’est concentrée, a cherché à baisser ses coûts et à faire évoluer son offre. Elle connaît depuis des décennies une transformation à bas bruit qui en a profondément modifié l’implantation géographique, les flux de production et la hiérarchie des marques. Elle se répartit désormais en 4 blocs de pays producteurs. Le tableau 1 montre comment les 13 millions de véhicules (voitures, véhicules utilitaires légers, camions, bus) produits en 2023 sont distribués.
Tableau 1 : Production de véhicules par bloc de pays de production en 2023
Mais, après les effets de la Covid-19 et alors que ceux de la guerre en Ukraine sont très présents, cette longue histoire est aujourd’hui bouleversée par une transformation technologique et systémique sans précédent sous la poussée concomitante de deux forces qui échappent aux constructeurs : le règlement imposé par la Commission et le Parlement européens pour répondre au défi climatique, c’est à dire l’obligation de vendre des véhicules zéro émission en Europe en 2035, et la dynamique turbulente créée par la puissance inattendue de concurrents chinois affûtés, piaffant aux portes de l’Europe pour répondre, avec des produits compétitifs, à ces objectif de décarbonation.
L’électrification de la mobilité individuelle n’est pas une idée neuve, car l’automobile électrique était, dès l’origine, une solution connue et explorée. Il faut revenir à l’analyse que faisait Dick Farman, dès 1896, dans son ouvrage sur les automobiles. Après avoir listé tous les avantages de la motorisation électrique, qui se sont renforcés grâce à l’électronique, il en dressait le principal inconvénient : l’absence d’un générateur d’énergie très léger et pas trop dispendieux. Or, grâce aux fulgurants progrès apportés par la technologie lithium ion liquide, la motorisation électrique est devenue performante et progresse à grands pas, tant sur les batteries, que sur les moteurs et l’architecture du véhicule.
Ce texte a très bien résisté en 128 ans de triomphe de la voiture à pétrole. Il est dommage que cette leçon ait été oubliée par les constructeurs européens. Les conditions de construction de véhicules électriques attractifs et compétitifs sont naturellement présentes en Europe. Mais l’industrie européenne, affligée de myopie et de court-termisme, n’a pas cru à une transformation technique qu’elle ne maîtrisait pas encore, et surtout qu’elle ne souhaitait pas, convaincue qu’elle était de la supériorité de la technologie diesel.
De plus, forts de leurs succès apparents en Chine, les constructeurs européens n’ont pas su mesurer la capacité, le fruit d’un travail méticuleux de plus de trente ans, du gouvernement et des constructeurs chinois à prendre le leadership mondial sur « les voitures à énergie nouvelle » (NEV). En 2014, Xi Jinping avait ainsi déclaré : « Développer des véhicules à énergie nouvelle est le seul moyen pour la Chine de se transformer d’un grand pays automobile en un puissant hub automobile ».
La Chine, contrairement à ses concurrents asiatiques, a choisi de monter en puissance sur son marché intérieur, considérable, avant d’exporter des véhicules performants sur les marchés matures. En fin d’année 2023, la Chine est devenue le premier exportateur mondial devant le Japon et l’Allemagne. Ses marques, BYD, Geely, SAIC, BAIC, NIO, Leapmotor sont, pour l’essentiel, encore inconnues du grand public, mais ne vont pas rester longtemps dans l’ombre. L’industrie des batteries et l’industrie numérique ont accompagné cette transformation pour créer un écosystème compétitif sur l’ensemble de la chaîne de valeur sur le marché domestique et, depuis 2022, à l’exportation.
Aujourd’hui rien ne peut arrêter l’industrie chinoise comme le démontre son aptitude instantanée à réagir à l’alourdissement des droits de douane qui, par ailleurs, est loin d’être une protection robuste et pérenne. Les solutions de contournement existent – fabrication en CKD sur le sol européen ou dans des pays ayant des accords commerciaux avec l’Europe – et cet alourdissement ne sert à rien si l’Europe ne profite pas de ce (court) répit pour construire et appliquer des plans d’action à la hauteur des enjeux.
Pour l’Europe, qui se doit de dissiper ses doutes au plus vite, il n’y a pas d’autre issue que de mettre en place un écosystème complet et compétitif. Elle a toutes les compétences et doit prioriser les capitaux pour le faire. L’UE a commencé à agir pour la production des cellules de batterie mais doit aller encore plus loin et couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur tout en promouvant des véhicules plus soutenables économiquement et écologiquement pour enfin atteindre le marché de masse nécessaire à la réussite de cette transition.
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