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Soumise à une pression démographique importante, la communauté d’agglomération de La Rochelle travaille depuis plusieurs années à l’élaboration d’une stratégie foncière qui lui permettrait d’augmenter ses capacités d’accueil – avec une offre de logements, d’activités économiques et de services publics recalibrée – tout en faisant l’économie du sol.
Contrainte à l’ouest par ses 70 kilomètres de côtes, vulnérables à la submersion, la communauté d’agglomération (CA) de La Rochelle mise sur l’intensification de sa ville-centre et de sa première couronne, afin de réduire drastiquement les extensions urbaines dans sa périphérie rurale, à l’est. Mais comment stopper l’étalement urbain sur un territoire majoritairement occupé par des surfaces agricoles et qui fait l’objet d’une attractivité résidentielle, touristique et économique grandissante ?
C’est à cette question, notamment, que le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la CA de La Rochelle, approuvé en décembre 2019, doit répondre. « La CA travaille sur la stratégie foncière depuis longtemps ; nous avons lancé, dès 2016, d’importants diagnostics fonciers et porté des réflexions approfondies sur la consommation des espaces, sur les zones à densifier, etc. », indique Antoine Grau, maire de Lagord (commune de première couronne) et vice-président de la CA, notamment en charge des relations avec les communes, de l’aménagement de l’espace et de la cohésion territoriale (PLUi et SCoT 1). « Le PLUi est le premier pilier de la stratégie foncière du territoire. Le second, c’est le “zéro artificialisation nette” [ZAN, ndlr]. »
Le PLUi, en limitant à 450 hectares environ les zones allouées au développement urbain (nouvelles constructions et extensions) sur les dix prochaines années et pour l’ensemble des 28 communes, a permis une réduction de près de 500 hectares par rapport à ce qui était inscrit dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les plans d’occupation des sols (POS) de l’agglomération.
« Malgré une baisse notable des surfaces ouvertes à l’artificialisation, nous restons au-dessus des exigences du ZAN, assure Antoine Grau. Nous poursuivons les efforts. Actuellement, nous consommons 30 hectares par an pour le logement, l’économie ou les infrastructures. Pour répondre au ZAN, nous devrons atteindre 18 hectares par an, d’ici à 2030. » Pour la CA, il s’agit aussi d’inscrire dans la trajectoire ZAN les ambitions de sa stratégie bas-carbone. Le projet « La Rochelle territoire zéro carbone 2040 » repose sur plusieurs axes opérationnels, dont l’intensification des mobilités douces et autonomes, l’optimisation des fonctions de puits de carbone des zones humides et littorales, le développement des énergies renouvelables (EnR), etc. «Nous souhaitons développer un programme fort d’EnR: méthanisation, éolien, photovoltaïque, annonce l’élu. Mais nous avons beaucoup de mal à y arriver, car nous ne trouvons pas de foncier. L’éolien, par exemple, ne peut trouver sa place que dans les secteurs ruraux, mais c’est un schisme important. »
La mise en application du PLUi a permis d’inverser les évolutions démographiques de ces dernières années, lesquelles allaient à l’encontre d’un développement soutenable, avec une perte des habitants dans le centre de l’agglomération et une augmentation très forte des populations en deuxième couronne.
À La Rochelle, les prix au mètre carré sont élevés, dans les secteurs situés près du littoral tout particulièrement, allant de 5 000 euros à 10 000 euros. Ce qui explique la fuite des ménages vers l’est, plus accessible. « Le PLUi nous a permis de réorganiser la spatialisation de nos zones d’urbanisation futures en ouvrant principalement des zones en première couronne, tout en réduisant celles situées en périphérie sur des espaces agricoles, explique le maire de Lagord. C’est un paradoxe d’avoir plus de croissance démographique dans des zones rurales où des classes d’écoles ferment chaque année. Avant, nous étions à plus de 2 % de croissance démographique par an en deuxième couronne. Désormais, grâce au PLUi, nous sommes à une augmentation de 0,8 % par an, répartie de façon plus homogène sur tout le territoire de l’agglomération. Le rééquilibrage est enclenché. »
Par ailleurs, conformément au PLH (programme local de l’habitat) de la CA, chaque projet de neuf logements minimums doit comporter entre 25 % et 40 % de logements locatifs sociaux et 20 % de logements dédiés à la primo-accession dans les communes SRU (solidarité et renouvellement urbains). Environ 10 000 personnes sont sur liste d’attente pour obtenir un logement social dans l’agglomération rochelaise.
La Rochelle n’attire pas seulement de nouveaux résidents, elle est aussi un territoire attractif pour les entreprises. « Il faut densifier les zones d’activité économique [ZAE], et toujours dans le but de rapprocher l’emploi de l’habitat et de limiter les déplacements, nous avons inscrit dans le SCoT davantage de projets de ZAE dans les deux autres communautés de communes avec qui nous partageons le document [Aunis Atlantique et Aunis Sud], et plus de projets résidentiels dans la CA de La Rochelle », précise Antoine Grau, sachant que le SCoT devrait être arrêté en janvier 2024. En calibrant des enveloppes d’extensions urbaines pour chaque commune, le PLUi doit permettre de rompre avec un urbanisme d’opportunité. « Les surfaces allouées à l’urbanisation doivent être proportionnelles aux capacités de la commune à proposer des services », appuie Roger Gervais, vice-président de la CA de La Rochelle et maire de la commune rurale de Saint-Médard-d’Aunis. « Il s’agit de donner une enveloppe plus importante aux pôles structurants, là où l’on trouve un collège, par exemple. »
Selon l’élu, le zonage ordonné par le PLUi a bien fonctionné dans sa commune.
Densifier les villages, un paradigme tout à fait nouveau qu’il est compliqué de faire accepter, certains élus ruraux y voyant une injustice, une aberration, ou simplement une impasse. « Dans les communes périphériques, réduire et concentrer l’urbanisation reste difficile », reconnaît Antoine Grau. Se résoudre à densifier tout en essayant de conserver l’esprit village, et donc passer des zones pavillonnaires au R +2, R +3, voire R +4, « est un travail à mener sur le long terme avec les citoyens et les élus, et qui nécessite de nombreux entretiens et de la pédagogie », poursuit le maire de Lagord. Monter pour ne plus s’étaler, indispensable pour la majorité rochelaise, qui entend bien tenir le cap de la sobriété foncière.
Mais la comptabilité du ZAN renforce les tensions entre la périphérie et le centre, mettant les intercommunalités à l’épreuve, et La Rochelle ne fait pas exception. « Chacun campe sur ses positions pour essayer d’obtenir plus de fonciers, et cela impacte les projets, constate Roger Gervais. Toutes les communes ne cherchent pas à faire gonfler leur population pour augmenter leurs ressources fiscales, mais pour continuer à faire fonctionner leurs services. En outre, une commune sans offre se fige et meurt. » Le maire de Saint-Médard précise: «Jusqu’à la fin des années 1990, la parcelle moyenne dans nos communes rurales s’établissait à 900 m2. Aujourd’hui, nous sommes à moins de 400 m2. » Anciennement agriculteur, celui-ci voit surtout dans la restriction des consommations foncières l’opportunité de protéger les terres agricoles et de répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire. « En France, nous importons 30 % de notre viande, c’est un scandale, tandis que le consommateur se montre de plus en plus exigeant sur la qualité et la traçabilité des produits. Et si nous voulons développer l’agriculture bio, alors il faudra encore plus de terre. » Depuis 2020, 13 hectares de terrains ont été maîtrisés ou sont en voie de maîtrise foncière par la CA (sur les communes de Lagord et de Sainte-Soulle), dans le but d’accueillir de l’agriculture de proximité ; un appel à manifestation d’intérêt (AMI) est en cours pour y installer des porteurs de projet.
Les exigences du PLUi, que ce soit sur le coefficient de biotope ou en matière d’aménagement des espaces publics et de qualités énergétiques des bâtiments, « peuvent ralentir les projets », admet Antoine Grau. Pour les grosses opérations de logements en zone urbaine dense, appelés « projets urbains d’intérêt communautaire », l’agglomération a mis en place une gouvernance tripartite composée de la commune d’implantation, de la CA et de l’aménageur, une formule qui « fonctionne plutôt bien », assure-t-il.
Sur le territoire de l’agglomération, les opérations en extension urbaine en cours ou à lancer seront les dernières. « La priorité est désormais donnée au renouvellement urbain », indique Christine Simon, directrice du service Stratégie foncière et projets urbains au sein du pôle Développement urbain de la CA de La Rochelle. « Faire du recyclage foncier implique de caractériser finement les terrains pour en connaître la sensibilité, les enjeux environnementaux et les potentiels de développement. »
La tempête Xynthia de 2010 en est une bonne illustration, car elle a entraîné une modification des projections urbaines sur certains fonciers acquis par la CA, il y a plus de vingt ans. Achetés au prix de l’habitat, ces terrains n’ont finalement jamais pu accueillir de constructions nouvelles et sont devenus des refuges de biodiversité.
Dans une stratégie ferme de réduction des consommations d’espaces, « les fonciers de compensation environnementale restent difficiles à trouver ». En conséquence de quoi, « c’est bien l’évitement qui devra, à terme, être privilégié. Tout est faisable, moyennant des financements, car aménager moins de foncier, c’est faire moins de logements, ce qui signifie donc moins de recettes. »
Le recyclage bâtimentaire ou des sols est plus coûteux et plus long. Exemple avec le projet d’écoquartier de Bongraine, mené par la CA : achetée en 1995, la friche ferroviaire de 35 hectares, située sur la commune attractive d’Aytré, le long du littoral, doit accueillir 800 logements. Les premiers aménagements démarreront en 2024, soit une quinzaine d’années après la reprise des études en 2011. En cause, une phase complexe de préparation des sols : dépollution pour un montant de 4 millions d’euros, fouilles archéologiques et préservation/compensation de la biodiversité.
Déménager un équipement en raison du risque de submersion, raccourcir les distances pour limiter les déplacements carbone, construire pour répondre à la demande, éviter ou compenser pour respecter le ZAN... La tâche reste ardue. Pour l’agrandissement de l’hôpital, par exemple : « Nous devons encore trouver 12 hectares, de préférence artificialisés, afin de ne pas empiéter sur le ZAN, relève Antoine Grau. Nous recherchons actuellement des sites potentiels. » Un autre casse-tête foncier à résoudre rapidement pour l’agglomération rochelaise, dont l’intention reste claire : inscrire les enjeux de sobriété foncière dans un fonctionnement environnemental global du territoire.
Propos recueillis par Julie Snasli. Cet article est issu du n° 435 de la revue Urbanisme
Janvier-février 2024 LA CLÉ DES SOLS
À lire également dans ce numéro :
L’invité : Patrick Henry : « La ville a investi les sols en profondeur »
Porfolio : Cartographier l’anthropocène, vol. 2, Atlas IGN, 2023
Rubriques : Livres, Cinéma, Expos, Jeux vidéo et Musique