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Pourquoi imaginer le monde dans vingt ans ?

À l'heure où les décisions sont souvent guidées par le court terme, la prospective apparaît comme un outil indispensable pour penser les enjeux majeurs de demain. Elle permet d'anticiper les transformations profondes à venir, en explorant des scénarios possibles, certes subjectifs, mais fondés sur des faits, des tendances et des signaux faibles déjà observables. Face à l'enjeu climatique, qui s'affirme comme le pivot central de toute réflexion sur notre futur, cet exercice devient particulièrement crucial. Les choix que nous faisons aujourd'hui sur cette thématique détermineront profondément la France de 2040.

Après avoir établi certains faits, cet article imagine deux futurs contrastés : l'un optimiste, où notre société relève collectivement les défis climatiques, l'autre pessimiste, où l'inaction prévaut. Il s’agit d’ une synthèse du chapitre sur le climat de l’étude « France 2040 : Explorer les scénarios possibles » qui anticipe la France de demain au prisme de neuf thématiques, publiée par la Fondation Jean-Jaurès en août dernier.

Outil démocratique, ce récit prospectif vise à aider ses lecteurs à construire collectivement un futur désirable pour tous et pas seulement pour un petit nombre de « sachants ». L’objectif de cette étude n’est pas d’apporter des solutions économiques et politiques, mais d’ouvrir le champ des possibles et d’inspirer les leaders d’opinion, comme chacun de nous, sur la manière de faire face aux défis à venir.

Un monde « post-digue », qui mêlera adaptation et atténuation

En 2040, la gestion du climat ne sera plus une question de prévention, mais d'adaptation aux réalités climatiques concrètes. Les augmentations de température, initialement estimées autour de 2°C d'ici la fin du siècle, pourraient davantage s’approcher de 3 à 4°C, ce qui transformera les climats régionaux. Paris aura un climat méditerranéen, tandis que Marseille subira des conditions sahariennes. Ces changements auront un impact direct sur l'économie et la répartition de la population sur le territoire. Ils entraîneront également une augmentation des phénomènes météorologiques violents, tels que les tempêtes, les inondations et les incendies. Les infrastructures seront gravement affectées, avec près de la moitié des maisons individuelles vulnérables aux mouvements de terrain.

La réponse à ces crises nécessitera la mise en place de la part de chacun de deux stratégies complémentaires. Tout d’abord, la protection préventive des infrastructures, dite « stratégie de la digue » ; ensuite, la gestion des impacts après les catastrophes, la « stratégie post-digue ». Pour freiner durablement ces bouleversements, une coopération mondiale sera essentielle, bien que difficile à atteindre en raison des divergences d’intérêts entre les grandes puissances.

Une prise de conscience généralisée : le clivage entre le « mieux » et le « moins »

Enfin, le débat climatique évoluera en un clivage entre deux visions opposées : le « mieux » et le « moins ». Les partisans du « mieux » miseront sur les innovations technologiques pour atténuer les effets du réchauffement climatique sans changer radicalement nos modes de vie. Ils prôneront des solutions comme la géo-ingénierie, les fermes urbaines et les protéines de laboratoire, tout en défendant une croissance verte. Cependant, cette approche pourrait entraîner de nouvelles inégalités si les innovations restent privatisées d’autant qu’elle repose sur des percées technologiques incertaines.

À l’opposé, les partisans du « moins » préconiseront une réduction des modes de vie, basée sur la sobriété, la relocalisation des activités et la décroissance. Inspirés par des théories comme celle du « donut » de Kate Raworth, ils prôneront une éco-conception respectueuse des limites environnementales et sociales. Cependant, cette approche nécessitera un changement radical des valeurs et des comportements, et pourrait être perçue comme utopique face aux défis politiques et économiques mondiaux.

Quels scénarios futurs ?

Le futur souhaitable : la nouvelle donne résiliente

En 2040, un changement profond s'est opéré, permettant d'éviter les scénarios catastrophiques annoncés une décennie plus tôt. Bien que les alertes aient été prises en compte tardivement, des actions décisives ont été engagées à la fin des années 2020, basées sur une vision collective claire et une planification rigoureuse. Un tournant majeur a été la décision des pays européens de réinventer la mesure de la richesse, abandonnant le PIB au profit d’un nouvel indicateur de développement, libérant les nations de l'obsession de la croissance économique. Cette évolution a été soutenue par une mutualisation de la dette et un partage des efforts, avec des initiatives encourageant les citoyens à participer activement, notamment via des incitations au rachat massif de la dette de leur pays, voire de la dette européenne.

L'unité des pays de l'Union européenne a permis de surmonter les résistances et d'entraîner les citoyens et les entreprises dans ce nouvel élan. Les États ont su démontrer que cette transition était à la fois juste et souhaitable, en réformant les outils démocratiques pour impliquer les citoyens dans la définition de ce nouveau modèle de société. Cette approche a permis de dépasser les divisions et de mobiliser un collectif autour d'une vision à long terme. Inspirées par ce modèle, plusieurs nations d'Amérique du Sud, d'Asie et d'Afrique ont rejoint ce mouvement mondial, conscientes des impacts de l'inaction climatique, mais incapables d’avancer seules. Ces pays ont engagé des politiques de progrès vers la sobriété, soutenues par des fonds publics pour aider leurs populations dans la transition.

Parallèlement à l’objectif de réduction de l'empreinte écologique collective, un soutien particulier a été apporté aux populations vulnérables, notamment les personnes déplacées en raison des bouleversements climatiques prévus dans les prochaines décennies. Un organisme parapublic dédié à l’adaptation climatique a vu le jour, devenant l'une des principales priorités des États. En France, par exemple, le titre du Premier ministre a évolué pour devenir « Premier ministre, responsable de l’adaptation française », reflétant l'importance de cette mission.

Dans cette nouvelle ère, l’innovation et la technologie ont conservé une place centrale, mais redéfinie. Elles ne sont plus des finalités en soi, mais des outils au service de la transition écologique et de la coexistence harmonieuse entre l’homme et la nature. Un cadre européen commun a été mis en place pour évaluer les externalités des entreprises, avec des sanctions pour les comportements irresponsables et des récompenses pour les initiatives vertueuses. Le chemin sera encore long, notamment pour atteindre un véritable équilibre au cours de la seconde moitié du siècle, mais le travail est lancé de manière ambitieuse et vise à regrouper autour d’un projet commun – et c’est peut-être cela le plus important.

Le futur inquiétant : le temps de la réaction permanente et du découragement démocratique

Dans ce futur, l'hédonisme individualiste a longtemps dominé, conduisant à une incapacité collective à faire face aux défis majeurs. Plutôt que de s'engager dans des réformes profondes, la société a choisi des ajustements superficiels, ce qui l'a précipitée dans une spirale de crises répétées. Aujourd'hui, elle se retrouve comme un coureur de haies mal engagé, réagissant de manière défensive à chaque nouvel obstacle. En France, l’espérance de vie est en baisse, un signe de la vulnérabilité croissante face aux crises climatiques, aggravée par des inégalités croissantes dans la capacité à y faire face.

Les gouvernements et les entreprises, pris dans l’urgence, consacrent la majeure partie de leurs ressources à gérer les crises immédiates, souvent de manière inefficace. Les plus aisés peuvent se protéger individuellement contre les bouleversements, tandis que la majorité subit les conséquences des catastrophes et de la reconstruction. La population, fatiguée par la répétition des crises, sombre dans le pessimisme et renonce à toute perspective d’avenir.

Quelques groupes, surtout composés de jeunes, refusent cependant cette fatalité. Ces activistes, souvent perçus comme radicaux et en rupture avec la majorité, cherchent à réveiller les consciences. Ils adoptent des méthodes extrêmes, s’attaquant aux responsables qu’ils considèrent coupables de l’effondrement. Leur rêve d’un autre monde reste néanmoins marginal, en décalage avec une population qui les juge trop utopiques ou violents.

Parallèlement, le désordre constant conduit certains à chercher refuge dans la religion, qui gagne en influence. D'autres, en quête de stabilité, se tournent vers des figures d’autorité forte, espérant un retour à l’ordre dans ce chaos. La démocratie est de plus en plus perçue comme inefficace en période de crise, et dans certains pays, des régimes autoritaires ont émergé. S'appuyant sur des algorithmes sophistiqués et une collecte massive de données, ces gouvernements justifient des décisions brutales censées servir l’intérêt général. Les populations, en quête de solutions face à l'effondrement, acceptent souvent ces sacrifices, espérant que ce contrôle ouvrira la voie à un avenir plus stable, bien que ce modèle de pouvoir autoritaire étouffe toute critique et opposition.

En conclusion, la prospective nous rappelle que l'avenir n'est pas figé, mais qu'il dépend de nos choix collectifs. Les scénarios souhaitable et inquiétant décrivent deux voies opposées : un futur résilient, fondé sur la coopération et l'anticipation, ou un avenir marqué par les fractures et l'attentisme. L'important est d'agir dès aujourd'hui pour construire un futur désirable, en dépassant les clivages actuels et en intégrant pleinement ces réflexions dans nos décisions politiques, économiques et sociales.

 

 

Télécharger l'étude :

« France 2040 : Explorer les scénarios possibles »

 

 

 

 

 

 

 

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La Caisse des Dépôts soutient, via l’Institut pour la recherche, les activités de la Fondation Jean-Jaurès, think tank indépendant, européen et social-démocrate qui encourage la rencontre des idées et le partage des meilleures pratiques par ses débats, ses productions et ses actions de formation.