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Le 25 septembre dernier, le président de la République affirmait devant le Conseil de la planification écologique sa volonté de construire une stratégie « de baisse des émissions de CO2 et d'adaptation visant également à renforcer notre souveraineté, et donc réduire nos dépendances, compatible avec notre objectif de réindustrialisation et de plein emploi.[1] »
Le chemin de la transition juste doit être pensé à partir de l’objectif d’un monde décarboné. La décarbonation de nos modes de production et de consommation constitue un impératif auquel la France s’est engagée à répondre, et qui ne doit pas être dissocié de l’impératif de renforcement de la souveraineté géostratégique et géoéconomique du pays, ni de l’Europe. La multiplication des crises rend compte de la nécessité de réduire la dépendance de la France à un commerce international morcelé.
Les chaînes d’approvisionnement mondiales témoignent aujourd’hui de la forte imbrication des enjeux de décarbonation, d’autonomie stratégique et de croissance économique. Caractérisées par leur diversité et leur fragmentation, elles témoignent du phénomène de dépendance accrue de nombreuses entreprises européennes causé par la fragmentation de la production sur de multiples localisations.
Les failles des politiques industrielles européennes ont été mises en exergue après que la pandémie de Covid-19 a donné à voir une Europe incapable de garantir son indépendance économique et sanitaire. La crise a mis sous forte tension certaines chaînes de production du fait de l’augmentation brutale de la demande mondiale et de l’instauration par certains gouvernements de restrictions à l’exportation. L’exemple des masques de protection atteste de la dépendance des États européens aux décisions de leurs partenaires commerciaux. Cette interdépendance généralisée est également dangereuse au vu de la multiplication des conflits internationaux, certaines puissances ayant la capacité à décider de restreindre l’importation et l’exportation de biens et services essentiels à l’économie. Cela devrait conduire les européens à privilégier des choix économiques plus stratégiques, en renonçant à des offres et à des débouchés extracommunautaires attrayants financièrement mais susceptibles de les rendre politiquement vulnérables.
Ces dynamiques remettent à l’honneur dans le débat public l’idée de relocalisation et de politique industrielle. Ces notions sont des instruments pour répondre à la fois au défi climatique et à la préservation des intérêts stratégiques et économiques des États européens. La relocalisation permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport international de marchandise et de garantir un approvisionnement fiable en biens essentiels. En réduisant la dépendance excessive aux sources d’approvisionnement étrangères, elle constitue également un outil de stimulation de l’innovation, de soutien aux industries critiques et de création d’emplois locaux.
Néanmoins la relocalisation sur le territoire national de l’ensemble de l’industrie ne peut constituer une politique économique efficace. Certains fournisseurs sont les seuls détenteurs de ressources rares. Ainsi, la plupart des vaccins nécessitent l’addition d’adjuvants, dont l’un des plus élaborés est issu d’un arbre qu’on trouve au Chili, et dont la Suède est le premier transformateur, rendant incontournable l’importation pour les autres pays.
L’analyse des limites de la relocalisation doit permettre de l’organiser avec pragmatisme, selon une approche transversale qui privilégie l’objectif de décarbonation et le renforcement de la souveraineté. Dans la mesure où les États membres disposent d’atouts différents afin d’encourager les relocalisations, il leur appartient de concentrer leurs efforts dans les secteurs d’activité qu’ils jugent stratégiques.
À l’échelle nationale, il est souhaitable que l’État mettre en œuvre des politiques d’aides ciblées au rapatriement de certaines activités sur le territoire. Pour ce faire :
Intensifier les échanges entre pays européens est aussi un moyen de réduire la dépendance de la France à des puissances extérieures moins fiables que nos voisins. Pour ce faire, l’UE dispose de multiples outils, de nature interne (marché unique, financements communs, incitations industrielles) et externe (politique commerciale). Dans la mesure où les reconcentrations[2] sont un choix des entreprises privées, l’UE doit préserver les atouts du marché unique : la sécurité juridique et la diversité. Il convient également d’inciter à la reconcentration en rendant la production hors Europe complexe et coûteuse, par les droits de douanes, les quotas, les barrières non tarifaires et les règles en matière de services et d’investissements.
Le critère de la décarbonation de la production doit être indissociable de la conception jusqu’à l’acheminent sur le territoire. Cette politique doit conduire à une croissance vertueuse, qui dynamiserait des activités majeures de la décarbonation, comme le fret ferroviaire. La protection de l’actionnariat européen constitue également un impératif pour favoriser une reconcentration industrielle en Europe, tout comme la création de champions industriels européens, et donc d’emplois. La stimulation de la concurrence entre les entreprises européennes doit permettre un rapatriement de la valeur, en faisant de l’innovation un objectif différenciant pour chaque entreprise. L’Europe doit ainsi localiser sur son territoire les industries vertes de demain et assurer son rattrapage technologique.
L’ensemble de la production de biens manufacturés à forte implication de main-d’œuvre a peu de chance d’être reconcentré en Europe : les rapatriements et les concentrations ne pourront pas ramener l’industrie manufacturière à son niveau des années 1970-1980. Dans la mesure où il est impossible de se passer de ces productions, l’Union doit travailler au rapprochement de ces activités auprès de nos voisins proches comme les pays du Maghreb et les Balkans occidentaux. Leur proximité est un atout qui contribuerait à la réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les politiques de relocalisation doivent être pensées et conçues selon des cercles d’intérêts environnementaux, économiques et géostratégiques, imbriqués les uns aux autres d’après un équilibre décisionnel et organisationnel capable de garantir l’efficacité et la résilience nécessaires à la mise en œuvre de l’économie décarbonée d’un État souverain.
La Caisse des Dépôts, au travers de l’Institut pour la recherche, soutient les activités de la Fondation pour l’innovation politique. Ce think tank contribue, par ses études, au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public.