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Fleur Pellerin, ancienne ministre de la Culture et de la Communication dans le gouvernement de François Hollande, est désormais entrepreneuse. A la tête du fonds d’investissement Korelya Capital qu’elle a créé en 2016, elle investit dans les start-up hexagonales et européennes.
Ancienne magistrate à la Cour des comptes, elle a fait le choix de quitter la fonction publique et la politique pour s’investir pleinement dans l’innovation numérique. Elle est l’une des meilleures incarnations d’une reconversion réussie dans le secteur privé après 15 ans au service de l’intérêt général.
On imagine que se reconvertir après avoir été ministre, c’est forcément facile : est-ce le cas ?
Pour moi qui suis issue d’une famille de la classe moyenne, avoir été ministre de la République fut une chance inespérée. Je ne pense pas que se reconvertir après avoir été ministre soit facile. Psychologiquement, il faut être prêt à se remettre en question, après avoir occupé des fonctions dans lesquelles vous étiez donneur d’ordre et, à ce titre, courtisé ou flatté en permanence. À ma sortie du gouvernement en 2016, j’ai reçu de belles propositions, mais être « recasée » ou « pantoufler » dans une grande entreprise n’étaient pas des perspectives qui me séduisaient.
Ma trajectoire personnelle m’a aidée à garder les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Cette première vie professionnelle dédiée à l’intérêt général m’a structurée et me nourrit dans mon action d’investisseuse. J’ai même le sentiment de poursuivre l’engagement envers la Tech française que j’avais comme ministre de l’innovation, des PME et de l’économique numérique (entre 2012 et 2014 à Bercy).
Comment est née l’idée de créer votre entreprise ?
C’est à l’issue d’une discussion avec le fondateur de NAVER (le numéro un de l’Internet coréen) sur la souveraineté numérique et la nécessité de faire émerger des acteurs face aux GAFAM américains et BATX chinois que l’idée de créer un fonds d’investissement pour soutenir la Tech européenne a germé. J’ai donc démissionné de la fonction publique pour créer mon entreprise, Korelya Capital, qui gère aujourd’hui 330 millions d’euros investis dans 17 start-up. Nous les aidons à croître et se développer en Asie. Au passage, mon chemin de vie professionnel a rejoint mon histoire personnelle, car bien qu’étant née en Corée du Sud, je n’étais jamais retournée dans ce pays depuis mon adoption et mon arrivée en France à 6 mois. Ce sont les hasards et les opportunités de la vie.
Quels ont été les principaux obstacles ?
Créer une entreprise est une aventure. L’avoir traversée moi-même me donne beaucoup d’humilité ainsi qu’un immense respect pour celles et ceux qui s’y lancent. Au début, j’ai vécu la solitude bien souvent décrite par les néo-entrepreneurs même si j’ai eu la chance de m’associer avec un ami en qui j’ai toute confiance. Nous avons commis des erreurs, et sans doute aurions-nous dû solliciter davantage de conseils à l’extérieur, requérir à du coaching. Venant de l’univers de la fonction publique, j’étais très peu formée à certains aspects de management, par exemple les méthodes de négociation ou encore à la préservation de mes propres intérêts… Mais je me félicite de mon choix, la France est un formidable pays où entreprendre. Je remarque que le souhait des étudiants des grandes écoles commerces a évolué au fil des ans : ils n’ont plus forcément envie de rejoindre une entreprise du Cac 40 ou l’un des Big 4 du conseil mais souhaitent de plus en plus créer leur propre emploi.
Avec Mon Compte Formation, les Français ont la possibilité de se former tout au long de leur carrière, qu’en pensez-vous ?
Je trouve très bien de donner aux personnes les moyens de leur émancipation professionnelle pour décider de quelles formations elles ont besoin pour choisir leur voie. Adapter les compétences aux besoins du marché du travail est un des défis de nos sociétés occidentales. Il n’est pas exclu que j’utilise mon Compte personnel de formation pour apprendre le coréen que je ne parle pas !
Crédit Stephane LAGOUTTE/Challenges-REA
Votre fonds investit dans les start-up : quel rôle jouera le numérique dans les métiers de demain ?
Le numérique sera indispensable, quel que soit le métier exercé, dans tous les secteurs de l’économie. La crise sanitaire a permis à la France d’accélérer sa digitalisation et de rattraper une partie de son retard. Ainsi, le secteur du commerce a accéléré sa mue en ligne et a révolutionné nos vies de consommateurs et le fonctionnement des villes avec l’essor de la livraison.
Comme investisseuse, je vois passer beaucoup de start-up dans le secteur de ce qu’on appelle le « HR Tech » et du « Future of Work ». Dans ce monde post-Covid, réinventer le travail fait aussi partie des défis qui nous attendent. Le numérique permet désormais à des millions de personnes de télétravailler et va rééquilibrer la France au profit des territoires. Comme souvent, c’est à la fois une menace, pour les emplois que le numérique va rendre obsolètes, et une opportunité, pour ceux auxquels il va donner naissance. Il faut donc saisir la chance et limiter les effets néfastes de la menace. C’est pourquoi l’enseignement du numérique et de ses enjeux, dès le plus jeune âge, est fondamental, pour le dompter et le mettre au service du bien-être général. Dans le monde de la data, il faut choisir entre coder ou être codé !
Avez-vous un message pour ceux qui veulent se lancer dans une nouvelle carrière ?
J’ai un message et deux conseils à leur donner. Tout d’abord, bravo de prendre ce risque ! Changer de vie professionnelle, c’est sortir de sa zone de confort mais c’est très gratifiant. Je vous conseille de beaucoup échanger avec ceux qui ont « switché ». Je crois en la force du role model qui transmet son expérience. Enfin, n’ayez pas peur de l’échec. Il permet de rebondir. L’échec a des vertus et permet de réussir ensuite.
Si un jour vous décidez de vous lancer à nouveau dans une nouvelle carrière, quel métier exerceriez-vous ?
C’est un peu de la science-fiction… Donc je vous réponds en plaisantant, au moins à moitié ! Si j’en avais les moyens, je deviendrais chanteuse d’opéra et même plus précisément, je serais Cécilia Bartoli. Mais je vous rassure, cela ne risque pas d’arriver !