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c'est poincarré
Crédit ©catherinelprod/ Adobe stock
Dans l’ensemble des études menées jusqu’à aujourd’hui, et dont nous avons connaissance, il ne ressort pas de dépassement des normes. Néanmoins, l’agence Santé publique France a annoncé des études complémentaires portant à la fois sur le personnel de l’entreprise, les pompiers et les personnels des collectivités qui ont été à proximité du sinistre au moment de l’évènement. Un recensement est en cours pour mettre en place un suivi de santé sur du plus long terme.
Factuellement, oui. Mais psychologiquement, par rapport à l’état d’esprit de la population, non. Il y a bien eu un impact sur la santé, mais qui n’a pas été suffisamment pris en compte et évalué. Là encore, seuls les personnels du site et les pompiers ont fait l’objet d’analyses approfondies, alors que la population se trouvant soit à proximité du sinistre, soit sous le panache de fumée, aurait souhaité bénéficier de ce type de suivi, estimant qu’elle avait été, elle aussi, exposée à des substances potentiellement dangereuses pour la santé. Tout ce qu’il s’est passé aurait dû permettre de commencer à réfléchir à la mise en place d’un protocole de suivi de santé pour la population qui puisse être reproductible en cas d’accident majeur.
Nous sommes d’accord avec ces conclusions. J’ai moi-même grandi sur le territoire de la Métropole de Rouen, dans une commune où se trouvait une raffinerie. Je me souviens, quand j’étais petite, de l’explosion d’une maison due à une fuite de carburant dans les sous-sols. Nous étions donc assez sensibilisés à la question des risques. Mais, finalement, quand rien ne se passe, on perd petit à petit cette culture de la sécurité qu’on devrait avoir lorsqu’on habite un territoire concerné par les risques. Et puis, il y a très peu d’échanges entre les industriels et la population, qui n’est donc pas au courant de ce qui se trouve derrière les hauts murs entourant ces entreprises. Les habitants sont, en effet, assez peu informés sur les risques à vivre près d’un site Seveso. En ce qui concerne la Métropole, nous distribuons chaque année à la population, entre septembre et octobre, notre Guide pratique sur les risques naturels et industriels qui recense l’ensemble des sites à risque du territoire. Nous expliquons ainsi les bons réflexes à avoir.
Quant à la question de l’information, nous avons mis en place un système de SMS sur inscription, pour recevoir des alertes en cas d’incidents. L’État a déployé de son côté le système FR-Alert, basé sur la technologie Cell Broadcast [qui utilise le réseau GSM, couvrant 99,9 % du territoire français, pour diffuser des messages allant jusqu’à 93 caractères sur tous les téléphones mobiles et smartphones dans une zone géographique donnée, ndlr]. Nous avons sur ce point une différence d’appréciation. De son côté, l’État considère que les moments où il déclenche FR-Alert doivent être peu nombreux; il doit s’agir alors d’évènements majeurs, comme l’a été l’incendie de Lubrizol. Du côté de la Métropole, nous considérons qu’il faut que la préfecture alerte dans le cas d’évènements de moindre ampleur, mais qui génèrent de l’inquiétude, surtout depuis l’antécédent de Lubrizol. Par exemple, en janvier de cette année, nous avons connu un incendie dans un hangar de stockage de Bolloré Logistics. Très rapidement, l’information est sortie sur les réseaux sociaux expliquant qu’il s’agissait de batteries au lithium, donc potentiellement toxiques.
En l’absence d’informations claires, les maires ont employé des termes pas toujours appropriés, avec des consignes différentes adressées à la population comme « évitez le secteur » ou « restez chez vous ». Entre ces deux injonctions, la perception des habitants est différente. Il faut donc employer un langage commun et si FR-Alert avait été déclenché, les choses auraient peut-être été plus claires pour tout le monde.
Nous avons lancé, en 2022, les Journées de la culture du risque, soit une semaine de sensibilisation, avec des ateliers ouverts aux scolaires et, pour certains, au grand public. Il s’agit de mises en situation pour apprendre les bons gestes, que l’on doive se confiner ou évacuer. Cet évènement aura lieu désormais tous les ans au mois d’octobre. Par ailleurs, depuis le début de l’année, nous avons constitué un groupe de préfiguration d’une instance de dialogue citoyenne sur la question des risques. Les membres de ce groupe sont en train de se former sur les risques industriels, en visitant des sites et en rencontrant des professionnels. Début 2024, nous serons en mesure de mettre en place cette instance de dialogue entre les citoyens, les institutions et les entreprises.
Il me semble difficile pour la préfecture de mettre en œuvre les annonces de septembre 2020 du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, qui promettaient entre 50 % et 100 % d’inspections en plus. Or, le nombre d’inspecteurs n’a été augmenté que de 3 % à l’échelle nationale. C’est donc mathématiquement impossible. Parallèlement, la loi industrie verte demande d’accélérer les procédures, ce qui met les inspecteurs des installations classées dans une situation difficile.
Les industriels ont compris depuis Lubrizol qu’ils devaient échanger avec la population et les élus. Une association baptisée Upside [Union pour la synergie industrielle et le développement économique] a été créée qui regroupe 17 entreprises [ainsi que Haropa Port de Rouen et France Chimie Normandie], avec, dans son cahier des charges, un rapport à la communication auprès de la population. À nous d’être attentifs cependant à ce que cette communication soit transparente et non pas un dispositif de lobbying.
Nous avons un projet de reconquête d’une friche en proximité de la zone industrielle où se situe Lubrizol : le quartier Rouen Flaubert. Après concertation avec les habitants, il a été décidé que sur la frange en proximité directe des industries, les constructions prévues d’immeubles de bureaux soient finalement remplacées par la création d’un écran végétal. De plus, dans le cahier des charges urbain, nous réfléchissons à la possibilité de couper les VMC en cas de problème, à intégrer des zones de confinement... Nous sommes en train de détailler tout cela et nous voulons en profiter pour aller plus loin sur la transition écologique du quartier, mais aussi des industriels, sur la question de l’énergie, de la récupération de chaleur fatale et du CO2... Ils sont plutôt partants pour accélérer avec nous sur ces sujets.
Nous avons recruté pour accompagner les communes dans la mise à jour de leurs plans communaux de sauvegarde et les DICRIM [Document d’information communal sur les risques majeurs] pour les diffuser à la population. De plus, nous allons rédiger, comme la loi le prévoit, notre plan intercommunal de sauvegarde, et nous devons avancer avec la préfecture sur la mise au point d’un exercice impliquant la population.
Propos recueillis par Rodolphe Casso
Cet interview est issu du n° 434 de la revue Urbanisme
Novembre-décembre 2023 - LES LEÇONS DES CRISES ET DES CHOCS
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