cicéron
c'est poincarré
Le marché immobilier résidentiel neuf connaît une crise sensible. Dans cet article, après avoir fait le point sur les derniers chiffres illustrant le caractère historique de la crise en cours et les principaux mécanismes à l’œuvre, nous portons un regard sur l’effet « tache d’huile » de cette crise, en nous interrogeant sur les facteurs de rééquilibrage et de relance.
Le marché du neuf décroche sensiblement. On constate un recul dépassant −15 % des mises en chantier par rapport au précédent pic, au plus bas niveau des 25 dernières années, et une baisse de plus de −45 % des réservations de logements neufs par des particuliers. Les enquêtes de conjoncture dans la promotion immobilière témoignent d’un grand pessimisme quant aux perspectives de demande (proche du plus bas niveau des 30 dernières années) ainsi qu’aux perspectives de mises en chantier à venir.
Il y a des freins sur l’offre (disponibilité du foncier, différences territoriales quant à l’octroi des permis de construire, coûts de construction, etc.) mais le choc qui l’emporte est celui sur la demande, dont les principales raisons sont :
Une première observation est que nombre de ces facteurs de recul de la demande apparaissent, tels quels, comme des facteurs structurels, de long terme : ils n’ont pas qu’une composante cyclique. Certes, lorsque la BCE aura gagné son combat contre l’inflation, le taux directeur refi reviendra de 4,5 % actuellement à un niveau de politique monétaire « neutre » (taux directeurs proches de 2 % selon les autorités de politique monétaire), même si l’ampleur du reflux des taux de crédit à l’habitat sera moindre : il pourrait plutôt y avoir un atterrissage autour de 3 % à moyen terme. Cela redonnera de l’oxygène à la demande. Ce sont des niveaux que les marchés du crédit et de l’immobilier ont déjà connus mais i) à dispositifs fiscaux distincts et ii) à prix de production du neuf (dynamique du foncier, des coûts des construction…) très différents. Retrouver, à l’avenir, des taux d’intérêt déjà observés historiquement n’aboutit donc pas, mécaniquement, à retrouver une demande qui pouvait s’exprimer à ces niveaux. Un recul structurel de la demande est à anticiper.
Les mises en chantier s’établissent à un peu plus de 376 000 en 2022 (-3,7 % vs 2021). Pour 2023, elles se dessinent à un niveau très inférieur : sur 12 mois, en juillet, elles atteignaient environ 330 000 et pourraient, si les dernières tendances se poursuivaient, passer nettement en-dessous de ce seuil sur l’ensemble de l’année 2023. Les conditions ne semblent pas réunies pour un retournement en 2024.
Cette chute de la construction pourrait ne pas attirer l’attention si elle était cohérente avec une baisse de la demande future de logements du fait de l’évolution des facteurs démographiques et sociologiques (sous surveillance : démographie, immigration, décohabitation, nombre de ménages, localisation territoriale, sortie du parc de logements énergivores, résorption du mal logement, etc.). Toutefois, les différentes études effectuées récemment font état d’un besoin annuel élevé de nouveaux logements d’ici 2030 : entre 395 000 (selon l’Institut Thomas More : lien vers l’étude), 495 000 logements (selon la Fédération des promoteurs immobiliers). Le monde HLM, de son côté, via l’Union Sociale pour l’Habitat, note qu’il y a actuellement une demande non satisfaite de 2,2 Mln de personnes, dont 1,6 Mln qui ne sont pas déjà dans le logement social, et estime le besoin de logements par an d'ici à 2040 à 518 000 (l’étude Habitat et Territoires Conseil, en bas de page du lien).
La production de nouveaux logements prend donc un retard certain.
La conséquence en termes de construction ne s’arrête pas au seul poids du secteur de la construction dans le PIB, la crise du neuf va faire tache d’huile :
Cela a un effet négatif pour les agents : la production de richesse en pâtit via le facteur travail (localisation de la main d’œuvre), le pouvoir d’achat est érodé (prix du neuf, de l’ancien, loyers, etc.), le bien-être est amputé (moindre combat contre le mal logement, hausse des dépenses contraintes, accroissement du temps de transport, etc.).
La relance de la production ne peut se faire de manière spontanée, comme sur certains biens et services où, en cas de moindre demande, les entreprises ont en effet la possibilité de baisser les prix, grâce à un prix de matière première qui se corrige cycliquement à la baisse et éventuellement en rognant sur le taux de marge.
Au total, il apparaît que les prix ne sont pas la variable d’ajustement dont on peut espérer beaucoup pour un rééquilibrage spontané de la demande donc de la production de logements.
Le secteur de la construction connaît un changement de paradigme, avec d’un côté la fin des taux d’intérêt bas et le non-renouvellement de dispositifs fiscaux qui nourrissaient une forte demande, et de l’autre, des coûts de production qui semblent structurellement haussiers vu le nouvel environnement inflationniste (monde plus fragmenté, marché du travail tendu, TEE qui est un choc plutôt inflationniste). L’effet « ciseau » est certain et menace l’équilibre du marché immobilier dans son ensemble. À crise multifactorielle, les remèdes doivent être pluriels :