cicéron
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Crédit ©Gaël Étienne
Dans notre billet précédent sur le sujet publié l’été dernier, (Anatomie de la désinflation), nous tablions sur une désinflation qui est effectivement observée : après avoir culminé à 6,3% en février, la hausse des prix à la consommation sur un an n’est plus que de 3,7% en décembre 2023. Dans ce billet, nous analysons cette désinflation, situons le niveau d’inflation instantanée (proche de 2,5%) et tentons d’approximer le niveau de l’inflation ressentie (probablement supérieure à 5%). Ce diagnostic, associé au constat d’absence de contre choc baissier généralisé à tous les secteurs, alimente les anticipations pour 2024 de poursuite de baisse du niveau de l’inflation sous 3% et même sous 2,5%. Le pouvoir d’achat des ménages profitera de ce reflux qui donnera également à la BCE la possibilité de desserrer la contrainte monétaire. La bonne nouvelle est également que l’inflation ressentie devrait se normaliser, améliorant le moral des ménages. Attention, le retour vers des standards historiques (moyenne 1999-2019 : 1,4%), qui prévalaient avant les chocs récents (Covid 19, guerre en Ukraine) ne semble toutefois pas à portée de vue.
En décembre 2023, selon l’Insee, l’inflation s’établit à 3,7% : la normalisation attendue de l’inflation se confirme, surtout dans l’énergie, l’alimentation et les biens manufacturés.
L’inflation sur un an « observée » compare les prix observés au mois donné à leurs niveaux il y a un an (niveau historique servant de base de référence au calcul du glissement annuel) : elle ne dit rien de l’inflation courante ou instantanée car, par construction, seuls deux niveaux de prix sont comparés (le mois de l’année en cours et le même mois de l’année précédente) : la dynamique récente n’est pas mise en lumière. A se faire une idée plus précise de la dynamique en cours, nous observons, au sein des composantes sectorielles, deux groupes :
1/ Ceux où l’inflation s’est normalisée : depuis quelques mois, les variations mensuelles de prix sont proches des variations mensuelles historiquement constatées. C’est le cas des biens industriels et, depuis le printemps 2023, des produits alimentaires : il n’y a plus l’anomalie inflationniste constatée en 2022 dans ces secteurs.
2/ Ceux où les tensions sur les prix se détendent sans être normalisées : l’inflation mensuelle reste supérieure aux standards historiques, c’est le cas dans les secteurs i) des services : les variations mensuelles supérieures à la moyenne historique sont moins fortes au 2d semestre 2023 qu’au 1er semestre et qu’en 2022, mais elles restent un peu supérieures, ii) de l’énergie, où les tensions s’apaisent avec toutefois de la volatilité.
A recalculer l’inflation de façon plus instantanée pour intégrer les dynamiques récentes masquées dans le calcul traditionnel en glissement annuel et en prenant en compte ces tendances prospectivement, on aboutit à un rythme d’inflation courante qui s’établit à un niveau proche de 2,5% l’an. Cela confirme que la tendance désinflationniste en cours devrait se poursuivre, l’absence de choc dans les mois qui viennent amenant l’inflation observée proche de ce niveau de 2,5%.
Si l’inflation constatée comptablement est une variable importante pour les forces de rappel de long terme qui intègrent l’inflation dans les équations de comportement des agents, l’évolution des variables indexées à l’inflation (taux du livret A, indice de revalorisation des contrats, des baux…), l’inflation ressentie l’est tout autant : i) c’est elle qui forme l’arbitrage de court terme des agents entre épargne et consommation, et au sein de la consommation, entre familles de biens, ii) c’est elle qui influence l’exigence de revalorisation salariale, donc détermine les couts salariaux unitaires qui en résultent et in fine l’inflation future, et iii) le niveau de bien-être des ménages est aussi une question de ressenti des agents qui dépasse la seule mesure statistique.
De l’observation de la perception des prix passés (issue de l’enquête Insee menée mensuellement auprès des ménages) et de la variation des prix passés, il ressort 2 faits saillants qui font étalonner (forcément de façon peu précise) une inflation ressentie encore supérieure à 5%, plus élevée que l’inflation sur un an constatée (3,7%) ou l’inflation instantanée (proche de 2,5%) :
1/ Il y a une bonne corrélation entre l’inflation constatée et la composante de l’enquête mais le lien entre les 2 variables est perdu lorsque l’inflation dépasse 3%. Le ressenti de l’inflation a été supérieur à 15% une grande partie de l’année 2023 (cf. sondages Odoxa-Agipi). Puisque l’inflation totale repassera très probablement sous ce niveau critique de 3% dans les mois à venir, alors la corrélation historique va se remettre à jouer : il y aura une détente de la perception de l’inflation et une amélioration du moral des ménages.
2/ L’inflation ressentie n’est pas l’inflation globalement observée du fait d’un biais de perception : l’inflation des biens de consommation est davantage perçue lorsque les achats sont fréquents (ce n’est pas forcément une question de pondération dans les dépenses) et visibles (un décaissement cristallisé par un paiement à la caisse marque davantage l’esprit qu’un prélèvement automatique). De ce fait, il apparaît que l’inflation ressentie est davantage celle dans les secteurs alimentaires et énergétiques (7,2% et 5,7% à date) que celle dans le panier global (3,7%). Une étude de la Banque de France publiée mi-novembre pointe des différences de ressenti selon le genre, l’âge, le diplôme, le revenu et les sources d’information. Le contexte 2023 est atypique : la corrélation de l’inflation perçue passée (enquête Insee) a été de 0,9 avec l’inflation dans l’alimentation, 0,3 avec l’énergie et 0,04 avec les services (pourtant 50% du panier), là où les corrélations historiques montrent une hiérarchie plutôt proche de celle de la hiérarchie des pondérations dans le panier de biens (0,4 pour l’alimentaire et l’énergie et 0,8 pour les services).
Au total, il apparaît, pour 2024, que la mécanique de désinflation en cours va se poursuivre, notamment dans les secteurs industriel et alimentaire. L’inflation dans les services ne devrait, elle, se normaliser que tardivement dans le cycle (l’effet des hausses de salaires et des prix de l’énergie est à digérer ; le devenir de la productivité du travail est à surveiller). Point d’attention dans l’énergie : où le choc apparaît davantage permanent que transitoire dans le contexte actuel. Y a-t-il des biens dont les prix vont baisser ? Oui, mais ce n’est pas atypique, il y a toujours des biens et services dont les prix baissent : en décembre, 15,5% des 103 familles de biens qui composent l’indice Insee connaissaient des baisses de prix (c’est naturellement, à ce niveau d’inflation, moindre que la moyenne historique de 23%).
L’inflation totale devrait s’approcher de 2,5 % dès la fin de l’hiver puis converger ensuite vers 2%. Le moral des ménages (composante inflation perçue) s’en trouvera revigoré, leur pouvoir d’achat également, et la BCE aura la possibilité de desserrer la contrainte monétaire.Le changement de paradigme (cf. partie 2 du billet « Anatomie de la désinflation ») rend toutefois très optimistes des projections d’un retour de l’inflation vers des standards historiques (moyenne 1999-2019 : 1,4 %) : il sera probablement compliqué de voir l’inflation s’installer durablement sous 2 % à court et moyen terme.