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Dans ce billet, nous portons un regard sur l’inflation, en analysant sa baisse récente et en dressant des perspectives. Le reflux de l’inflation française de 6,3 % en février 2023 à des niveaux proches de 1 % à l’automne 2024 montre que le choc inflationniste est « digéré » étant entendu que la normalisation de l’inflation ne doit pas être confondue avec le retour des prix à leur niveau d’avant crises. Des différents indicateurs avancés, au-delà d’un possible regain d’inflation temporaire vers 1,5 % en janvier (hausse de tarifs réglementés), il ressort que l’inflation va rester basse et maîtrisée dans les trimestres à venir, mais le niveau proche de 1 % qui sera celui encore observé au 1er semestre 2025 pourrait être suivi d’un niveau structurel légèrement supérieur, ramenant l’inflation vers 2 % à moyen terme. Des forces inflationnistes non liées au cycle des affaires (donc : droits de douane, réchauffement climatique, TEE, nouvel équilibre des marchés du travail, fragmentation du monde) sont à surveiller.

Les chocs « Covid 19 » et « guerre en Ukraine » résorbés…

L’année 2024 a vu se résorber le choc inflationniste lié aux deux crises du début de la décennie 2020. Ces chocs avaient, i) pour le choc Covid qui avait perturbé les chaînes de production et d’approvisionnement, créé de l’inflation des biens industriels (dans le graphique de décomposition de l’inflation, couleur bleu azur), ii) pour le choc « Guerre en Ukraine », concernant deux grands producteurs de denrées alimentaires et énergétiques, créé de l’inflation dans ces deux familles de biens (dans le graphique, couleurs or et marine).

Fin 2024, le seul secteur véritablement inflationniste est celui des services (barres de couleur prune, à 2,2 % en décembre 2024) : c’est classique de voir la queue de la comète inflationniste dans ce secteur. En effet, après un choc inflationniste, s’ensuit une hausse des salaires donc une hausse des coûts de production dans les services (intenses en main-d’œuvre), et in fine, une répercussion sur les prix de vente.

…mais dont les effets sont durablement et définitivement défavorables

L’inflation s’est normalisée mais il n’y a pas eu d’inflation négative : ces chocs ont donc eu un effet permanent sur le niveau des prix à la consommation, mais également ceux de tous les biens indexés totalement ou partiellement (loyers résidentiels, commerciaux, contrats avec clauses d’indexation automatique, salaires…) et des biens à la production et à l’exportation. Du point de vue de la compétitivité externe, notamment vis-à-vis des régions qui n’ont pas connu ces chocs (Etats-Unis, Chine, Japon…), la zone euro en ressort affaiblie (cf. graphique Rexecode).

Quid de l’impact des guerres actuelles ?

Deux grands conflits majeurs ne sont pas terminés :

  1. La guerre en Ukraine se poursuit, mais les circuits de production et sources d’alimentation se sont réorganisés, de sorte que les prix de biens au cœur de la crise ont baissé depuis leur pic, sans être revenus à leurs niveaux d’avant crises (cf. prix de gros du gaz 4 fois plus élevés et du blé 20% plus élevé). Le prix du gaz reste toutefois un sujet à surveiller, surtout dans le contexte de stock assez bas actuellement par rapport à l’an dernier.

  

  1. Le conflit au Proche-Orient et le risque d’escalade au Moyen-Orient ne provoque pas d’inflation, un cessez-le feu ne provoquera pas de désinflation : tout d’abord,  le prix du pétrole est resté sage, aidé par une moindre demande chinoise et des perspectives de production-relais en cas de moindre production de l’Iran, ensuite la hausse du prix des transports (le trafic maritime des conteneurs est dévié de la Mer Rouge au profit du Cap de Bonne Espérance) ne mord pas sur les prix finals contrairement aux chocs précédents dans la mesure où les stocks de produits finis sont élevés, ils viennent donc cette fois amortir le choc. Comme témoin des conséquences moindres de ce choc par rapport au choc Covid sur la production mondiale, 24,2 % des entreprises françaises dans l’industrie déclarent rencontrer des contraintes uniquement d’offre selon l’Insee (enquête de décembre 2024), alors que ce niveau culminait à 52 % courant 2022.

Les forces liées au cyclique économique sont peu inflationnistes

Les fondamentaux conjoncturels présagent d’une dynamique sage des prix en 2025. Le cycle des affaires est grippé, notamment compte tenu d’un manque de visibilité et d’une persistance d’un taux d’épargne élevé. Les stocks de produits finis sont élevés, ce qui est une configuration qui incite les entreprises, pour écouler ces stocks et maintenir la production à un niveau satisfaisant, à contenir autant que possible les prix (amortissement par le taux de marge). De son côté, le marché du travail se détend, les contraintes de recrutement sont moins prégnantes et les salaires sont en ralentissement vers un niveau de milieu de cycle (proche de 2,5 % par an en France, 3 % en zone euro).

©Banque de France

L’inflation devrait donc être proche de 1 % tout au long de ce 1er semestre 2025. Les forces désinflationnistes jouent toujours mais s’essoufflent.

Trump : un programme inflationniste aux Etats-Unis, quelle onde de choc en zone euro ?

Donald Trump a signalé vouloir augmenter les droits de douane ; il y a plusieurs effets à surveiller pour la zone euro :

i) un effet désinflationniste : si le marché chinois dispose de moins de débouchés de sa production aux Etats-Unis, il y a un risque qu’il vienne chercher un relais de croissance en Europe, avec des prix bas pour conquérir le marché.

ii) un effet inflationniste : d’abord, même si l’effet serait somme toute assez faible (la France importait en 2023 51,8 Mds de biens et 27,3 Md$ de services, les produits américains se renchériraient (hausse du coût des importations et autres mesures inflationnistes du programme de Trump), rappelant que les Etats-Unis sont le 5e fournisseur de la France (secteur hydrocarbures, aéronautique, pharmacie). Ensuite, la hausse des droits de douane américains peut déboucher sur une série de rétorsions des différentes économies qui finisse par dégénérer en une « guerre commerciale globale » dans un contexte où la fragmentation complique déjà le commerce mondial et remet en cause une grande force désinflationniste des décennies passées. Nous renvoyons à l’étude de la BCE sur la fragmentation, qui pointe de forts risques inflationnistes (Discours de Philip Lane, de la BCE, de novembre 2024) et relatons les travaux du FMI qui ont évalué l’impact des mesures du programme de D. Trump. Enfin, la hausse de l’écart de rendement monétaires Etats-Unis – zone euro, liée aux conséquences inflationnistes de la politique de Trump, est susceptible de renforcer le dollar vis-à-vis de l’euro : l’euro cote 1,02 dollar contre 1,08 avant l’élection (cf. tableau rappelant les impacts inflationnistes).

©WEO FMI octobre 2024

Les forces structurelles plutôt inflationnistes

Les forces structurelles identifiables sont plutôt inflationnistes : 

  • Le commerce mondial de biens marque le pas (il stagne depuis quelques années), laissant penser que les gains désinflationnistes dus à la croissance du commerce mondial et à l’éclatement des chaînes de valeur, facteurs de croissance et de modération des couts les décennies passées, ne se reproduiront pas.
  • La main-d’œuvre était une denrée abondante les décennies passées : la démographie évolue. Ce facteur va se raréfier, ce qui plaide pour une moindre modération salariale dans le futur.
  • Le réchauffement climatique s’avère plus rapide que prévu par les membres du GIEC ; il s’ensuit une augmentation des dégâts causés par la multiplication des évènements climatiques extrêmes qui implique une augmentation du prix des assurances ainsi qu’une hausse des dépenses d’adaptation (c’est un choc d’offre négatif).
  • La transition énergétique et écologique est accélérée par le choc énergétique récent et la recherche de souveraineté. La production d’énergie verte est davantage consommatrice de métaux que celle issue de l’énergie brune, de sorte que les prix d’équilibre de certaines matières premières seront structurellement plus élevés. Notons que la Banque de France, pour l’inflation annuelle 2027 (1,9 %), table dans ses projections publiées en décembre (lien) un rebond de +0,2 point par rapport à 2026 : elle note que « les prix de l’énergie accéléreraient temporairement en raison de l’extension à d’autres secteurs émetteurs du marché des permis d’émission de CO2. Cet impact, encore incertain, dépendra des modalités de sa mise en œuvre et pourra être limité par des mesures compensatoires », ce qui la conduit à projeter l’inflation à 2,2 % sur un an au 4e trimestre 2027.

Les facteurs désinflationnistes potentiels existent mais semblent moins allants : ils reposent par exemple sur les gains de productivité qui pourraient être issus de la pénétration de l’IA dans les économies, de l’évolution du marché du travail (cohorte d’apprentis qui seront mieux formés et davantage productifs, accélération de la formation continue avec Mon Compte Formation) voire de la réglementation, la volonté de simplification et de prise du « juste risque » pouvant desserrer des contraintes.

Conclusion 

L’inflation française a digéré les chocs Covid 19 et Guerre en Ukraine et, aidée par un bas de cycle économique (demande de biens et services faible, détente du marché du travail), l’inflation s’établirait entre le début de l’automne 2024 et probablement jusqu’à la fin du printemps 2025 en moyenne proche de 1 %, l’aléa identifié étant haussier (prix des matières premières, dépréciation de l’euro). L’inflation n’a pas été négative : les chocs ont donc eu un effet définitivement haussier sur le niveau des prix.

Au 2d semestre 2025, les forces désinflationnistes cycliques ne se renforceraient pas tandis que les forces structurelles (réchauffement climatique, TEE, fragmentation du commerce mondial, démographie …) gagneraient en prégnance. Ainsi, par le jeu des effets de base (à l’été 2025, on calculera l’inflation en comparaison aux bas niveaux de prix de l’été dernier), l’inflation devrait s’inscrire plutôt proche de 1,5 %. L’inflation pourrait s’établir ensuite dans un régime d’inflation un peu plus élevé qu’en 1999-2019 (moyenne observée : 1,4 %).