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Convaincues que transition écologique et justice sociale vont de pair, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) et la Fondation Abbé Pierre (FAP) ont rédigé un rapport conjoint inédit, combinant leurs expertises respectives. Partant du constat que le modèle d’aménagement actuel ne permet ni de protéger les sols et la biodiversité, ni de résoudre une crise du logement qui s’aggrave, ces deux Fondations voient dans la mise en œuvre de l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) une opportunité de changer de modèle, au service d’une transition juste.
Entre 1982 et 2018, la superficie des espaces artificialisés a augmenté de 72 % en France métropolitaine alors que la population n’a crû que de 19 %. Ce sont ainsi plus de deux millions d’hectares (2,1 Mha) qui ont été consommés par l’urbanisation en moins de 40 ans. Si le rythme annuel de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) a enregistré une baisse continue entre 2011 et 2015, passant de près de 31 000 ha à 21 000 ha, l’extension urbaine a depuis poursuivi son cours à un rythme quasiment stable, entre 21 000 ha et 22 000 ha/an. Pourtant, les sols sont des écosystèmes vivants indispensables et leur perte est irrémédiable tant les coûts et le temps nécessaire à la restauration de leurs fonctions écologiques sont importants. Les sols soutiennent l’ensemble des espèces terrestres, stockent du carbone, absorbent et filtrent l’eau et permettent les activités agricoles et sylvicoles dont nous avons besoin. Lutter contre l’artificialisation des sols est donc crucial.
Dans le même temps, les besoins en nouveaux logements sont considérables. En France, 4,2 millions de personnes sont non ou très mal-logées[1], en surpeuplement accentué, ou en inconfort grave. Autour de ce noyau dur du mal-logement, se dessine un ensemble beaucoup plus large de ménages avec divers degrés de fragilité face à la crise du logement. Environ 12 millions de personnes sont en situation de surpeuplement modéré, d’impayés de loyers et de charges, vivent dans des logements dégradés, dans des copropriétés en difficulté, ou sont fortement touchées par la précarité énergétique. Face à cette situation, la Fondation Abbé Pierre estime un besoin de production annuel d’au moins 400 000 logements pendant 10 ans, dont 150 000 logements sociaux, pour résorber le mal-logement, loger les ménages supplémentaires et détendre le marché immobilier.
Au-delà de ses externalités environnementales négatives, l’artificialisation génère des problématiques sociales. En éloignant les lieux de vie des bassins d’emploi, l’extension urbaine renforce la dépendance à la voiture individuelle, qui concerne 5,3 millions de Français en 2022[2], tandis que 3,6 millions sont en précarité carburant (cumulant des bas revenus, un budget carburant élevé et/ou des restrictions dans leurs déplacements). Ces difficultés touchent d’abord les catégories populaires, plus dépendantes à la voiture que les cadres : seuls 32% des ouvriers du périurbain considèrent qu’ils ont le choix entre différents modes de transports, contre 46% des cadres.
L’extension urbaine représente également un coût pour les collectivités : la création et l’entretien de voiries et réseaux (électricité, eau, assainissement, etc.) toujours plus étendus coûte cher aux collectivités territoriales.
Le modèle d’aménagement actuel basé sur l’extension urbaine et l’artificialisation des sols a des conséquences néfastes sur les écosystèmes (destruction des habitats naturels, rupture des continuités écologiques, dégradation de la vie du sol, perturbation des cycles de l’eau et du carbone, etc.), sur la souveraineté alimentaire (perte de surfaces agricoles) et n’a pas permis de résorber la crise du logement. Il est donc primordial de poser les bases d’un changement de paradigme en renouvelant la manière dont la société occupe l’espace. L’objectif Zéro Artificialisation nette (ZAN), qui suppose de diviser par deux le rythme d’artificialisation d’ici 2031 par rapport à la période 2011-2021 et d'atteindre la neutralité d’ici 2050 constitue une opportunité pour répondre à ce double enjeu social et environnemental
En croisant témoignages de terrain et données statistiques, la FNH et la FAP ont identifié trois grands modes d’action dans lesquels les collectivités peuvent s’engager afin de réduire l’artificialisation, améliorer l’accès au logement, mais aussi proposer une offre de logements plus variés répondant mieux aux attentes des Français.
Tout d’abord, éviter d’artificialiser en utilisant mieux le bâti existant : il s’agit par exemple, de résorber la vacance des logements (1,2 millions logements vacants de longue durée), des bureaux et de mieux réguler les résidences secondaires (près du 10% du parc de logement) pour renforcer l’offre de logements à l’année. Pour y parvenir, nous proposons par exemple d’instaurer une taxation progressive en fonction du nombre de biens détenus (10% des propriétaires détiennent la moitié des résidences secondaires) et accroître les aides à la rénovation pour les propriétaires modestes (isolation thermique, etc.). C’est aussi l’occasion pour certains territoires de réfléchir au parcours résidentiel de leurs habitants. De nombreux logements sont en situation de sous-peuplement (23% des ménages), avec 3 pièces ou plus que la normale, et sont inadaptés aux personnes qui les habitent, notamment les personnes âgées. Faciliter la mobilité des habitants vers des lieux de vie agréables et adaptés à leurs besoins permettrait de réduire les besoins de construction de logements pour les familles.
En parallèle, réduire l’artificialisation en construisant des logements pas ou peu consommateurs d’espaces naturels, agricoles ou forestiers.Il s’agit notamment de mobiliser les interstices de quartiers peu denses pour créer de nouveaux logements, commerces et services sans dégrader le cadre de vie et de s'appuyer sur le recyclage des friches tout en améliorant l’accès aux espaces verts et les trames écologiques.
Il faut également renforcer les outils de maîtrise des prix de l’immobilier et du foncier. Ce mode d’action passe par un soutien plus fort au secteur du logement social et par un renforcement des outils de maîtrise des prix : encadrement des loyers pour toutes les communes tendues qui souhaitent le mettre en place, lutte contre la rétention foncière, accès au foncier pour les acteurs du logement abordable, etc.
Le logement social, principalement réalisé sous forme d’habitat collectif consomme moins de foncier que l’habitat individuel. Pour rendre compte des ordres de grandeur, rappelons que sur la période 2005-2013, les nouveaux logements collectifs ont consommé en moyenne 437 m² par logement, contre 1 142 m² par logement en individuel[3]. De plus, la réglementation du logement social garantit que le logement soit occupé à titre de résidence principale ce qui limite la multiplication des résidences secondaires, source d’artificialisation des sols. En outre, les niveaux de vacances et de sous-occupation tendent à être plus bas dans le secteur du logement social que dans le secteur privé, ce qui maximalise l’intérêt des logements construits.
Téléchargez le rapport complet :
« Réussir le ZAN et réduire le mal-logement, c’est possible ! »
La Caisse des Dépôts soutient les activités de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH). Reconnue d’utilité publique, la FNH œuvre depuis 1990 pour des solutions écologiques et solidaires en élaborant des propositions de politiques publiques qui placent les enjeux écologiques au cœur de la société.
[1] Estimation de la Fondation Abbé Pierre
>[2] Fondation pour la Nature et l’Homme, Précarité -mobilité : quelle est la situation dans les zones périurbaines ? , mai 2023