Crédit © Julie Chouraqui - Caisse des Dépôts

article

CD'enjeux

22 fév. 2021

Dynamiques de déprise des villes moyennes françaises

Temps de lecture
4 min

Depuis la fin des années 2000, le déclin des villes moyennes est devenu central dans le débat public et scientifique. Plus précisément, deux processus sont mis en avant : la dévitalisation des centres-villes d’une part, et la décroissance urbaine d’autre part. L’un et l’autre suggèrent une fragilisation des villes petites et moyennes, mais ils soulèvent en même temps de nombreuses questions : toutes les villes moyennes sont-elles touchées ? Leurs évolutions sont-elles semblables aux petites villes, ou au contraire spécifiques ? Quelle est la différence entre villes en décroissance, et villes dont le centre est dévitalisé ?

 Deux processus distincts

La dévitalisation des centres-villes a été documentée dans plusieurs rapports institutionnels, qui ont alimenté la mise en place de politiques publiques visant la revitalisation des centres-villes, comme l’AMI Centres-Bourgs en 2014, et plus récemment les programmes Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain. Elle se caractérise par des taux élevés de vacance commerciale et du logement, un appauvrissement des résidents, des pertes démographiques et une chute de la fréquentation du centre-ville, qui toucheraient en particulier les villes petites et moyennes. Ce phénomène n’est pas spécifique à la France, et a été observé au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou aux Pays- Bas[1].

Dans la recherche en géographie urbaine et en aménagement, les dynamiques de décroissance urbaine ont été étudiées depuis les années 1990. La décroissance urbaine peut se définir comme une situation de crise multidimensionnelle, enclenchée et caractérisée par des pertes d’emplois et de population, une paupérisation des résidents et une dégradation du tissu urbain. Dans certaines régions du monde, la décroissance affecte particulièrement les villes petites et moyennes : c’est particulièrement le cas dans l’ouest de l’Europe et en France[2].

 

La notion de déprise urbaine

Méthode et objectifs

Dans ma thèse, je cherche à montrer la diversité des villes moyennes et à qualifier leurs dynamiques de déclin afin d’apporter des réponses aux questions posées en introduction. Il s’agit ainsi de distinguer les villes moyennes fragilisées de celles qui sont dans une situation plus favorable. En construisant la notion de déprise urbaine, ce travail vise ensuite à clarifier les différentes formes de fragilisation qui touchent les villes moyennes et à interroger leurs spécificités par rapport aux grandes ou petites villes.

Il s’agit notamment de distinguer dévitalisation du centre-ville et décroissance urbaine, mais aussi d’interroger l’existence d’autres formes de déclin plus atypiques et encore peu documentées. La méthode utilisée est la production de typologies appuyées sur des données quantitatives[3]. Ces données ont permis de qualifier les trajectoires démographiques, d’emploi, de fragilisation sociale[4] ou de dégradation du tissu urbain[5] des villes françaises sur des longues périodes. Elles ont été traitées de façon à rendre compte des évolutions contrastées pouvant exister au sein des agglomérations[6] entre le centre urbain, la banlieue et les couronnes périurbaines.

 

Dynamiques de déprise des villes moyennes

Quelles différences avec les petites et grandes villes ?

Ces analyses ont, dans un premier temps, permis d’interroger les spécificités des villes moyennes par rapport aux petites et grandes villes. Pour chacune des thématiques étudiées[7], on constate qu’une majorité des communes centres des agglomérations françaises est concernée par des trajectoires de fragilisation, quelle que soit leur taille. On observe des similitudes importantes entre villes petites et moyennes. Les trajectoires de déclin démographique, de l’emploi ou d’augmentation de la vacance du logement sont en effet plus fréquentes dans ces villes que dans les grandes villes. En revanche, les banlieues et les couronnes des petites villes sont plus fragilisées que celles des villes moyennes, qui se distinguent par des évolutions souvent divergentes entre leur centre et leurs périphéries.

 

Les trajectoires démographiques des communes centres, banlieues et couronnes des agglomérations françaises depuis 1975

 

Les trajectoires d’évolution de l’indice de fragilités sociales des communes centres, banlieues et couronnes des agglomérations françaises depuis 1990

 

Les trajectoires d’évolution du taux de vacance du logement dans les communes centres, banlieues et couronnes des agglomérations françaises depuis 1990

 

Les trajectoires d’évolution du nombre d’emplois des agglomérations françaises depuis 1975

 

Cinq profils de déprise

Une typologie multithématique esquissant cinq profils de villes moyennes

Les villes moyennes peu fragiles

 

Les villes moyennes en décroissance

 

Les villes moyennes concernées par une dévitalisation de leur commune centre

 

Les villes moyennes concernées par une dévitalisation légère de leur commune centre

 

Des profils de déprise mixte

 

Cette analyse, qui met en lumière cinq profils de déprise, illustre la diversité des villes moyennes. Une majorité des villes moyennes sont concernées par une dévitalisation de leur commune centre. Ces villes sont disséminées dans toute la France. Les profils de décroissance urbaine, de déprise mixte ou peu fragiles sont répartis de façon moins homogène sur le territoire. Le quart nord-est et la diagonale des faibles densités concentrent quasiment toutes les villes en difficultés, et la moitié sud concentre les villes peu fragiles. La mise au jour d’un profil de déprise mixte nuance cette géographie, puisqu’il atteste de villes présentant des difficultés importantes sur le littoral languedocien et dans la vallée du Rhône.

 

Pour aller plus loin :

Vidéos réalisées pour l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie :

 

Publications :

Chouraqui, J. (2021). “Medium-sized cities in decline in France: between urban shrinkage and city centre devitalisation”. Raumforschung Und Raumordnung. https://rur.oekom.de/index.php/rur/article/view/26

 

Chouraqui, J., Miot, Y., Morel Journel, C., et Sala Pala, V., 2021. « Fragilité de la centralité en contexte de décroissance urbaine. Le centre-ville comme problème à Châlons-en-Champagne, Dunkerque et Saint-Étienne », in : Béal V., Cauchi-Duval N., Rousseau M. (Dir.) : Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Éditions du Croquant.

[1] A. Boutet, J. Chouraqui, M. Mauvoisin, 2019. Petites centralités : entre desserrement urbain et dynamiques macro-régionales ; S. Buhnik, 2018, Comprendre et comparer la dévitalisation des commerces et services dans les villes moyennes : une revue de la littérature internationale.

[2] M. Wolff, T. Wiechmann, 2018. “Urban growth and decline: Europe’s shrinking cities in a comparative perspective 1990–2010”, European Urban and Regional Studies ; Béal V., Cauchi-Duval N., Rousseau M. (dir.), 2021. Déclin urbain :  La France dans une perspective internationale.

[3] INSEE, Recensement général de la population 1975-2016 ; Pour les recensements de la population 1990 & 1999 : tableaux profils, INSEE [producteur], ADISP [diffuseur].

[4] Approchées par un indice combinant taux de chômage, de personnes sans diplôme, d’actifs en CDD ou en intérim, et de salariés à temps partiel. (Données issues du recensement de la population (INSEE), pour les années 1990 et 1990 : tableaux profils, INSEE [producteur], ADISP [diffuseur])

[5] Approchées par l’analyse des taux de vacance du logement

[6] Le découpage utilisé est celui des aires urbaines de l’Insee (définition de 2010)

[7] Sauf les emplois, qui n’ont pas été étudiés à cette échelle. On a en effet considéré que les emplois constituent une ressource accessible aux habitants de l’agglomération, qu’ils soient localisés dans le centre, la banlieue ou les couronnes périurbaines. Dans ce cadre, ce sont les évolutions du stock d’emplois dans l’ensemble de l’agglomération qui nous paraissent les plus pertinentes à étudier.