cicéron
c'est poincarré
Crédit ©William Hessel/ L'économie en infographie
Le commerce mondial connaît des fragilités. D’abord, depuis quelques années, le commerce mondial de marchandises ne progresse plus comme dans les décennies passées : il stagne. Est-ce à penser qu’un équilibre/un optimal a été trouvé ? Il est difficile de l’affirmer car cette stagnation est concomitante à un accroissement des barrières douanières (tarifaires et non tarifaires). Ce moindre essor du commerce mondial est également associé à une carte des échanges qui est redessinée : les échanges se polarisent. D’autre part, D. Trump, avec sa politique isolationniste, fait peser le risque de guerre commerciale à grande échelle. Nous cartographions les effets des droits de douane pour dépasser le seul narratif de l’administration Trump. La hausse des droits de douane sanctionnerait les exportateurs de produits vers les Etats-Unis… mais aussi les propres résidents américains. En conclusion, nous tirons les conséquences macroéconomiques et financières de ce nouveau paradigme (croissance, inflation, taux d’intérêt, taux de change).
En 2023, les exportations mondiales totalisaient 23 813 Mds de dollars de marchandises et 7 249 Mds de services, soit un peu moins de 30 % de la valeur ajoutée (PIB) mondiale. La zone la plus exportatrice est l’Asie, vers l’Amérique du Nord, avec un déséquilibre (importations/exportations) élevé. Le commerce et les importations en particulier sont nourries par : i) des biens non disponibles sur le territoire (ex : énergie brune pour les européens), ii) des biens qui sont trop couteux à produire domestiquement (exemple : les produits bas de gamme). Les importations sont donc d’autant plus faibles que le pays est autonome : il dispose d’un marché de consommateurs vaste et profond, il est souverain sur ses ressources, il ne connaît pas de contrainte de production (main d’œuvre, capitaux). Les barrières douanières peuvent être tarifaires ou non tarifaires et sont destinées à contrer le dumping social, hausser la qualité sanitaire, sécuritaire ou environnementale des produits ou -en cas de sanction- limiter les revenus d’un pays rival sur le plan militaire.
Il y a un déséquilibre sensible : les Etats-Unis importent davantage qu’ils n’exportent (en notant que les politiques de droits de douane passées n’ont pas réussi à infléchir la tendance, tout en étant inflationnistes).
Le commerce mondial a connu une croissance forte dans les décennies passées mais, si le commerce de services continue de progresser, les échanges de biens connaissent eux une phase de stagnation (cf. graphique). Cela va de pair avec une augmentation des barrières à l’échange dans un contexte géopolitique qui se complique. Entre volonté d’isolationnisme (Etats-Unis) et hausse des normes ou taxes environnementales, destinées à insérer dans le prix des externalités négatives, les échanges deviennent moins spontanés qu’auparavant.
Cette moindre spontanéité trouve son écho dans une polarisation des échanges. On constate notamment :
i) une recomposition du commerce Chine-Etats-Unis depuis le 1er mandat de Trump (cf. graphique, source : WTO « Is the global economy fragmenting ? »),
ii) une influence du commerce en fonction de la proximité géopolitique (il n’y a pas de « régionalisation » en tant que tel mais bien une « politisation » des échanges).
Nous verrons, dans la conclusion finale, les conséquences de cette fragmentation des échanges.
Avant de considérer les effets macroéconomiques (balance commerciale, valeur ajoutée, emploi), considérons l’angle des recettes douanières en commençant par rappeler quelques principes.
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Droits de douane : sanction sur le pays visé mais soucis partagés
i) C’est le consommateur qui paye le droit de douane : c’est donc avant tout un transfert du ménage vers l’Etat qui impose des nouveaux droits de douane. Une hausse des taxes génère de l’inflation.
ii) Si le producteur du pays tiers décide de rogner sa marge pour compenser le droit de douane, alors il n’y a pas de hausse du prix à la consommation. Le consommateur paye toujours le droit de douane, mais le comportement de marge du producteur aboutit à un transfert de l’entreprise étrangère, qui produit le bien, vers les finances publiques américaines.
iii) Si le consommateur détourne sa demande vers une importation d’un pays tiers pour esquiver le droit de douane, alors il n’y a ni recette issue des droits de douane ni réduction des importations… la valeur ajoutée et les emplois sont détruits dans un pays étranger et reconstitués dans un autre.
iv) Si le consommateur détourne sa demande vers un bien produit localement, alors il n’y a pas de droit de douane, les finances publiques bénéficiant seulement d’un effet indirect (relocalisation de la production) … les entreprises domestiques (profits, emploi…), dans certains secteurs où la concurrence étrangère disparaît, en tirent bénéfice.
v) Si l’entreprise domestique importe un produit qui compose un bien qu’elle fabrique pour le marché domestique, alors elle paiera le droit de douane (transfert de l’entreprise domestique vers l’Etat). Elle peut soit répercuter cela sur le consommateur (in fine : inflation et transfert du ménage vers l’Etat), soit, pour éviter une baisse de la demande du produit, rogner sur sa marge : l’Etat dispose de recettes au détriment des actionnaires et des futurs emplois/investissement.
Il ne peut donc y avoir, pour chaque produit, à la fois hausse des recettes douanières, absence d’inflation et réduction du solde commercial. La hausse des droits envisagée par D. Trump est sciemment sensible, pour installer un rapport de force et pour éviter une réaction « neutralisante » des exportateurs étrangers (les importations américaines seraient inchangées si leurs prix l’étaient : ce serait le cas si les entreprises venaient à compenser la hausse de la taxe par une baisse de leur marge).
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Ces principes posés, nous considérons deux visions :
Pour aborder les conséquences économiques, nous considérons deux visions :
i) Le narratif centré uniquement sur les effets positifs de la politique d’augmentation des droits de douane : la relocalisation génératrice de croissance et d’emploi.
ii) Le narratif plus global qui intègre tous les canaux de transmission et de réaction des agents est plus nuancé : la réduction des importations n’est pas acquise, la croissance, l’inflation et la compétitivité peuvent se dégrader.
Les études d’impact en la matière montrent donc un choc plutôt négatif sur l’économie américaine (scénario du FMI, source WEO octobre 2024 : lien).
--> Pour le commerce mondial :
i) La moindre croissance du commerce mondial est de nature à challenger ce qu’a permis son essor dans les décennies passées : une croissance généreuse et peu inflationniste. Il faut donc s’attendre à une croissance mondiale moins riche et davantage inflationniste.
ii) La reconfiguration du commerce mondial n’est pas liée à une réallocation optimale des facteurs (liés à une régionalisation afin de tirer profit d’avantages comparatifs, de complémentarité…) : ce sont les conflits géopolitiques qui pèsent sur l’architecture des chaînes de valeur et de commerce. L’optimalité économique est donc entravée, ce qui conforte l’hypothèse d’une croissance mondiale moins riche et davantage inflationniste.
iii) La stagnation des échanges de marchandises n’engendre plus un intérêt mutuel des pays à élaborer des stratégies gagnant/gagnant : le recul est préoccupant pour les sujets tels que la transition écologique et énergétique, les passagers clandestins pourraient se multiplier.
--> Pour les économies : Etats-Unis, zone euro, Chine
i) Lorsque sont examinées les conséquences de la mise en place de droits de douane, il apparaît que la stratégie de droits de douane de l’administration Trump n’est pas, pour les Etats-Unis, une stratégie économiquement gagnante : elle semble donc être transactionnelle (arme de négociation sur les sujets suivants : la souveraineté numérique pour la Chine, l’immigration et le Fentanyl pour le Mexique et la Canada, le réarmement pour l’Europe). La hausse des droits de douane ne devrait donc pas forcément être mise en place dans les ampleurs craintes, ce qui éviterait une guerre commerciale.
ii) Pour la zone euro, il faut être vigilant tant à la relation commerciale tarifaire vis-à-vis des Etats-Unis qu’à celle sino-américaine : si les Chinois sont empêchés d’accéder au débouché massif qu’est le consommateur américain, il devra se déporter sur le marché européen. Le modèle de croissance chinois, qui ne peut reposer sur une demande interne trop ténue, reste construit sur les exportations.
iii) La hausse des droits de douane n’est pas la meilleure stratégie de relocalisation/recherche de souveraineté : ce sont les plans d’investissement (usines, infrastructures, formation…) qui le sont. Les barrières à l’échange (droits de douane, mesures non tarifaires) sont davantage pertinentes pour contrer des stratégies de dumping (social, subventions) ou pour préserver la sécurité nationale (souveraineté numérique, militaire…).
--> Du point de vue financier :
i) Un monde moins riche en croissance est un monde de rendements plus faibles
ii) Un monde davantage inflationniste et isolationniste (impliquant un besoin d’investissement domestique pour pallier ce que les échanges ne peuvent apporter, en termes de biens mais aussi en termes de paix) est un monde où les taux d’intérêt d’équilibre sont plus élevés (dette à lever).
iii) L’attention n’est que peu portée sur les taux de change qui sont aussi une arme de compétitivité relative entre économies : ce thème pourrait émerger, d’autant que le dollar se cote à un niveau historiquement élevé.