La retraite en France est un droit quérable, c’est-à-dire que c’est à l’assuré d’en faire la demande. Fin septembre 2021, une personne sur trois née entre 1947 et 1952 et ayant acquis des droits retraite à l’Ircantec, le régime complémentaire des non titulaire de l’État et des collectivités publiques, ne les avait pas fait valoir.

En France, l’ampleur du non-recours est sensiblement différente d’un régime de retraite à l’autre. Elle reflète des disparités dans le déroulement des carrières des assurés et le non-recours est notamment plus fréquent dans les régimes de retraite au sein desquels une proportion importante d’assurés a des carrières courtes, comme c’est le cas pour l’Ircantec. Selon une étude de la Drees (Langevin et Martin, 2019), ce régime détient le taux de non-recours le plus élevé parmi les régimes de retraite (41 % des personnes nées en 1946 n’avaient pas liquidé leurs droits), juste devant la retraite complémentaire de Sécurité sociale des indépendants (SSI-complémentaire, à 33 %) et la retraite de base de la Mutualité sociale agricole des salariés (MSA-salariés, à 24 %). À l’inverse, ce taux est quasiment nul pour les assurés des régimes de la fonction publique (SRE et CNRACL) et de l’ordre de 13 % pour les affiliés au régime général.

S’agit-il d’oublis, de montants de pensions trop faibles, de manques d’information… ? Les raisons du non-recours sont probablement multiples. Celui-ci est toutefois davantage répandu chez les personnes ayant accumulé peu de points (situation fréquente à l’Ircantec, dont la moitié des nouveaux retraités y a cotisé moins de deux années) : les droits non réclamés par les affiliés du régime représentent en moyenne un peu plus de 200 euros bruts par an si on valorise les droits non liquidés à la valeur de service du point de 2021. Inversement, plus les droits acquis sont élevés, plus la probabilité que l’assuré les fasse valoir augmente. Sur les générations 1947 à 1952, la part de non-recours est plus importante (graphique 1) parmi les affiliés :

  • dont le NIR (numéros d’identification au répertoire, plus connu sous l’appellation numéro de sécurité sociale) n’est pas certifié (la certification, effectuée par l’Insee, consiste à vérifier la concordance avec les données d’état civil) ;
  • ayant acquis peu de points ;
  • nés à l’étranger ou dans les DROM-COM ;
  • dont le dernier employeur conduisant à l’acquisition de droits à l’Ircantec relève de la fonction publique d’État (notamment les ministères et établissements publics des finances, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur) ;
  • qui étaient encore jeunes lorsqu’ils ont cessé de cotiser à l’Ircantec.

 

Graphique 1.
Taux de non-recours suivant les caractéristiques individuelles des affiliés

Source : données construites par les auteures à partir des bases annuelles de l’Ircantec.
Périmètre : salariés affiliés à l’Ircantec des générations 1947 à 1952 encore en vie à 60 ans.
Note de lecture : le taux global de non-recours à l’Ircantec est de 33,1 %. Pour les femmes, ce taux descend à 30 % et pour les hommes, il s’élève à 38 %.

 

Si le taux de non-recours demeure élevé à l’Ircantec, il diminue rapidement à partir de la génération 1949. Cette génération est la première à recevoir les documents du droit à l’information (DAI) : relevés de situation individuelle et estimations indicatives globales. C’est aussi celle qui a eu 60 ans en 2009, année à partir de laquelle les échanges entre l’Ircantec et les Centres d’information, de conseil et d’accueil des salariés de l’Agirc-Arrco (Cicas) sont entièrement dématérialisés.

Une analyse économétrique (modèle logit) sur les affiliés de l’Ircantec nés entre 1947 et 1952 a été menée pour isoler l’impact spécifique des différentes caractéristiques des individus, et notamment de leur année de naissance, sur la probabilité de non-recours. Elle confirme les résultats descriptifs (graphique 2). Elle suggère également que la baisse du non-recours est en grande partie imputable à la mise en œuvre du DAI et à l’amélioration des mécanismes de liquidation inter-régimes. La probabilité relative du non-recours diminue pour les plus jeunes générations et notamment celles nées entre 1948 et 1951 : elle est 1,9 fois supérieure pour la génération 1948 par rapport à la génération 1952. Elle diminue de 0,6 point pour la génération 1949 puis de 0,2 point pour la génération 1950. Les probabilités de non-recours des affiliés nés en 1951 et 1952 sont quasi-identiques, ce qui suggère que l’amélioration de l’information sur la retraite a eu un effet significatif et immédiat sur le non-recours, effet qui se répercute quasiment à l’identique sur les générations suivantes et atteint un plateau dès la génération 1951. Ce mouvement de réduction du non-recours pourrait se poursuivre dans les années à venir suite à la mise en œuvre, début 2019, de la demande unique de retraite en ligne pour l’ensemble des régimes de retraite français.

 

Graphique 2.
Probabilité relative de non-recours (odds ratio de la régression logistique)

Seuils de significativité des variables : *** 1 % ; ** 5 % ; * 10 %.
Source : données construites par les auteures à partir des bases annuelles de l’Ircantec.
Périmètre : salariés affiliés à l’Ircantec des générations 1947 à 1952 encore en vie à 60 ans.
Note de lecture : les odds ratios représentent le risque relatif d’une modalité par rapport à la modalité de référence. Un odds ratio supérieur à 1 indique que la probabilité de non-recours pour la modalité testée est supérieure à la modalité de référence. Par exemple, le fait d’être dans la tranche 0 à 100 points accroît le non-recours de 21,6 fois par rapport à la tranche de plus de 3 000 points. Inversement un odds ratio inférieur à 1 signale que le non-recours est plus faible pour la modalité testée que pour la modalité de référence.

 

Vous pouvez retrouver l’étude complète réalisée par Gladys Bousquet et Aurélie Brossier sur la réduction du non-recours à l’Ircantec dans Questions Politiques Sociales – Les études n°35, ainsi que les données des graphiques sur le site https://politiques-sociales.caissedesdepots.fr/ à la rubrique Publications et statistiques. Y sont disponibles l’ensemble des publications de la direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts. QPS – Les études a vocation à faire connaître les résultats des travaux d’études dans l’ensemble des domaines de la protection sociale (retraite, vieillissement, handicap…) et de la formation professionnelle. Elle est complétée par QPS – Les cahiers, qui est une série de documents de travail diffusant des études approfondies, et QPS – Les brèves, qui propose des éclairages statistiques.