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L'article qui suit reprend en synthèse les propositions formulées dans une note de la Fabrique Ecologique Circuits courts de l'énergie et solidarités énergétiques locales : Accélérer le développement de projets d’énergies renouvelables locales dans une dynamique circulaire qui vise à "œuvrer à la création d’un cadre plus propice au développement de boucles énergétiques locales multi énergies intégrant plus de solidarités".
La Caisse des Dépôts, au travers de l'Institut pour la recherche, soutient les activités de La Fabrique Ecologique. Fondation pluraliste et transpartisane, La Fabrique Ecologique est un Think et Do-Tank qui a pour objectif de promouvoir l'écologie et le développement durable sur la base de propositions pragmatiques et concrètes.
Le besoin d’accélérer la transition énergétique des territoires se fait ressentir avec une intensité plus forte que jamais : conséquence de l’invasion de l’Ukraine par la Russie sur les prix de l’énergie, phénomènes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents, impatience des citoyens et exaspération de notre jeunesse, volonté de redéveloppement économique territorial… Le GIEC la rappelé dans son rapport d’avril 2022 : nous sommes dans une urgence du moyen terme. Des solutions existent qui peuvent être mises en œuvre et il va falloir combiner l’adoption d’un mode de vie bien plus sobre et le développement de beaucoup plus de projets d’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables et de mobilité décarbonée. Cela en déployant un maximum de projets dans les 10 ans à venir : ce qui passera par une contribution massive de solutions éprouvées qu’il nous faudra déployer plus simplement et à moindre coût. Cela sans trop compter sur de possibles ruptures technologiques, qui si elles sont souhaitables, ont des probabilités bien plus faibles de générer les impacts positifs attendus avant 2035.
L’envie de transition énergétique, au plus près d’eux sur leurs territoires, est réelle chez les Français. Le développement d’énergies renouvelables en circuits courts correspond à une attente grandissante des citoyens, des administrations et des entreprises, mais avec une préoccupation que cela s’inscrive dans un futur énergétique plus solidaire. De nombreux projets d’énergies renouvelables locales sont étudiés, mais lorsqu’il est question de passer de projets pilotes à une généralisation de ceux-ci, faute d’un cadre satisfaisant et stable, la mise en œuvre peine à accélérer.
Notre organisation énergétique est remise en question par les évolutions technologiques : le national est de moins en moins l’échelon clé de nos politiques énergétiques. Il est celui de nos engagements internationaux, de la fiscalité, de l’actionnariat des opérateurs de réseaux et d’une part importante de notre cadre réglementaire. Mais c’est à une échelle Européenne que se structureront des filières industrielles dans l’hydrogène vert, les batteries, l’éolien offshore, la construction d’infrastructures d’interconnections des marchés énergétiques ou que se négocieront des approvisionnements de gaz à l’international ou la fourniture de panneaux solaires. C’est à une échelle territoriale que s’organise le développement des projets. La France ne peut plus se permettre d’être le dernier de classe, comme c’est le cas actuellement, en termes de développement des énergies renouvelables en Europe. Nous étions en 2020, le seul pays à ne pas avoir tenu nos objectifs de développement en la matière…
Si certaines productions d’énergies renouvelables seront centralisées (grandes centrales solaires au sol, agrocarburants ou parcs éoliens en mer), beaucoup de projets de petites tailles seront à développer de façon décentralisée, quels qu’en soient les vecteurs énergétiques : chaleur (biomasse, géothermie ou chaleur fatale), électricité (photovoltaïque ou petit éolien) ou biogaz en maximisant le potentiel de production de chaque territoire tout en maintenant une haute qualité d’intégration écologique locale. Comme toute activité économique, la production ou transformation d’énergie a un impact et doit s’insérer de façon harmonieuse dans son territoire, en lien avec ses parties prenantes. Ces projets, et particulièrement ceux d’entre eux qui intègrent une gouvernance citoyenne (dont la part est faible à ce jour en France), sont très fortement générateurs de valeur ajoutée économique locale.
Une massification de projets locaux doit se faire en intégrant les enjeux d’équilibre offre / demande énergétique à des mailles horaire / journalière / hebdomadaire / saisonnière pour limiter les coûts et dimensionner au plus juste les infrastructures de production, de transport, de distribution et de flexibilité/stockage. Aujourd’hui, le modèle d’affaire des opérateurs de réseaux est peu aligné avec de tels objectifs de développements, il sera clé de le faire évoluer : plus d’énergies décentralisées c’est à la fois des besoins d’investissements renforcés pour eux, et une base de revenus qui diminue. La régionalisation des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie à partir de 2023, actée par la loi climat et résilience en 2021, peut constituer une opportunité intéressante pour permettre des débats et de se mettre d’accord à l’échelle des régions entre préfets, élus, citoyens, acteurs économiques et opérateurs de réseaux énergétiques sur les façons de planifier ces développements.
Face à ce constat, différents professionnels issus d’horizons et de filières variés ont travaillé à la Fabrique Ecologique à lister des leviers à activer pour multiplier ces projets de développement d’énergies renouvelables en circuits courts. S’il faudra de façon essentielle simplifier, harmoniser et raccourcir les procédures d’autorisation et réviser le modèle d’affaire des opérateurs de réseaux énergétiques pour aligner leurs intérêts économiques avec ceux des collectivités, des citoyens et des entreprises, il y a deux autres dimensions clés qui méritent d’être explorées : améliorer la performance économique et limiter les risques des projets, et instaurer des mécanismes de solidarités énergétiques territoriales. La Fabrique Ecologique recommande 3 mesures : l’une administrative, l’autre volontaire et la dernière fiscale pour progresser dans ces voies.
Pour appuyer la structuration d’une filière de production d’énergies locales, plutôt que de lui voter une subvention, une collectivité pourrait choisir de basculer chez un producteur local ses contrats d’achats énergétiques pour chauffer ses écoles ou alimenter en électricité ses bureaux, mais les règles de la commande publique ne permettent pas de discriminer un candidat sur des bases géographiques pour ses achats d’énergie. Alors que recourir aux services d’un tel prestataire est beaucoup plus source de valeur ajoutée pour le territoire. Des aménagements à ce principe ont été posés lors la loi EGALIM en vue de « favoriser en restauration collective l’approvisionnement local », il y aurait du sens à élargir ce principe posé pour des besoins énergétiques à des besoins alimentaires. Il faudrait permettre aux acheteurs publics aussi de pouvoir sortir de « marchés de fourniture » pour passer à des « marchés de services » et contractualiser sur des périodes alignées avec les durées d’amortissement des équipements et infrastructures associées dans le cadre d’achats directs de chaleur, de biogaz ou d’électricité (autrement appelés PPA). Cela a été fait pour développer les contrats de performance énergétiques, en autorisant les acheteurs publics à recourir à des contrats à la durée alignée avec celle du temps de retour des travaux engagés. L’achat public peut demain devenir un levier bien plus puissant du développement de projet d’énergies renouvelables en circuits courts, il faut le faciliter.
Certains risques associés à des projets, indépendants du sérieux du monteur de projet, peuvent être sources de surcoût quand il s’agit négocier des conditions de son financement, et pourraient bénéficier utilement d’un effet de mutualisation via des fonds de garantie. Il est possible qu’un industriel fournisseur de chaleur fatale fasse évoluer ses procédés et rejette bien moins de chaleur, qu’un massif forestier où se structure une filière biomasse subisse un incendie ou qu’une entreprise tertiaire acheteuse d’électricité dans une opération d’autoconsommation collective fasse faillite. Un grand développeur de projet qui en développe une centaine saura mutualiser ce risque au sein de son portefeuille : il est peu probable que tout se passe mal en même temps sur tous ses projets, et cela ne sera pas un obstacle à ses développements. Mais pour une collectivité, une PME, des citoyens ou un collectif local fait de ces différents types d’acteurs sur un seul projet, en dehors de logique de « portefeuille », l’existence de ces risques – en l’absence de garanties - entraînera un coût du capital plus élevé, qui peut remettre en cause la viabilité économique du projet et faire qu’il ne sera pas engagé. Il ferait sens à des échelles régionales, pour mutualiser ces risques à l’échelle de plusieurs projets dans une unité géographique suffisamment large, de développer des fonds de garantie, abondés par l’Etat, les collectivités et les porteurs de projets qui permettraient à bien plus de projets de trouver un équilibre économique et de voir le jour.
Des mécanismes de solidarité existent dans le système énergétique. Le chèque énergie à une échelle nationale est utile mais il a un effet limité avec un montant n’allant au plus qu’à 15% du montant des dépenses. La péréquation territoriale pour les énergies de réseaux permet, alors que les coûts d’acheminement sont plus faibles en ville qu’à la campagne, que tout le monde paie le même prix, mais ce mécanisme d’équilibre géographique n’est pas toujours très social : les pauvres en milieu urbain étant ainsi mis à contribution pour permettre des tarifs plus abordables aux plus aisés en milieu rural. La Commission Européenne réfléchit à la mise en œuvre de tels mécanismes en lien avec l’élargissement des mécanismes de quotas carbone dans les secteurs de l’habitat et du transport, il nous semble essentiel que de tels mécanismes trouvent leur place aussi à une échelle locale.
En ce sens, il nous semblerait vertueux d’élaborer un régime encadrant le « don d’énergies locales » à destination des publics fragiles, comme cela existe pour les invendus alimentaires depuis la loi « dite Coluche », qui a créé une déduction fiscale à cet effet. Ce dispositif a été élargi à d’autres produits en 2020 dans le cadre de la loi de lutte contre le gaspillage et pour l’économie circulaire. On pourrait imaginer désormais l’élargir à l’énergie et permettre à ce qu’une partie de production de biogaz, de chaleur ou d’électrons puissent être donnée à des organismes habilités ou des bailleurs sociaux pour un accès moins cher à l’énergie de ménages précaires en échange d’une déduction fiscale. Donner un cadre réglementaire et fiscal à un niveau national permettra de reproduire ces schémas de façon simple partout sur les territoires sans nécessiter de complexes montages juridiques, gourmands en temps et en ressources sur chaque projet.
Un autre dispositif d’exemption fiscal territorial nous semblerait être pertinent à élargir à ce type de projets d’énergies renouvelables locales. Des zones particulièrement fragiles, dites « zones franches urbaines », « zones urbaines sensibles » et « quartiers prioritaires politique de la ville » définies par décrets en conseil d’Etat bénéficient d’exemptions pour le développement d’activités industrielles, commerciales, artisanales ou libérales ou de TVA réduite pour des travaux d’amélioration de l’habitat. Inscrire à la liste des activités bénéficiant de ces exemptions fiscales les projets d’énergies renouvelables locales serait de nature à y favoriser l’émergence de plus de projets. Faire de quartiers défavorisés des lieux de démonstration et de développement de compétences sur une activité à fort potentiel serait très pertinent. Le développement des énergies locales doit être vu comme un levier de développement économique territorial et de résorption des inégalités sociales.
L’intensité des enjeux à relever et l’importance de notre retard pour développer ce type de projet, notamment en regard de nos voisins Européens, doit nous inciter à reformer de façon concertée le développement de circuits courts de l’énergie. A l’heure où notre système énergétique s’organise de façon circulaire, sans querelles de chapelles entre filières énergétiques, il est des actions transverses qui sont de nature à permettre à bien plus de projets d’atteindre un équilibre économique pertinent et à contribuer à plus de solidarités énergétiques locales. Osons rendre bien plus simple et bien moins cher le développement de ces projets à forts impacts pour que nos rêves de planification écologique et solidaires deviennent une réalité territoriale.