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CD'enjeux

12 sep. 2023

A Mayotte, l’inadéquation réglementaire freine la production de logements

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Pensé pour un contexte métropolitain, le code de l’urbanisme vient se heurter à certaines réalités locales dans les territoires d'outre-mer. Cet état de fait se fait sentir dans la plupart des Drom-Com. Focus sur la Communauté de communes du Sud de Mayotte.

Tout d’abord, le principe de zéro artificialisation net (ZAN) instauré par la loi Climat et Résilience (22 août 2021) s’avère difficilement applicable de la même façon qu’en métropole puisque la manière dont s’est fait l’urbanisme, le rapport au foncier, les modes de vie ainsi que les dynamiques à l’œuvre ne sont absolument pas comparables.

En effet, un archipel comme Mayotte connait une très forte croissance démographique, qui s’intensifie depuis le début des années 2010 à un rythme comparable à celui de pays africains en pleine explosion démographique tels que le Niger, la Guinée équatoriale ou l’Angola, selon les données de la Banque mondiale.

L’immigration issue des Comores voisins et de la région des Grands Lacs participe fortement à cette croissance ; près de la moitié des habitants sont de nationalité étrangère (Insee, 2019) et les trois quarts des naissances sont de mères étrangères. A cela vient s’ajouter une densité de population (805 habitants au km²) supérieure aux Bouches-du-Rhône (en comptant Marseille), alors qu’une partie du territoire couverte de forêts n’est pas habitée…

Avancer avec un « flou réglementaire »

Ce rythme de la croissance démographique génère des besoins importants en termes d’infrastructures sociales et urbaines, comme le rappelle le livre blanc Territoires ultramarins : pour un leadership économique territorial. Le logement est donc une priorité mais l’accélération de la production ne suit pas. Il y a de grosses problématiques en termes de ressources et d’approvisionnement de matériau. La réalisation des projets est donc très lente et, pourtant, on demande d’appliquer la même législation qu’en métropole. 

Pendant ce temps, les vagues d’immigration illégale ont occasionné, année après année, le développement rapide d’un urbanisme informel contre lequel les autorités tentent aujourd’hui de lutter, à l’exemple de l’opération Wuambushu démarrée au printemps 2023 visant à la destruction de bidonvilles. La mise en place d’une police de l’urbanisme a été annoncée, mais il faudra probablement encore du temps pour voir cette volonté se concrétiser.

Or, il est urgent de construire trois à quatre fois plus de que les années passées, tout en consommant deux fois moins de foncier pour être en conformité avec le ZAN… Les élus d’outre-mer ayant exposé ces difficultés, à travers la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires adopté par le Sénat en mars 2023, le gouvernent doit remettre au parlement une étude[1] visant à mieux prendre en compte les spécificités de ces territoires et y adapter l’application du ZAN. En attendant, nous devons quand même avancer avec ce flou réglementaire sachant que les services de l’Etat nous demandent tout de même de montrer une tendance à la diminution.

Revoir les priorités

Autre exemple de question réglementaire peu adaptée au contexte : les contraintes de réalisation de stationnements, comme exigées dans les opérations en métropole de manière à limiter les véhicules sur l’espace public. A Mayotte, les villages sont pour la plupart très denses, avec des possibilités limitées pour réaliser les places de stationnement de l’habitat privé au sein de la parcelle. Mais ne pas avoir la possibilité de réaliser ces stationnements conduit les services de l’Etat à bloquer à certain nombre de permis de construire. Qu’est-ce qui est le plus important ? Eviter d’avoir trop de voitures sur le domaine public ou permettre aux habitants de se loger dignement dans leur village ? Les grandes difficultés à produire de l’habitat, entraînant des situations de grandes précarités, nous obligent à revoir la priorisation des enjeux sur ce type de territoire… 

En plus de l’actuelle crise de l’eau, d’autres enjeux spécifiques concernent les risques naturels, comme le recul du trait de côte qui, à Mayotte, se fait particulièrement rapidement. En cause : un affaissement de l’île provoqué par la vidange d’une ou plusieurs poches magmatiques sous l’île en lien avec un volcan sous-marin situé au large. En 2019 le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a mesuré un affaissement de l’île de 15 centimètres à l’est et huit centimètres à l’ouest en moins de 10 ans. Ce phénomène cumulé avec les grandes marées engendre un risque d’immersion qui peut être renforcé par la houle ou un vent d’afflux. Sachant que la plupart des villages sont construits sur le littoral ou à proximité… Non seulement il faut construire massivement pour répondre à la croissance démographique, mais en parallèle il faut aussi beaucoup démolir pour reconstruire dans des zones à moindres risques. A cela vient s’ajouter des impératifs de préservation de la biodiversité : zones de pontes des tortues sur le littoral, nombreuses espaces endémiques dont il faut préserver l’habitat…

 

Toutes ces spécificités forment ainsi à Mayotte, ainsi que dans d’autres Drom-Com, un vrai casse-tête qu’un cadre règlementaire plus adapté pourrait aider à démêler.

 

[1] Chapitre II, Article 10 : « V. – Dans un délai de douze mois, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’impact de l’application aux territoires ultramarins de l’objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050. Ce rapport présente des éléments chiffrés d’appréciation de cet impact, ainsi que des propositions visant à améliorer la prise en compte des spécificités ultramarines, notamment en termes de droit de l’urbanisme, d’insularité, de diversité des types d’habitat, de recul du trait de côte, de topographie et de développement économique et touristique. »