cicéron
c'est poincarré
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Embrasser en quelques minutes les thèses et articles primés depuis 10 ans, c’est avant tout rappeler leur richesse et leur diversité, c’est aussi constater qu’ils restent d’actualité, qu’ils ont rencontré et rencontrent ce qui a fait et fait l’actualité des acteurs du logement et de l’habitat, et tout particulièrement celle des bailleurs sociaux, confrontés à de nouveaux enjeux et à de profondes transformations.
C’est réinscrire celles-ci dans le temps long de l’histoire du logement social, ce qui permet de prendre du recul, comme dans la thèse de Romain Gustiaux (primée en 2017) qui portait sur les effets de la Guerre de 14/18 sur le logement social, ou celle de Raphaël Deligny (primée en 2016) retraçant le rôle de la CDC depuis 1945 dans la production du logement social et plus largement de la ville. Ce retour sur l’histoire permet aussi de de mieux appréhender les tenants et aboutissants des évolutions subies par le monde HLM, depuis une trentaine d’années, ce que Lucie Bonnet, dans sa thèse (primée en 2014), nommait « la métamorphose du logement social ». Il en est ainsi également des travaux de Matthieu Gimat qui étudiait, dans sa thèse (primée en 2018), les mutations intervenues, entre 2004 et 2014, dans les politiques publiques adressées au logement HLM ou qui s’intéressait, dans un article écrit avec Julie Pollard (primé l’année précédente,) à ce qu’ils nommaient « le tournant discret de la production du logement social par les promoteurs privés », en l’occurrence la VEFA (Vente en l’État Futur d’Achèvement) qu’Anne-Laure Jourdheuil a analysée, dans sa thèse (primée en 2021) en montrant les effets concrets sur la conception architecturale des bâtiments et des logements sociaux.
Mais si la production de logements sociaux par la VEFA a interrogé et interroge toujours les bailleurs sociaux, leurs métiers, bien d’autres questions sont venues bousculer leurs modes d’intervention dans un monde en profonde mutation : que veut dire agir sur la vacance dans les territoires en décroissance ? Question à laquelle répondaient Yoan Miot et Marie Mondain dans leur article (primé en 2022) ; comment satisfaire l’exigence de transparence sur les attributions ? Question abordée par Marine Bourgeois dans un article (primé en 2017) qui montrait le rôle joué par les agents de guichet dans les processus de catégorisation des demandeurs de logement social et de discrimination ; pourquoi le logement social ne fait-il pas rêver en Ile-de-France les classes moyennes dont les conditions de logement laissent cependant à désirer ? Question à laquelle Pascale Dietrich apportait une réponse dans son article (primé en 2015) qui examinait comment l’on rentre dans la « carrière » de demandeur de logement social.
Bien sûr, quand on s’intéresse au logement social, il est difficile de ne pas rencontrer sur son chemin la question de la rénovation urbaine et de ce qu’elle produit : de l’attente qui aboutit au consentement pour les habitants délogés/relogés comme le montre Charles Reveillière dans son article (primé cette année) : de la patrimonialisation, comme le montrait, dans sa thèse (primée en 2014), Rachid Kaddour, à propos de l’exemple stéphanois ; de nouveaux clivages entre propriétaires et locataires dans leur rapport au quartier, dans leur mode de vie, quand les programmes de rénovation réintroduisent des opérations en accession à la propriété, comme le soulignait Pierre Gilbert dans son article (primé en 2015) ; ces déplacements/replacements de statut et de logement ont également été abordés par Rémi Habouzit, dans sa thèse (primée en 2022), qui adossait son analyse à des opérations localisées à Monfermeil et Clichy-sous-Bois ; de la transformation d’image pour les habitants eux-mêmes, parfois pour ceux qui n’y habitent pas, à partir d’initiatives artistiques ou récréatives auxquelles les habitants sont associés -– consistant, par exemple, à faire visiter son quartier-, initiatives étudiées par Yannick Hascoët, dans sa thèse (primée en 2018), à partir d’exemples pris à Montréal, Paris et Marseille.
Mais les grands ensembles sont confrontés à bien d’autres enjeux de société, dont celui du choc démographique, en lien avec l’allongement de la durée de la vie, qui conduit Audrey Courbebaisse, dans son article (primé cette année), à s’interroger sur la manière d’y vieillir.
Ce qu’autorise la recherche, et c’est précieux, c’est de porter le regard ailleurs pour parler de questions qui nous bousculent. Ces détours, ces pas de côté, ont pour effet de dépassionner nos débats et d’y revenir éclairés ou instruits par d’autres expériences : ainsi du pas de côté auquel invitait Clémence Léobal, dans sa thèse (primée en 2018), montrant l’inadaptation des normes qui organisent le logement social quand elles rencontrent les modes d’habiter à Saint-Laurent du Maroni à la frontière avec le Surinam ; ainsi de celui permis par l’histoire au long cours d’une cité jardin moscovite à l’ère postsoviétique, telle que l’a reconstituée, dans sa thèse d’anthropologie (primée en 2014), Sarah Carton de Grammont pour mieux comprendre les interactions entre bouleversements politiques et modes de vie ; ainsi du détour par Chicago, tel que développé par Clément Boisseuil, dans son article (primé en 2019), pour nourrir les réflexions sur la participation citoyenne ; ou encore du détour par l’Irlande du Nord pour mieux appréhender la complexité de cette injonction à la mixité sociale qui nous occupe tant, tel que présenté par Hadrien Herrault, dans son article (primé cette année), ou par l’Argentine pour aborder la question de la mobilisation des classes populaires sur les enjeux de l’écologie, qui a occupé lune partie de la thèse d’Hadrien Malier (primée en 2022).
Mais s’intéresser à l’habitat et au logement social, ce n’est pas limiter son attention au seul monde HLM, c’est regarder d’autres segments du parc immobilier, comme l’a fait Pierre Waechter en retraçant, dans sa thèse (primée en 2021), l’histoire du tiers secteur de l’habitat depuis 1945 et le rôle des opérateurs drômois de l’habitat spécifique ; ou, comme l’a fait Johanna Lees, dans sa thèse (primée en 2O16), qui interrogeait la réception par les habitants des politiques publiques de lutte contre la précarité énergétique à partir d’une enquête ethnographique dans deux copropriétés dégradées. C’est aussi étudier comment évoluent d’autres politiques sociales que celle du logement social, adressées par exemple aux travailleurs migrants, pour observer, comme l’a fait Laura Guérin, dans sa thèse (primée en 2023), les effets sur leur vie de la transformation de leurs foyers en résidence sociale ; ou comprendre ces trajectoires qui conduisent à habiter en camping, comme l’a fait Gaspard Lion, dans sa thèse (primée en 2021), ou analyser, comme l’a fait Marie Lanzaro, dans sa thèse (primée en 2016), les trajectoires qui vont de l’hébergement au logement social. Autant de situations et de parcours qui interrogent la place et le rôle du logement social ordinaire, sa capacité à répondre aux besoins.
Pour finir, la recherche peut inviter à prendre en compte des dimensions négligées ou minorées jusque-là, mais pourtant structurantes de la société, ainsi du genre : Laetitia Overney, dans son article (primé en 2019), s’était intéressée, à partir d’archives télévisuelles, au rôle « domestique » assigné aux femmes dans les grands ensembles, mais aussi à celui qu’elles ont assumé dans la vie sociale et associative : de son côté, Laure Crépin, dans sa thèse (primée en 2023), s’intéressant aux conséquences des séparations conjugales sur les parcours résidentiels, constatait que ces séparations aboutissent souvent à une paupérisation des femmes et à une fragilisation de leur trajectoire, sauf lorsqu’elles habitent un logement social qui joue un rôle protecteur.
Au terme de ce trop rapide tour d’horizon, et en conclusion, les jeunes chercheuses et chercheurs primé.es sont devenu.es, pour nombre d’entre elles et eux, des chercheuses et chercheurs reconnu.es pour leur expertise scientifique. Le prix a donc modestement contribué à l’émergence et la reconnaissance d’une nouvelle génération qui tient ses promesses… C’est un peu le pari que nous avions tenté avec Dominique Belargent il y a 10 ans, aux prémices de cette aventure collective.
Le Prix de la recherche décerné par l’Union sociale pour l’habitat et la Caisse des Dépôts récompense, tous les ans en alternance, des thèses et des articles scientifiques contribuant à éclairer les enjeux de l’habitat social.
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