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À l'heure où l'urgence climatique s'intensifie, une question fondamentale se pose : peut-on résoudre les problèmes écologiques avec les outils qui y ont, en partie, contribué ? Les technologies numériques, responsables de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se réinventent aujourd'hui sous forme de « Green Tech » pour lutter contre le changement climatique. Entre scepticisme et espoir, ces innovations promettent de concilier l'inconciliable : accélérer la transition écologique tout en poursuivant le développement technologique. Mais au-delà du marketing vert, ces solutions représentent-elles de simples gadgets ou un véritable levier de transformation pour notre modèle de société ?

Transition écologique, transition numérique, faut-il faire un choix ?

À première vue, le monde du numérique semble incompatible avec la transition vers un monde plus vert. Selon l'ARCEP, le numérique représentait en 2022 4,4% de l'empreinte carbone et 11% de la consommation électrique nationale[1]. Au niveau mondial, ce secteur génère 3% à 4% des émissions de gaz à effet de serre (GES) - chiffres relativement modestes comparés au secteur des transports (32% des émissions nationales de GES en 2023[2]).

Qui plus est, les conséquences environnementales du numérique vont bien au-delà du carbone. La fabrication des appareils est très consommatrice en eau douce et en ressources naturelles, tout en étant particulièrement agressive pour les écosystèmes (pollution, acidification des eaux, etc). S'ajoutent à cela l'accumulation de déchets non recyclables en fin de vie des appareils[3],  et les impacts significatifs sur la santé. La course à la consommation d'appareils toujours plus performants ne fait qu'accentuer ce phénomène. En 2024, les ménages possèdent en moyenne 9,6 appareils numériques avec écran, dont 1,8 inutilisés, les jeunes adultes (18-24 ans) étant les plus grands consommateurs, malgré une légère baisse des appareils non utilisés entre 2023 et 2024.

 

Figure 1. L’empreinte carbone du numérique

©Etude ADEME-Arcep : évaluation de l’empreinte environnementale du numérique en France en 2020, 2030 et 2050

De prime abord le numérique semble donc aller à l’encontre de la transition écologique. Celle-ci prône en effet un nouveau modèle économique et social visant à réduire notre dépendance aux énergies fossiles, à faire face aux catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, et à construire un monde plus respectueux des écosystèmes. Et cependant, de manière encourageante, les secteurs innovants se tournent désormais vers des solutions environnementales pérennes - c'est justement le cas des Greentech, qui mettent les technologies, notamment numériques, au service de l'adaptation au changement climatique.

Les Greentech, un écosystème prometteur en plein essor

Les Greentech (aussi appelées Ecotech ou Cleantech) s'inscrivent dans un mouvement initié aux États-Unis dans les années 2000. Elles désignent des entreprises qui font converger transition écologique et technologies de pointe. Plus précisément, ce sont des start-ups spécialisées dans le développement de technologies innovantes visant à réduire, mesurer et anticiper les impacts environnementaux liés au changement climatique, notamment grâce aux solutions data et à l'intelligence artificielle - démontrant ainsi que le numérique peut être un outil précieux pour renforcer la résilience des territoires.

Le champ d'action des Greentech est vaste : de la nourriture pour animaux à base d'insectes aux matériaux durables pour la construction, en passant par la production d'énergie renouvelable et le développement de modèles sophistiqués de prévisions météorologiques. La start-up Sereno illustre ce dernier point avec son produit de prévisions météo d'une précision à la minute et à 500 mètres, combinant observation haute définition et IA. Dans les principaux domaines d'intervention figurent l'efficacité énergétique, l'économie circulaire, la mobilité durable, la gestion intelligente de l'énergie, la renaturation urbaine et la dépollution des eaux.

En France, cet écosystème connaît une expansion remarquable : dans une étude récente Bpifrance recensait plus de 2150 entreprises innovant pour la transition écologique en 2023, contre 1800 fin 2021 et seulement 800 en 2020[4]. Malgré cette croissance, ces start-ups affrontent des défis considérables : comment, pour de jeunes entrepreneurs issus des milieux de la recherche, trouver des financements pour des projets d'intérêt général sans être contraints par des intérêts divergents des objectifs publics ?[5] Comment renforcer compétitivité des Greentech dans une économie de marché toujours plus compétitive et agressive ? Comment gagner la confiance d'acheteurs méfiants ?

Les Greentech partagent les problématiques classiques des start-ups (besoins de financements pour l'industrialisation, concurrence intensifiée, marchés trustés par les grands groupes), mais doivent également maintenir un engagement fort en faveur de la transition écologique malgré une baisse des levées de fonds[6] et des évolutions réglementaires parfois contradictoires et soudaines.

L'État français soutient activement ces innovations via Ecolab, le laboratoire d'innovation au service de la transition écologique situé au sein du Commissariat Général du Développement Durable. Son programme Greentech Innovation compte 290 lauréats sélectionnés lors d'Appels à Manifestations d'Intérêt annuels. Chaque lauréat doit répondre aux exigences des politiques publiques, démontrer l'innovation et la viabilité de son projet, ainsi qu'un engagement fort pour le développement durable. Ils bénéficient d'un accompagnement complet (webinaires, rendez-vous d'affaires, réseau d'incubateurs partenaires, accès au réseau scientifique et technique du Ministère). Ecolab soutient également le dispositif "Green 20" porté par la French Tech et organise le Meet'Up Green Tech, rendez-vous annuel du secteur.

 

Figure 2. Les objectifs Greentech Innovation

©https://greentechinnovation.fr/

L’eau, une denrée précieuse mais incontrôlable ?

L'eau est une ressource essentielle mais limitée : -14% d'eau en France venue du ciel et des cours d'eau des pays voisins ces deux dernières décennies, 1 litre sur 5 perdu en raison de fuites dans les réseaux de distribution d'eau potable[7], augmentation des crues et des inondations... La gestion de l'eau et l'anticipation des événements extrêmes sont devenues cruciales pour les politiques publiques. La Banque des Territoires, dans sa stratégie de préservation des ressources hydriques, a récemment investi dans deux Greentech complémentaires utilisant des technologies numériques avancées : vorteX.io et Leakmited.

VorteX.io, start-up toulousaine spécialisée en intelligence hydrologique, a développé une technologie disruptive basée sur l'altimétrie satellitaire. Sa solution mesure en temps réel, avec une précision inégalée, les paramètres hydrologiques clés des rivières et fleuves. Les données sont analysées sur sa plateforme Maelstrom, qui fournit des services stratégiques aux décideurs publics et privés : notifications en temps réel des risques, optimisation de la gestion de l'eau pour les collectivités, sécurisation des infrastructures, anticipation des besoins agricoles et industriels. D'ici fin 2024, 1000 microstations seront déployées en France et en Croatie, deux pays européens fortement exposés aux risques d'inondation.

Leakmited , quant à elle, se spécialise dans l'amélioration des rendements des réseaux d'eau via des outils logiciels propriétaires basés sur l'intelligence artificielle. Sa technologie permet d'isoler les zones de fuites, triplant ainsi leur détection. Cette solution représente une économie de temps considérable pour une activité jusqu'ici réalisée manuellement, ainsi qu'une optimisation des ressources engagées dans la rénovation des réseaux. Entraînés sur plus d'un million de données, les algorithmes de Leakmited offrent une grande fiabilité, permettant un modèle de distribution vertueux tant au niveau des coûts commerciaux que des coûts de structure.

Conclusion

Malgré les obstacles financiers et concurrentiels, la croissance exponentielle des Greentech en France témoigne d'une prise de conscience collective. Le soutien actif de l'État et d'investisseurs comme la Banque des Territoires confirme leur potentiel transformateur.

Au-delà d'être de simples gadgets technologiques, les Greentech représentent un véritable levier pour concilier nos besoins numériques avec les impératifs écologiques. Elles nous rappellent que la transition vers un monde plus durable ne passe pas nécessairement par un rejet du progrès technologique, mais plutôt par son orientation vers des usages responsables et régénératifs. L'avenir de notre planète dépendra en partie de notre capacité à faire converger ces deux transitions.

 

Notes

[3] Begon, H. (2024). Numérique et Transition Écologique : Deux Transitions Récentes et Massives. Administration, 282(2), 61-65. https://doi-org.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/10.3917/admi.282.0061.

[5] Begon, H. (2024). Numérique et Transition Écologique : Deux Transitions Récentes et Massives. Administration, 282(2), 61-65. https://doi-org.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/10.3917/admi.282.0061.