cicéron
c'est poincarré
Environ un mois après le début de l’extension du conflit du Donbass au reste de l’Ukraine, nous proposons un panorama du marché de taux d’intérêt, détaillant les conséquences d’une onde de choc qui bouleverse les prix et les taux sur les marchés financiers. Taux monétaire, taux obligataires souverains (nominaux, réels), taux obligataires privés des marchés occidentaux sont passés en revue. L’onde de choc est sensible et paraît avoir des conséquences variées qui dépassent l’horizon de court terme.
En propos liminaire, pour comprendre l’environnement « fondamental » sous-jacent aux variations des taux d’intérêt, rappelons 4 principales conséquences déterminantes pour les taux d’intérêt surveillées par les économistes en cas de choc géopolitique, bien entendu différentes selon l’ampleur et la durée du choc, selon les mesures contracycliques monétaires et budgétaires mises en place, et évidemment aux implications contrastées selon que les agents sont au cœur, à la périphérie ou lointains des conflits :
Le choc actuel se singularise par un regain inflationniste particulièrement majeur. Selon l’ampleur et la durée du choc et la proximité au risque (les Etats-Unis sont moins exposés que la zone euro actuellement au choc énergétique), plusieurs scénarios sont envisageables : a) la croissance est juste érodée et l’inflation un peu plus forte que prévu, b) si l’emprise est plus forte, s’accroît le risque d’un régime de croissance nulle concomitant avec une inflation élevée (une forme de « stagflation »), c) pouvant déboucher sur une récession et une déflation en aval dans certains pans de l’économie (contraction durable et auto-entretenue de la demande et de l’offre). Ce sont ces risques qui sont plus ou moins intégrés dans les différents compartiments des taux d’intérêt que nous allons passer en revue, en ligne avec les implications structurelles génératrices d’inflation, consommatrices de capital donc entrainant des taux d’intérêt plus élevés.
Les banques centrales ne peuvent lutter contre l’inflation émanant des chocs d’offre (matières premières énergétiques et alimentaires) mais ont un rôle crucial à jouer : elles doivent être suffisamment présentes, au moins verbalement, au plus en montant les taux directeurs pour guider les agents qui croient en la capacité des banques centrales à diriger l’inflation. En l’espèce, les banques centrales doivent guider, par la parole, voire agir pour que les agents n’inscrivent l’inflation comme un phénomène trop durable (auquel cas, toute hausse des prix actuels, par le jeu des anticipations de l’indexation des salaires et des autres prix, génèrerait une inflation future élevée et généralisée à tous les produits). Les banques centrales doivent parler et agir avec tact, pour ne pas être trop mordantes sur la sphère financière et l’économie, dans la mesure où certains pans de l’économie (surtout en zone euro) ne sont pas en surchauffe de demande, donc ne méritent pas une politique monétaire trop dure, qui plus est dans une situation dans laquelle le choc inflationniste ralentit déjà per se une partie de la consommation et de l’investissement.
Distinguons les Etats-Unis de la zone euro :
Les taux obligataires sont confrontés à des forces opposées :
Ces forces opposées ne se manifestent pas toutes en même temps et selon la même intensité. A ce stade, les forces haussières l’emportent sur celles baissières : le T-Notes américain et le taux OAT 10 ans français ont augmenté de 41 et 76 pb depuis le début de l’année, à respectivement 2,18 % et 0,96 % le 22 mars. Les anticipations font état, comme pour les taux monétaires, de révisions haussières des perspectives (source : consensus Bloomberg) : le taux T-Notes 10 ans, qui était anticipé en début d’année à 2,0 % et 2,3 % fin 2022 et fin 2023, est maintenant attendu à 2,3 % et 2,6 %, le taux OAT 10 ans se tendant davantage (attendu à 0,9 % et 1,15 %, soit + 60 et 50 pb).
Le choc inflationniste augmente la demande d’obligations indexées sur l’inflation : les investisseurs veulent se couvrir contre ce risque qui, on l’a vu avec les crises énergétiques, devient de moins en moins prévisible. La demande pousse les prix à la hausse et les rendements à la baisse : ces obligations ont des prix proches de leur plus haut historique, cette classe est « la » classe refuge des marchés de taux dans le contexte actuel.
Pour la gamme A et BBB des entreprises non financières, les primes (au-dessus du taux swap) s’établissent à 36 et 91 pb, soit en hausse de +13 pb et +32 pb. Les obligations sont moins recherchées par les investisseurs, les primes augmentent pour attirer les capitaux. Sont en cause :
i) une réaction épidermique de moindre appétit pour le risque des investisseurs vu le contexte géopolitique,
ii) un environnement fondamental moins bon, avec un contexte moins riche en croissance et plus riche en coût qui menace les marges : le risque de moindre rentabilité et donc de hausse de la probabilité de défaut, augmente ; notons que depuis de début de l’année, sur la gamme Investment grade de trois agences (Moody’s, Fitch et S&P), il y a quasi-équilibre entre les abaissements et les rehaussements de notations (alors que 68 % des révisions étaient haussières en 2021),
iii) une moindre demande à venir de la BCE (arrêt programmé des achats d’actifs) et des investisseurs qui ont des rendements d’obligations moins risquées (souveraines) de plus en plus attrayants (dès lors, il est moins nécessaire de prendre du risque pour avoir du rendement).
Dans notre panorama de début d’année (Taux d’intérêt : bilan 2021, perspectives 2022), nous abordions deux autres problématiques :
Ces phénomènes n’apparaissent pas comme des phénomènes seulement de court terme…