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19 mai. 2022

Comment les autorités organisatrices de la mobilité peuvent-elles s’adapter aux changements d’usages post-Covid ?

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5 min

Dans mon post précédent « Déconfinement et mobilités pendulaires : de la routine à l’agilité des usagers, autorités organisatrices et opérateurs de mobilité », je soulignais l’impératif pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), au sortir des confinements et de leurs restrictions de circulation, de passer d’un paradigme de déplacements pendulaires « routiniers » pour les usagers des transports collectifs en milieu urbain et péri-urbain à une gestion agile, tant du point de vue de l’offre de mobilité que des usages de mobilité, plus versatiles et changeants, du fait notamment de l’irruption du « télétravail ».

L’étude réalisée ces derniers mois par un groupe d’étudiants de la Chaire d’Economie Urbaine de l’ESSEC pour la Banque des Territoires a permis de mettre en lumière les principaux leviers d’actions pour les AOM afin de progresser vers cette agilité, tout en essayant de lutter contre les conséquences défavorables des changements d’usage découlant directement de la perception des risques sanitaires par les voyageurs du quotidien (retour de l’autosolisme et fort essor de la pratique du vélo au détriment de l’utilisation des transports collectifs capacitaires – bus, tramway, métro).

 

Une segmentation des réponses apportées par un échantillon d’AOM de tailles et régions variées

Le dialogue avec 8 AOM issues de métropoles et agglomérations de taille et régions variées [1] a permis de mettre en lumière une segmentation des leviers actionnés par ces AOM pour répondre à ce défi de l’agilité.

A court terme, pour faire face à la chute de la fréquentation des transports collectifs, toutes ont procédé à des réductions de capacité et des fréquences des lignes de transports collectifs, notamment par bus. Les grandes agglomérations (communautés d’agglomération > 100.000 habitants) et métropoles ont favorisé l’achat de vélos à assistance électrique. Certaines ont opté pour une gratuité partielle des transports collectifs.

Coronapiste

A moyen terme, si la pérennisation des « coronapistes » cyclables et la mise en place de procédures de récolte de données pour adapter le réseau de transport collectifs ont été engagés par des AOM de tous segments de taille (communautés d’agglomérations > 50.000 habitants et > à 100.000 habitants, métropoles > 250.000 habitants), certaines grandes agglomérations et métropoles ont engagé en complément le déploiement d’infrastructures de stationnement sécurisé pour les vélos et/ou d’une offre de vélos en libre services. Les métropoles et grandes agglomérations ont également mis en place des services d’autopartage, des subventions au covoiturage et certaines ont engagé la dématérialisation des titres de transport.

A long terme, toutes les métropoles étudiées poursuivent les projets d’extension et/ou d’augmentation capacitaire de leur réseau de transports lourds et des AOM des 3 segments planifient le développement des grandes lignes de bus et le renouvellement des matériels roulants en lien avec la transition énergétique.

 

Un éventail de leviers à la disposition des AOM dont l’impact varie tant sur les usages de mobilité que sur la maquette du budget annexe transports

Les différents leviers d’action à court, moyen et long terme actionnés par les AOM en réaction aux changements d’usage de mobilité constatés depuis les confinements et l’amplification du télétravail diffèrent fortement par leur impact sur les usages (réorientation des choix modaux vers les modes de transport décarbonés – marche, vélo et transports collectifs capacitaires, réduction de l’autosolisme), que sur la maquette budgétaire des collectifs s’agissant du budget annexe transports (impacts sur les recettes des usagers - les recettes du versement mobilité des employeurs et les versements de subvention par les collectivités concernées étant considérés comme indépendants de la politique de mobilité -, dépenses de fonctionnement et d’investissement). Tout l’enjeu pour les collectivités est de parvenir à la réorientation souhaitée des usages de mobilité, tout en respectant les besoins d’agilité des usagers liés notamment à la place croissance du télétravail, mais aussi et surtout en évitant une déformation massive des équilibres du budget transport.

Parmi les leviers de court terme :

  • Ceux actionnés durant les épisodes les plus critiques de la crise sanitaire (réduction des capacités et des fréquences) ont eu comme principal objectif de minimiser les conséquences budgétaires les périodes de forte réduction des flux de mobilités du quotidien des confinements et fortes incitations au télétravail en permettant une réduction des dépenses de fonctionnement en regard de la chute brutale des recettes des usagers et du versement mobilité des employeurs.
  • Ceux actionnés au sortir de ces épisodes les plus critiques (aides à l’achat de vélos à assistance électrique, gratuité partielle des transports collectifs) ont visé, au prix d’un effort important en termes de dépenses de fonctionnement ou d’investissement, d’enclencher un mouvement de « retour à la normale » dans les usages de mobilité et de lutter contre la résurgence de l’autosolisme.

Parmi les leviers de moyen terme :

  • S’ils peuvent influer significativement sur les choix modaux des usagers en faveur du vélo, le déploiement d’infrastructures de stationnement sécurisé et le développement de services de vélos partagés sont néanmoins coûteux pour l’AOM en termes budgétaires (en investissement et en fonctionnement, respectivement),
  • A fortiori, le déploiement de services d’autopartage ou de transport à la demande partagé a un impact relativement limité sur les usagers pour un coût budgétaire (en fonctionnement principalement) relativement élevé
  • En revanche, la pérennisation des « coronapistes » apparait comme un levier intéressant pour renforcer la confiance des usagers dans les déplacements à vélo pour un impact sur le budget d’investissement relativement limité
  • La mise en place de programmes de subvention au covoiturage pour les déplacements pendulaires quotidien permet, si lesdits programmes rencontrent un succès, de réduire significativement l’autosolisme pour un coût budgétaire (en fonctionnement) limité en comparaison des alternatives, en particulier pour les habitants de grande périphérie urbaine
  • La dématérialisation des titres de transport constitue un vecteur de simplification de l’usage des transports collectifs pour un coût modéré, permettant à terme des économies par rapport à la gestion des tickets et cartes à puces traditionnelles.
  • Enfin, la mise en place d’une procédure de récolte des données, si elle est coûteuse en investissement initial, constituera dans la durée un outil précieux d’aide la décision à même de générer des économies de dépenses de fonctionnement et d’investissement pour les AOM.

Tout l’enjeu budgétaire pour les AOM consiste ainsi à doser subtilement les différents leviers d’action à court et moyen terme évoqués ci-avant (qui ont tous un impact budgétaire défavorable à court terme en termes de budget d’investissement et/ou de fonctionnement), pour conforter tant l’équilibre économique que l’impact en termes de décarbonation / dépollution des mobilités et de décongestion / apaisement de l’espace public, des projets de plus long terme :

  • extension ou d’augmentation de capacitaire des réseaux de transports capacitaires (pour les grandes agglomération et métropoles),
  • développement (qui devra être associé autant que possible à un verdissement des motorisations des autobus) du réseau de grandes lignes de bus.

A titre d’exemples :

  • une augmentation significative de la part modale du vélo, facilitée par la pérennisation des « coronapistes », le déploiement d’infrastructures de stationnement sécurisé et le déploiement d’un service de vélos partagés, peuvent dans certains cas permettre à l’AOM de repousser, voire d’ajourner, un projet d’augmentation capacitaire (taille des rames, fréquence) de tramway, métro, ou encore BHNS,
  • un développement significatif du covoiturage pour les trajets pendulaires des habitants de grande périphérie peut permettre de réduire significativement le besoin d’extension des lignes de bus.

 

 

[1] Saint-Brieuc Armor Agglomération, Nantes Métropole, Châteauroux Métropole, Métropole du Grand Nancy, Colmar Agglomération, Le Grand Chalon, Toulouse Métropole et Sète Agglopôle Méditerranée

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