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Près de 8 millions de personnes sont en situation de précarité-mobilité dans les zones périurbaines.
En mars 2022, la deuxième édition du Baromètre national des mobilités de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) révélait que 13,3 millions de personnes étaient en situation de précarité mobilité en France. Mais qu’en est-il plus précisément des territoires en périphérie des villes-centres, réputés pour être particulièrement dépendants à la voiture individuelle et souvent considérés comme des « oubliés des politiques de transports publics » ? Pour mieux comprendre la situation au sein de ces territoires, la FNH publie les résultats de son focus sur les zones périurbaines (PU).
La précarité mobilité est un indicateur issu des travaux d’Audrey Berry publiés en 2016 dans un article intitulé « Comment mesurer la précarité énergétique en matière de transports[1] ». Six facteurs[2] sont croisés, permettant d’identifier trois situations distinctes et complémentaires : la précarité carburant, la vulnérabilité mobilité et la dépendance à la voiture. Être concerné par l’une de ces dimensions mène à la précarité en matière de mobilité. Outre ces situations, nous avons également considéré comme précaires les personnes qui déclarent ne disposer d’aucun équipement de mobilité.
Sur 13,3 millions de personnes en situation de précarité mobilité en France, près de 8 millions vivent dans les territoires périurbains. 5,3 millions d’entre eux habitent plus particulièrement dans les zones de densité intermédiaire ou faible, très dépendantes à la voiture individuelle. Ils sont ainsi 21 % à y subir une situation de précarité mobilité, contre 18 % au niveau national. Fortement motorisés, les habitants des zones peu denses et intermédiaires disposent quasiment tous d’une voiture (90 %) et près d’un habitant sur deux (48 %) possèdent deux voitures ou plus, contre respectivement 76 % et 35 % au niveau national. Les ménages privilégient ainsi la voiture aux transports collectifs : seulement 6 % des répondants disent utiliser les transports collectifs urbains de manière quotidienne. Raison principale invoquée : l’absence d’alternatives à proximité ! En effet une personne sur quatre habitant estime n’avoir accès à aucun service de mobilité.
Cette dépendance à la voiture touche surtout les plus fragiles, avec seulement 32% des ouvriers qui déclarent avoir le choix entre différents modes de transport, contre 46% des cadres. Les habitants des zones péri-urbaines peu denses ont également les dépenses les plus importantes en carburant : 22 % des sondés disent consacrer plus de 150 euros de dépenses de carburant par mois (ils sont 16 % au niveau national).
80 % des habitants des zones denses déclarent avoir au moins un transport collectif urbain à proximité. C’est bien plus qu’au niveau national où les sondés ne sont que 56 % à déclarer y avoir accès. Malgré cela, seuls 36 % des sondés habitants dans cette zone déclarent recourir aux transports collectifs comme mode principal. Plus de 59 % disent même utiliser la voiture tous les jours. Les nombreuses alternatives disponibles (bus, métros, tram, train, vélos, scooters ou trottinettes en libre-service, aires de covoiturage, autopartage…) ne suffisent pas à convaincre les habitants de laisser leur voiture au garage.
L’inadéquation de l’offre aux besoins, le coût des alternatives ou les freins comportementaux au changement sont aussi la source de renoncements à un emploi, un rendez-vous médical ou une visite d’un proche. Ces renoncements sont principalement le fait des catégories les plus vulnérables économiquement (demandeurs d’emplois, CSP-, etc.).
Un exemple : 34 % des demandeurs d’emploi du périurbain dense et 26 % des demandeurs d’emplois du périurbain de densité faible ont renoncé au moins une fois à un emploi au cours des 5 dernières années.
Les chiffres de ce baromètre démontrent clairement l’urgence à densifier une offre de transports suffisante pour donner à chacun, quel que soit son lieu de vie, le choix d’une mobilité plus durable. Des solutions décarbonées de court terme et accessibles financièrement, doivent être mises en place pour accompagner les habitants vers le report modal. Ces politiques publiques des transports doivent aussi s’adresser aux plus démunis, et aux territoires les moins pourvus de solutions de mobilités afin de favoriser l’accessibilité et l’inclusion.
Insuffisantes socialement, les politiques publiques ont également été défaillantes pour engendrer une baisse des émissions de gaz à effet de serre (EGES) dans le secteur des transports. Depuis 1990, les EGES des transports ont même augmenté de 9 % et représentent près du tiers (30%) des émissions de la France en 2021[3], l’amélioration de la performance environnementale des véhicules n’ayant pas permis de compenser l’augmentation de la circulation.
Pour aller plus loin et interroger les solutions à notre portée, la FNH a mené une série d'entretiens qualitatifs. Réalisés auprès de chercheurs, de scientifiques, d’élus territoriaux, et d’acteurs privés, ces échanges ont permis de mettre en lumière les initiatives et expérimentations à court terme. Ces solutions (déploiement d’un « système vélo », mise en place de lignes de covoiturage et de transports à la demande, développement des véhicules intermédiaires et politiques d’aménagement des territoires) visent à réduire les émissions carbone, tout en garantissant l’accessibilité financière à l’ensemble des ménages et la viabilité économique du modèle. Ces initiatives s’adressent tout particulièrement aux territoires périphériques les moins denses et les plus soumis à la dépendance à la voiture.
Sur 13,3 millions de personnes en situation de précarité mobilité en France, près de 8 millions vivent dans les territoires périurbains. Dans le périurbain peu dense, ils sont 21% à y subir une situation de précarité mobilité, contre 18% au niveau national. Ces chiffres démontrent clairement l’urgence à densifier une offre de transports suffisante pour donner à chacun, quel que soit son lieu de vie, le choix d’une mobilité plus durable. Avec 12% des sondés en situation de précarité mobilité, le périurbain dense présente une situation différente. Les alternatives à la voiture individuelle existent, mais sont encore insuffisamment utilisées. Un constat qui illustre la difficulté à changer des habitudes fortement ancrées[4]. La déconstruction des représentations associées à chacun des modes de mobilité est un prérequis pour élaborer un nouveau récit et éclairer le débat citoyen. Ce changement culturel passera notamment par une sensibilisation du grand public sur le coût réel de l’autosolisme et à plus de pédagogie pour lever les divers freins psychologiques, économiques ou liés à la praticité (destinations, fréquences, horaires) des transports collectifs.
Le Baromètre en fait la démonstration : des solutions décarbonées de court terme et accessibles financièrement sont nécessaires pour accompagner les habitants vers le report modal. Infrastructures vélo, lignes de covoiturage, développement des véhicules intermédiaires ou expérimentations d’innovations… Dresser une cartographie exhaustive de ces initiatives existantes permettrait d’identifier les solutions les plus pertinentes et économiquement viables à déployer sur le court-terme. A plus long terme, des investissements sur les infrastructures lourdes et des évolutions législatives permettant une meilleure allocation des moyens doivent également être planifiés afin de multiplier le nombre de déplacements en transports en commun, de lancer un plan de relance ferroviaire pour son entretien et sa modernisation, ou encore de doubler le réseau cyclable national. Nous n’atteindrons ces objectifs que si l’Etat et les collectivités territoriales en font leur priorité.
La Caisse des Dépôts soutient les activités de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH). Reconnue d’utilité publique, la FNH œuvre depuis 1990 pour des solutions écologiques et solidaires en élaborant des propositions de politiques publiques qui placent les enjeux écologiques au cœur de la société.
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Focus issu du baromètre des mobilités du quotidien n°2
[1] Audrey Berry, Céline Guivarch, Yves Jouffe, Nicolas Coulombel, « Comment mesurer la précarité énergétique en matière de transport », Revue de l'Energie, 2015
[2] Facteurs retenus : Bas revenus, restriction de l’usage de la voiture, dépenses élevées en carburant, distances parcourues élevées, absence d’alternatives à la voiture, véhicule à faible rendement.
[3] Citepa (2022), Gaz à effet de serre et polluants atmosphériques – Bilan des émissions en France de 1990 à 2021
[4] Anaïs Rocci, De l'automobilité à la multimodalité? Analyse sociologique des freins et leviers au changement de comportements vers une réduction de l'usage de la voiture. Le cas de la région parisienne et perspective internationale, 2007