cicéron
c'est poincarré
Crédit ©chokniti - Adobe stock
Cet article est le quatrième d’une série restituant les grands enseignements de l'étude parue en février 2022 « Pour des métropoles low-tech et solidaires » menée par le think tank Le Labo de l’ESS avec 6 territoires (Bordeaux, Lille, Lyon, Paris, Poitiers et Strasbourg) avec le soutien de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, montrant que l’économie sociale et solidaire (ESS) est particulièrement ressource pour la mise en œuvre d’une telle démarche.
Lire aussi :
1. Low tech vs high tech : quel futur pour les villes ?
2. Habiter : construire moins, mieux et repenser l’espace public
3. Sobriété, faire soi-même et économie circulaire : nouveau modèle de consommation en germe”
5. Villes low-tech, villes productives mais pas productivistes
Face à la nécessité de réduire notre empreinte écologique et à la prise de conscience des risques liés à notre dépendance à la technologie, la démarche low-tech interroge nos besoins sous l’angle de la sobriété. Il ne s’agit pas de s’astreindre à un ascétisme forcé, mais plutôt de réduire notre consommation individuelle et collective en nous recentrant sur ce qui nous est réellement utile.
Notre économie a en effet multiplié les outils, objets et services – intégrant de plus en plus des composantes technologiques – dont l’usage n’est pas toujours nécessaire pour répondre à nos besoins. Cette société de surconsommation – du superflu – est largement encouragée par le développement du marketing et de la publicité qui visent à sans cesse recréer le désir d’acquérir un nouveau bien ou service. Ce renouvellement de plus en plus rapide des consommations entraîne un gaspillage très important, consistant notamment à jeter un grand nombre d’objets encore fonctionnels ou à acheter des choses qui ne nous sont pas réellement utiles et que nous n’utilisons donc pas ou peu.
La surconsommation est également au cœur des enjeux d’inégalités. Marqueur d’une ascension économique et sociale, consommer demeure un moyen de différentiation[1] alors que, dans le même temps, un nombre croissant de personnes rencontrent des difficultés à répondre à leurs besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, s’habiller, etc.). L’impératif de sobriété ne s’impose donc pas uniformément à tou·te·s, mais bien prioritairement et plus fortement à mesure que le revenu – et donc, en moyenne, la consommation – augmente[2] . Cet impératif n’est dès lors pas contradictoire avec l’objectif de lutte contre la précarité et les inégalités sociales, bien au contraire : nous produisons d’ores et déjà largement plus que ce qui nous est nécessaire pour répondre aux besoins de chacun·e, l’enjeu est de garantir un accès plus équitable à ces biens et services.
Face à ce constat, les valeurs d’égalité et de solidarité qui sont au cœur de l’économie sociale et solidaire apparaissent centrales et l’ESS constitue une actrice majeure pour déployer une sobriété qui permette de répondre mieux aux besoins de tou·te·s tout en consommant moins. De nombreuses initiatives de l’ESS permettent notamment une diminution de la consommation en favorisant et encourageant le troc et l’échange de services entre personnes. C’est par exemple le cas des accorderies, qui associent à un lieu convivial un système d’échange fondé sur une monnaie-temps : chaque service rendu par l’un·e de ses membres envers un·e autre est comptabilisé dans une banque de temps, selon le principe « une heure de service rendu vaut une heure de service reçu ». Certaines structures de l’ESS favorisent également la mutualisation d’objets : des livres pour les bibliothèques associatives, des outils pour les ateliers de bricolage solidaires, etc. À Bordeaux, le tiers-lieu Le Garage Moderne récupère divers objets et outils pour alimenter une « ressourcothèque », les rendant disponibles à la location pour ses quelques 5 000 adhérent·e·s.
Si la démarche de sobriété concerne de façon évidente certains achats courants (électroménager, vêtements, etc.), elle peut également s’appliquer à des enjeux tels que celui de la santé, en favorisant une approche préventive et de soin global tout au long de la vie, afin de réduire in fine le recours aux soins médicamenteux et aux technologies médicales (sans bien sûr s’en passer lorsque nous en avons réellement besoin). C’est la logique qui est au cœur de l’action de ReSanté-Vous, entreprise solidaire d’utilité sociale basée à Poitiers et favorisant l’autonomie des personnes âgées par une approche transdisciplinaire centrée sur la personne et son accompagnement, et non sur les traitements médicamenteux.
La démarche low-tech valorise par ailleurs le faire soi-même (bricoler, coudre, cuisiner, etc.) :
Cette réappropriation de l’acte de produire promue par la démarche low-tech prolonge donc le principe de sobriété en nous encourageant à développer notre autonomie et donc à nous soustraire pour partie à la dépendance croissante à la consommation qui se cache derrière les promesses de confort du développement technologique. Bien sûr, autonomie ne veut pas dire autarcie et il n’est pas possible (ni véritablement souhaitable) que nous répondions individuellement à l’ensemble de nos besoins : là encore, la démarche low-tech renvoie à une question de juste mesure.
Ce principe d’autonomisation fait grandement écho aux valeurs de l’ESS, qui fait primer le renforcement du pouvoir d’agir de tou·te·s sur le profit. Se multiplient ainsi les initiatives de l’ESS qui, au lieu de simplement proposer un bien ou un service standardisé, accompagnent les personnes dans la réappropriation de la réponse à leurs besoins : associations soutenant le développement de jardins partagés comme le PASSE-JARDINS en Auvergne-Rhône-Alpes, structures proposant des ateliers « couture » comme Les Récoupettes à Lille, initiatives favorisant la fabrication d’objets divers comme La Planche à Bordeaux ou L’Atelier du Soleil et du Vent à Lusignan, dans le Grand Poitiers, les Fab Labs ou encore des ateliers d’autoréparation de vélos tels que ceux que propose l’association Bretz’selle à Strasbourg.
En même temps qu’elles nous permettent de développer nos compétences, ces initiatives favorisent le partage, la solidarité et le lien social : on y apprend à faire soi-même en groupe, en s’encourageant et s’aidant mutuellement, là où la technologisation de la consommation tend à ancrer la réponse à nos besoins dans le cadre d’échanges de plus en plus déshumanisés (sites en ligne et livraison à domicile, caisses et services automatisés, etc.).
Enfin, qu’ils aient été achetés ou autoproduits, la démarche low-tech promeut l’allongement de la durée de vie des produits et leur inscription dans une économie davantage circulaire.
Il est tout d’abord important de développer la réparation. Aujourd’hui celle-ci est encore trop souvent délaissée au profit de l’acquisition d’un objet de remplacement, d’une part par manque de sensibilisation, d’autre part parce que les offres de réparation demeurent moins intéressantes (pratiquement et économiquement) que l’achat neuf. En cohérence avec le faire soi-même, la démarche low-tech encourage l’autoréparation lorsque celle-ci est possible (ce qui fait le lien avec l’objectif de simplification des objets et techniques que nous utilisons car la simplicité de l’objet va souvent de pair avec une réparation plus facile). De nombreuses initiatives de l’ESS contribuent à cet objectif en animant des ateliers de réparation (sous la forme de repair cafés notamment) comme le propose régulièrement la ressourcerie Le Poulpe au nord de Paris, en complément de son activité de réemploi. Elles peuvent également offrir des solutions de dépannages et de reconditionnement pour revente comme le fait ENVIE, initialement à Strasbourg puis à l’échelle nationale. Elles développent parfois des partenariats innovants avec des structures qui commercialisent des objets du quotidien. C’est une coopération de cette sorte, entre le Groupe ARES (Association pour la Réinsertion Économique et Sociale) et le Groupe SEB (propriétaire notamment des marques Krups et Moulinex), qui a donné lieu à la création à Paris de ReparSeb, une joint-venture sociale favorisant la réparation par des personnes en insertion des appareils commercialisés par le Groupe SEB.
Il faut par ailleurs tendre vers une économie circulaire, en privilégiant d’abord le réemploi et la réutilisation – qui évitent ou limitent la transformation du produit et donc des consommations en énergie – puis, à défaut, le recyclage. L’ESS développe de façon pionnière depuis de nombreuses années des solutions poursuivant ces objectifs. Il convient notamment de citer Emmaüs ou les ressourceries et recycleries comme, par exemple, La Petite Rockette à Paris pour les objets du quotidien. Certaines structures de l’ESS développent des actions innovantes de prévention et de valorisation des déchets, comme GECCO qui œuvre sur la Métropole européenne de Lille pour la valorisation des huiles de fritures, ou le Réseau Consigne qui soutient le développement en France de filières locales de consigne pour réemploi. Les systèmes de consigne visent à favoriser le retour des contenants aux commerçants en prévoyant dans le prix de vente du produit une somme qui est destinée à être reversée à l’acheteur·euse si celui·celle-ci s’acquitte effectivement du retour après consommation du contenu. [3] pour différents types de contenant (bouteilles, bocaux, boîtes-repas, produits détergents, etc.).
Là encore, il s’agit d’un prolongement du principe de sobriété : en allongeant la durée de vie des biens, par leur réparation et leur réemploi, et en les valorisant une fois qu’ils deviennent des déchets, nous contribuons à réduire notre consommation globale de ressources.
Les trois principes développés ci-dessus – sobriété, faire soi-même et économie circulaire – se complètent donc et dessinent un nouveau rapport à la réponse à nos besoins du quotidien, moins dépendante de la consommation (notamment de produits neufs), plus autonome, conviviale et solidaire. Si la prédominance d’un tel modèle de société paraît aujourd’hui encore lointaine, les visites menées par le Labo de l’ESS dans son étude « Pour des métropoles low-tech et solidaires » inspirent l’optimisme : cette transformation de nos modes de vie est déjà en germe, notamment grâce aux nombreuses initiatives de l’économie sociale et solidaire qui œuvrent à son accomplissement.
[1] BAUDRILLARD, J. (1986). La Société de consommation. Gallimard. Collection Folio essais. 320 pages
[2] Le revenu est d’ailleurs l’un des principaux facteurs du niveau de contribution d’une personne aux émissions de gaz à effet de serre. Voir par exemple : BILLARD, S. (2021). Plus on est riche, plus on émet de CO2 (mais le revenu n’explique pas tout). L’Obs. URL : https://www.nouvelobs.com/planete/20210502.OBS43537/plus-on-est-riche-plus-on-emet-de-co2-mais-le-revenu-n-explique-pas-tout.html
[3] Les systèmes de consigne visent à favoriser le retour des contenants aux commerçants en prévoyant dans le prix de vente du produit une somme qui est destinée à être reversée à l’acheteur·euse si celui·celle-ci s’acquitte effectivement du retour après consommation du contenu.