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Crédit K I Photography / Adobe stock
Les massifs d’épicéas commun sont significativement touchés par les crises sanitaires qui affectent les forêts françaises depuis l’été 2018. Fin 2022, c’est un peu plus de 5 000 hectares d’épicéas qui ont été sinistrés dans un grand quart Nord-Est de la France, alors que des premières observations apparaissent en Auvergne-Rhône Alpes et en Occitanie.
Le scénario était prévisible. En revanche, la rapidité de sa survenue a pris de court toute la profession. L’épicéa commun, installé en monoculture en stations souvent limite, à basse altitude, parfois sur plateaux calcaires ou stations hydromorphes était condamné. Les compensations climatiques ont longtemps caché cette situation, ce n’est plus le cas.
L’épicéa commun n’est pas la seule essence concernée. La répétition des sécheresses et canicules en période de végétation affaiblit de nombreux peuplements. Sur le patrimoine forestier que nous gérons [1] , nous observons une accélération importante des dépérissements de Hêtres, qui eux sont bien en station, dans certains secteurs du Grand-Est.
Les forestiers sont habitués à gérer les crises et à raisonner sur le long terme. Les incendies des Landes de Gascogne de 1949, les tempêtes de 1999 et 2009 avaient déjà mobilisé la filière. Néanmoins, la crise des épicéas constitue une première : nous ne pouvons plus reconstituer à l’identique. Ce qui avait fonctionné ne fonctionnera plus, c’est une certitude. L’essence n’est plus adaptée et la monoculture représente un risque que nous ne voulons plus prendre.
Pour faire face aux impacts du changement climatique sur la forêt, diverses mesures d’atténuation des risques et d’adaptation étaient intégrées dans les directives sylvicoles de la Société Forestière, qui sont révisées tous les 3 à 4 ans pour tenir compte des avancées scientifiques et des retours d’expérience issus du terrain. Ainsi, l’épicéa commun n’était plus replanté sur les patrimoines gérés depuis cette époque, à de rares exceptions liées au contexte stationnel, et nous récoltions rapidement ce qui pouvait l’être pour le substituer par des essences jugées plus adaptées au changement climatique.
C’est dans ce contexte que nous avons établi une stratégie en matière de reconstitution des peuplements qui s’appuie sur deux principes complémentaires.
L’analyse pédologique [2] est un préalable à toute reconstitution car le sol devient l’élément stationnel le plus stable dans le temps, le climat étant amené à évoluer fortement.
Nous avons fait le choix de nous appuyer sur une observation des sols par la création de fosses pédologiques. En effet, l’alternative - sondages à la tarière - est contraignante et ne permet de constater qu’une petite fraction des éléments aussi importants que la profondeur prospectable, la charge en éléments grossiers ou encore la structure des sols.
Economiquement, la création de fosses pédologiques devient rapidement une charge négligeable comparée aux coûts du reboisement. Le déplacement d’une pelle ou mini-pelle, selon les régions, n’excèdera pas 1000 euros par jour, ce qui permettra de réaliser de 25 à 50 fosses dans la journée.
Dès que les surfaces à reconstituer dépassent les 5 hectares, le coût d’une telle opération devient donc très raisonnable, et permet de poser un diagnostic complet. Une grande partie de nos équipes a été formée à l’observation de telles fosses, accompagnées en général par les CRPF, au premier rang desquels le CRPF Grand Est qui a grandement contribué à construire la méthode d’analyse pédologique.
Cette approche simplifiée permet à tout forestier de rapidement comprendre les principales contraintes d’un sol : profondeur prospectable, charge en cailloux, carbonatation éventuelle. Textures et structures apportent des informations complémentaires importantes, mais une approche simplifiée permet de reconnaitre les grandes caractéristiques d’un sol. La multiplication de ces pratiques permet à nos collaborateurs de se faire rapidement des références visuelles et de classer les sols selon leur potentialité, même sans compétence pédologique fine. L’utilisation de formulaires de collecte de données sur tablettes a également permis de faciliter l’opération et de rendre l’information plus accessible.
Ces observations nous permettent de prendre des décisions très concrètes : rapprochement avec les catalogues de station, choix des essences et décisions sur les modalités de reboisement. Certaines analyses nous conduisent à privilégier les enrichissements dans des accrus, d’autres à opter pour des modalités de reboisement en plein, en cherchant systématiquement à recruter dans le futur peuplement des essences spontanées. Enfin, certains sols trop superficiels sur terrains calcaires ne sont pas aptes à porter un reboisement. En accord avec le CRPF local qui aura pu prendre connaissance de nos analyses pédologiques, nous proposons alors de laisser évoluer naturellement ces quelques surfaces, qui seront éventuellement enrichies ultérieurement.
Nous proposons aux propriétaires des forêts que nous gérons d’installer au moins 2 essences de reboisement pour toute surface de plus de 2 hectares, l’essence principale ne pouvant dépasser 70% du nombre de plants installés. Cette démarche doit permettre de renforcer la résilience du futur peuplement, tout en développant la biodiversité qui est un allié majeur du sylviculteur.
Cet engagement poursuit l’objectif de produire du bois de qualité, à destination des entreprises qui sont amenées à le transformer. De ce fait, les combinaisons d’essences selon les stations et les modalités de leur installation ont été réfléchies en s’appuyant sur la rare documentation scientifique existante. En effet, s’il existe un consensus clair sur l’intérêt de la diversification, nous avons très rapidement constaté que les modalités de sa mise en œuvre étaient très peu documentées.
La stratégie de reboisement mise en œuvre nous permet d’être confiants sur notre capacité à reconstituer les peuplements sinistrés, tout en sachant que d’autres essences vont également souffrir dans les années à venir.
Son succès dépend néanmoins de deux éléments qui s’imposent à nous.
Consciente que la réponse à cette crise ne peut être que collective, la Société Forestière s’ouvre vers l’extérieur. Nous avons ainsi fortement contribué à l’accueil des derniers inter-CETEF [3] en septembre 2022, où nous avons pu présenter les actions engagées et les perspectives d’avenir en matière de sylviculture.
Dans ce contexte de crise, il serait tentant de ne souligner que les difficultés rencontrées et de se contenter d’être pessimiste pour la forêt. Notre démarche est au contraire résolument tournée vers l’avenir. Adaptation des forêts au changement climatique, production de bois - matériau indispensable à la transition énergétique et environnementale -, préservation de la biodiversité et écoute des nouvelles attentes sociétales : nous nous devons de faire évoluer nos pratiques, dans l’intérêt des propriétaires et au bénéfice de tous.
Retrouvez l’article de Ceydric Sédilot-Gasmi et ceux d’autres experts forestiers dans un dossier plus complet consacré à la reconstitution des peuplements touchés par les crises sanitaires dans le Grand Est paru en mai 2023 dans le n°2 du magazine Forêt & Innovation.
Notes
[1] La Société Forestière gère pour le compte de propriétaires forestiers privés particuliers et institutionnels près de 300 000 hectares de forêts en France métropolitaine, sur plus de 60 départements.
[2] Etude de la formation et de l’évolution des sols
[3] Centre d’Etude Technique Environnemental et Forestier