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L’action publique locale est rentrée dans une phase de turbulences. La crise sanitaire, économique et sociale provoquée par la Covid-19 accentue cette situation. Alors comment, pour les collectivités locales, renouveler le regard sur la délivrance et le financement des services urbains ?
1. L’incertitude sur les finances publiques locales, marquée par la diminution des dotations de l’Etat, la succession de crises écologiques et sanitaires auxquelles doivent faire face les collectivités et une remise en cause de la fiscalité locale. Les collectivités sont contraintes de réduire leurs dépenses, alors que les besoins de financement augmentent pour multiplier les services à la population, entretenir les infrastructures ou engager la transition écologique, numérique et sociale des territoires.
2. La transformation des usages et des attentes des citoyens, qui se montrent de plus en plus exigeants vis-à-vis l’efficacité des services publics locaux... mais n’hésitent pas à les délaisser pour se tourner vers une offre privée parfois plus onéreuse mais plus en phase avec leurs besoins. Les citoyens restent attachés à l’intérêt général et comptent sur la collectivité pour le faire respecter, mais leur rapport à l’action publique est de plus en plus consumériste et la notion d’intérêt général de plus en plus soumise à interprétation.
3. L’impératif de transition écologique et sociale des territoires, au lendemain de la crise des Gilets Jaunes et de la Covid-19. Face aux bouleversements environnementaux, sociologiques, sanitaires, les collectivités se retrouvent confrontées à de nouveaux enjeux qui dépassent leur champ de compétence habituel. Entre l’incitation et la contrainte, cela reconfigure aussi leur rapport aux citoyens et aux acteurs des territoires.
4. La recomposition du paysage des opérateurs urbains. Que ce soit dans les grandes métropoles (comme Uber ou Citymapper), ou dans l’ensemble des territoires (comme AirBNB ou Waze), de nouveaux acteurs apparaissent, certains globaux (ceux cités précédemment), d’autres plus locaux et spécifiques à chaque territoire. Situés en dehors du cadre de la commande publique, ils bousculent les formes habituelles de régulation public-privé. Par ailleurs, les opérateurs historiques eux-mêmes se repositionnent, pour élargir leur offre de service. Dans ce contexte, difficile de savoir qui fait quoi.
Mises bout à bout, ces mutations viennent brouiller la frontière entre services publics maitrisés par les collectivités et offres privées portées par des multinationales ou des acteurs associatifs locaux : au regard des usagers, la distinction entre ce qui relève du service public ou non est de plus en plus floue, et seuls leur importent les services « urbains », c’est-à-dire l’ensemble des services qui s’offrent à eux, qu’ils relèvent ou non d’une compétence territoriale. Ces mutations obligent ainsi les communes et intercommunalités à faire évoluer leurs modes d’intervention pour mieux répondre aux attentes des citoyens/usagers et mieux négocier avec ces nouveaux acteurs dits urbains, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs proposant une offre de service aux usagers résidant en ville au sens large (englobant villes, villages et métropoles).
Dans ce contexte, l’approche Nouveaux modèles économiques urbains est une grille de lecture qui permet de renouveler le regard sur la délivrance et le financement des services urbains.
Comment réaliser des propositions ambitieuses avec des ressources limitées ? Comment tenir un cap politique face à la multitude d’acteurs qui interviennent sur son territoire ? Comment développer la capacité d’action de sa commune ou intercommunalité sans pour autant pouvoir tout contrôler ?
Et si la ville devenait Freemium ? Ou effacée ? Ou pair-à-pair ? Un détour prospectif vient révéler l’ampleur des mutations à l’œuvre, pour souligner les enjeux qui en découlent.
Par exemple, le modèle économique Freemium articule une offre gratuite (free) et une offre payante haut de gamme (Premium). Dans ce modèle, il s’agit de diffuser un service de base accessible gratuitement au plus grand nombre, pour chercher ensuite à convertir ces utilisateurs en clients d’une offre Premium donnant accès à des services complémentaires et payants. Le Freemium est au cœur du modèle de nombreuses plateformes numériques, comme Amazon ou Spotify. Dans ce scénario, nous imaginons la transposition de ce modèle économique aux services urbains (publics et privés).
De son côté, l’effacement consiste, dans le secteur de l’énergie, à rémunérer l’usager pour l’électricité qu’il ne consomme pas, de manière à éviter les pics de consommation. Jusqu’ici, cela concernait surtout les sites industriels invités à débrancher ponctuellement leurs machines pour éviter la pénurie d’électricité, mais avec les réseaux intelligents, ce type d’offres se diffuse aussi aux entreprises et aux particuliers. Ce scénario transpose le modèle économique de l’effacement à l'ensemble des services urbains. Dans une logique de transition écologique, ce scénario vise à interroger les modalités de valorisation de la non-consommation et leurs implications pour l’usager, ainsi que les possibilités d’ajustement en temps réel de l’offre et de la demande de services urbains pour optimiser l’usage des infrastructures existantes.
Enfin, le pair-à-pair est un modèle économique qui connaît un regain d’intérêt avec l’économie numérique. Ce modèle repose sur la coopération horizontale et la mobilisation de ressources distribuées pour produire des services urbains de manière décentralisée. Il s’agit d’un retour aux sources de l’économie collaborative (ou « économie du partage »), où le troc occupe une place centrale et où chacun participe à la préservation des biens communs. Dans ce scénario, la distinction entre l’opérateur et les usagers s’atténue, avec une implication beaucoup plus forte des usagers-citoyens dans le pilotage et la mise en œuvre des services urbains. Il s’agit alors d’imaginer la cohabitation de cette ville bottom-up avec le modèle historique centralisé des grands réseaux urbains.
Face à ces mutations, il est possible de renouveler la boîte à outils de l’action publique locale, pour dépasser les limites de l’approche trop "collectivité-centrée" induites par l’élaboration du budget ou la définition d’un plan d’actions sectoriel. Ces nouveaux outils servent ainsi à structurer l’analyse et aident les décideurs locaux à se poser les bonnes questions.
Par exemple, la mutation des services urbains se traduit par une fragmentation des acteurs en présence et par un brouillage croissant entre services publics et offres privées. Ce foisonnement contraste avec l’organisation traditionnelle des services publics, qui a longtemps reposé sur une relation bilatérale entre une collectivité donneur d’ordres et un opérateur exploitant (le « jardin à la française de la commande publique »). L’outil chaîne de valeur sera alors bien utile.
Autre exemple : les services urbains comme le reste de l’économie sont confrontés à une diversification et une complexification des stratégies économiques pour produire de la valeur. Cela s’explique notamment par une déconnexion croissante entre le service proposé et son financement, comme l’illustre le développement du gratuit dans l’économie numérique (le service n’est plus payé par l’usager, mais par d’autres services comme la publicité). Cela résulte aussi d’une segmentation des offres, de plus en plus ciblées en fonction des usagers du fait de la multiplication des opérateurs. On utilisera alors l’outil matrice de modèle économique pour y voir clair.
L' «Etude sur les nouveaux modèles économiques urbains » a été initiée fin 2015. L’origine de cette réflexion repose sur deux constats : d’un côté, l’essoufflement du financement traditionnel de la production urbaine, de l’autre, une ville saisie par le numérique. Financée par la Banque des Territoires, l’ADEME et le PUCA, cette approche a été développée au fil de quatre publications en lien avec de nombre acteurs territoriaux. Deux nouvelles publications viennent de paraître : le « mode d’emploi » et les « cas pratiques », qui s’adressent tout particulièrement aux élus et agents de collectivités locales, quelles que soient leurs tailles, qui veulent décrypter ces transformations et construire une stratégie adaptée à ce nouveau contexte. Sur le fond, ces publications visent à montrer que la crise des finances publiques locales n’est pas une fatalité et que les territoires ont de nombreux leviers d’action. Sur la méthode, elles proposent une nouvelle approche pour repenser le modèle économique de l’action publique locale.
Le « mode d’emploi » comporte tout d’abord un détour prospectif vient révéler l’ampleur des mutations à l’œuvre, pour souligner les enjeux qui en découlent, tout en permettant de faire un « pas de côté » et prendre un peu de recul. Il propose également une boîte à outils des modèles économiques urbains, pour en faciliter l’appropriation par les élus et les services des collectivités. Sont ainsi présentés les « axes de transformation », la « matrice de modèle économique », et la chaîne de valeur, qui sont devenus la grammaire de l’approche par les nouveaux modèles économiques urbains. Ils structurent l’analyse et aident à se poser les bonnes questions.
Les « cas pratiques » visent à faciliter l’appropriation de cette approche par les Nouveaux modèles économiques urbains, en partant des préoccupations traditionnelles des collectivités locales, de leurs élus et de leurs services. Six cas pratiques sont proposés : « je renégocie ma délégation de service public » (avec l’exemple de la DSP mobilité), « j’élabore ma stratégie sectorielle » (avec l’exemple du projet éducatif local), « je modifie la tarification de mon service public » (avec l’exemple de l’eau potable », « je construis mon budget prévisionnel » (avec l’exemple des espaces verts), et enfin « je lance un projet d’aménagement (avec l’exemple des équipements publics). Sur chaque cas pratique, un parcours en dix questions propose des alternatives au mode de réflexion habituel et adopte un autre regard.
Ces deux publications ont été conçues comme un cahier d’activités, et pour, le cas échéant, servir de supports d’ateliers. A vos stylos
Pour consulter l’étude " Nouveau Modèle économique urbain" https://www.modeleseconomiquesurbains.com/