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Au sortir de la seconde Guerre mondiale, le développement de l’agriculture intensive, en raison des innovations techniques et chimiques, d’une hyperspécialisation des exploitations et d’une simplification des paysages agricoles a permis de répondre aux fortes exigences de production. Toutefois, cette intensification a contribué au déclin notable de la biodiversité, sauvage et domestique. Pourtant, la préservation de la biodiversité agricole est d’autant plus cruciale que la sécurité alimentaire ne peut se passer d’écosystèmes en bonne santé, et que l’eau, les sols et les auxiliaires des cultures sont à la base de la production agricole.
Au sortir de la seconde Guerre mondiale, le développement de l’agriculture intensive, en raison des innovations techniques et chimiques, d’une hyperspécialisation des exploitations et d’une simplification des paysages agricoles a permis de répondre aux fortes exigences de production. Toutefois, cette intensification a contribué au déclin notable de la biodiversité, sauvage et domestique. Pourtant, la préservation de la biodiversité agricole est d’autant plus cruciale que la sécurité alimentaire ne peut se passer d’écosystèmes en bonne santé, et que l’eau, les sols et les auxiliaires des cultures sont à la base de la production agricole.
Publiée le 15 mai 2023 dans Proceedings of the National Academy of Sciences[1] et reprise dans le journal Le Monde[2], une étude menée par des chercheurs européens évalue les principales causes de l’effondrement des populations d’oiseaux en Europe. Sur une période d’environ 40 ans, la chute d’abondance des populations d’oiseaux d’Europe est vertigineuse, et atteint 25% pour l’ensemble des espèces suivies. C’est encore pire pour les oiseaux inféodés aux plaines agricoles : on estime que la chute d’abondance atteint 60% pour ces espèces.
L’étude en question montre que l’intensification agricole, c’est-à-dire les changements de pratiques entraînant une augmentation des intrants chimiques et une réduction de l’hétérogénéité des habitats, joue un rôle majeur dans le déclin des populations d’oiseaux agricoles. Cette intensification a aussi un fort impact sur les espèces insectivores, les migrateurs de longue distance et les oiseaux forestiers, soit une vaste majorité des populations d’oiseaux communs.
Si l’impact négatif des pratiques agricoles sur les populations d’oiseaux est étudié depuis longtemps, cette étude apporte une forte preuve d’un lien direct et prédominant entre l’intensification des pratiques agricoles et la chute d’abondance de ces espèces. Cette étude suggère que le destin des populations européennes d’oiseaux dépend de la rapide mise en œuvre de changements transformateurs dans les sociétés européennes, et plus particulièrement concernant l’agriculture.
Les destins de l’agriculture et de la biodiversité sont liés, et les pratiques agricoles doivent être sources de solutions pour la restauration et la préservation de la biodiversité.
Les agriculteur·rice·s sont des gestionnaires de premier rang de la biodiversité rurale, et il est primordial que le monde agricole s’empare du sujet pour proposer des solutions réalisables.
En développant l’outil AgriBEST®, CDC Biodiversité et La Coopération Agricole Ouest avaient pour objectif de proposer aux agriculteur·rice·s les premières clefs pour comprendre les relations entre leurs pratiques et la biodiversité. Cet outil est adapté à tous les territoires et tous les modes de production, et prend la forme d’un autodiagnostic que les agriculteur·rice·s peuvent réaliser en autonomie.
Gratuit, il aide les agriculteur·rice·s désireu·x·ses de mieux prendre en compte la biodiversité sur leur exploitation, à franchir un premier cap dans l’amélioration de leurs pratiques.
AgriBEST® est basé sur l’évaluation de 15 facteurs, c’est-à-dire 15 pratiques agricoles et caractéristiques de l’exploitation qui ont un lien avec la biodiversité et sur lesquelles l’agriculteur·rice peut agir. Ces facteurs sont classés par type de biodiversité associée : eau et milieux humides, cœur des parcelles cultivées, prairies et éléments naturels du paysage.
Pour chacun de ces facteurs, les pratiques sont évaluées sur une échelle comprenant 6 niveaux cumulatifs de 0 à 5. Les premiers niveaux traduisent une obligation de moyens (la fertilisation azotée des prairies permanentes est calculée grâce à une méthode de bilan par exemple), tandis que les derniers niveaux expriment plutôt une obligation de résultats (au moins la moitié du linéaire de haies comporte un étage d’arbres constitué d’arbres naturellement présents dans le voisinage par exemple).
À la fin du diagnostic, l’agriculteur·rice obtient ainsi une note générale, mais surtout une note par facteur (note sur 5) et une note par catégorie de biodiversité (pourcentage).
En évaluant leurs pratiques à l’échelle de l’exploitation, les agriculteur·rice·s peuvent ainsi considérer la gestion des agroécosystèmes d’une manière globale, et non pas uniquement à l’échelle des parcelles ou des éléments de l’exploitation.
L’exercice est également pertinent à l’échelle d’un territoire. L’outil propose une entrée « Prescripteurs », c’est-à-dire destinée à des coopératives, associations ou collectivités portant un projet territorial. Ces « Prescripteurs » peuvent alors encourager l’utilisation d’AgriBEST® aux agriculteur·rice·s de leur territoire, pour évaluer l’évolution des pratiques agricoles en faveur de la biodiversité à plus grande échelle.
Les services écosystémiques sont les bénéfices que les sociétés humaines retirent des écosystèmes. On peut aussi parler de « Contribution de la nature aux populations » (IPBES, 2019)[3]. Les services écosystémiques sont permis par les fonctions écologiques, qui sont les processus biologiques de fonctionnement et de maintien des écosystèmes (UICN, 2012)[4].
On considère 4 types de services écosystémiques : les services de soutien (par exemple le cycle du carbone), d’approvisionnement (par exemple la production de nourriture ou de matériaux), de régulation (par exemple la régulation de la qualité de l’eau) et socio-culturels (les apports non-matériels, par exemple les bienfaits sur la santé mentale).
Les sociétés humaines sont donc complètement dépendantes des services écosystémiques.
L’intensification des pratiques agricoles en Europe a entraîné une forte augmentation des rendements, et donc des services d’approvisionnement fournis par les agroécosystèmes, aux dépens des autres catégories de services. En effet, les dégradations de l’environnement causées par l’intensification ont un fort impact sur la capacité des agroécosystèmes à fournir des services écosystémiques. On peut par exemple citer la disparition des haies (on estime qu’en France 70% du linéaire de haies a disparu depuis les années 1950, avec une accélération ces dernières années : l’AFAC Agroforesteries et SOLAGRO estiment une perte annuelle moyenne de 23 571 km entre 2017 et 2021, contre 10 400 km entre 2006 et 2014[5]), qui entraîne notamment la dégradation des services de régulation des inondations et de filtration de l’eau.
Pour encourager les agriculteur·rice·s à mettre en place des pratiques qui concourent à la préservation des services écosystémiques, AgriBEST® comporte un module d’évaluation de la fourniture de 10 services écosystémiques. L’outil emploie sa propre terminologie, adaptée aux perspectives. Il a été choisi de retenir ces 10 services écosystémiques car ils correspondent aux avantages identifiés comme pertinents pour les agriculteurs et sont suffisamment évaluables.
Ce module est basé sur la grille d’évaluation AgriBEST®, afin de ne pas ajouter d’étapes supplémentaire aux agriculteur·rice·s. Il s’inscrit dans la filiation de la notion de Préservation des Services Écosystémiques (PSE), détaillée notamment dans le cahier « Les Paiements pour Préservation des Services Ecosystémiques comme outil de conservation de la biodiversité » publiée par la Mission économie de la biodiversité en février 2014[6].
Cette notion porte non pas sur les services que les sociétés humaines rendent à la nature, mais sur les services que ces sociétés tirent de la nature, dont elles peuvent faciliter le maintien ou la restauration via certaines actions.
En évaluant les pratiques agricoles via la grille de diagnostic, AgriBEST® apprécie un potentiel de fourniture de services écosystémiques sur l’exploitation.
La méthode de calcul a été conçue de façon à respecter l’esprit de l’outil : être facile à comprendre, ne pas allonger le temps nécessaire pour effectuer un autodiagnostic et constituer une première marche vers d’autres initiatives en lien avec la biodiversité. Pour chaque couple Facteur/Service écosystémique, il a été estimé si chaque niveau du facteur contribuait à la préservation du service en question. Si c’est le cas, un point est attribué à ce niveau pour le service considéré.
Par exemple, pour le facteur « Haies » et le service « Qualité de l’Eau », tous les niveaux (à l’exception du niveau 0 ) apportent un point, car :
Afin de conserver l’approche cumulative de la méthodologie AgriBEST®, les points sont cumulés lors du calcul du niveau potentiel de fourniture d’un service. Ainsi, si l’agriculteur·rice s’est évalué·e au niveau 4 pour le facteur « Haies », le point du niveau 4 ainsi que les points des niveaux précédents sont attribués pour le service « Qualité de l’eau ».
Dans cet exemple, l’agriculteur·rice obtient ainsi la note de 4 points pour le facteur « Haies » dans l’évaluation du potentiel de fourniture du service écosystémique « Qualité de l’eau ». Le score le plus haut possible est ici de 5.
La note finale pour chaque service écosystémique est obtenue en additionnant les notes obtenues par chaque facteur, et en divisant le total par la somme des scores maximums de chaque facteur. On obtient ainsi, pour chaque service écosystémique, un potentiel de fourniture sur l’exploitation en pourcentage.
Bien qu’une méthodologie de calcul du potentiel de fourniture des services écosystémiques ait été créée, il est important de rappeler ici qu’AgriBEST® est un outil d’autodiagnostic, qui offre une évaluation qualitative mais ne permet pas d’établir un diagnostic précis et quantifié.
Passer par une méthode de calcul mathématique était toutefois indispensable pour obtenir des résultats qui soient parlants pour les agriculteur·rice·s (que ce soit pour le calcul du diagnostic AgriBEST®, des scores par types de biodiversité ou des potentiels de fourniture des services écosystémiques).
Ces résultats chiffrés sont donc à prendre avec beaucoup de précautions, et doivent être considérés comme une indication plutôt que comme une note quantitative.
Par exemple, pour le potentiel de fourniture des services écosystémiques, il est plus intéressant de regarder la classe de la note : pour une note comprise entre 0 et 33%, on estime que la contribution est faible, entre 34 et 66% on estime qu’elle est moyenne, et entre 67 et 100%, on estime que la contribution au service écosystémique est forte.
La méthodologie de calcul présente plusieurs limites. L’objectif étant de développer une méthode de calcul relativement simple et transparente, il a été choisi de ne pas utiliser de pondération lors du calcul de la note, et de ne pas prendre les éventuels effets de synergies qui pourraient exister entre pratiques.
Enfin, comme la méthode de calcul est basée sur la grille d’évaluation AgriBEST®, volontairement simple et axée sur les pratiques, certaines pratiques et paramètres ne sont pas évalués pour le potentiel de fourniture des services écosystémiques. Par exemple, les propriétés physiques du sol, ou encore les Indicateurs de fréquence de traitements (IFT) ne sont pas pris en compte dans les calculs.
Outil simplificateur par choix, le principal intérêt d’AgriBEST® est pédagogique. Il permet aux agriculteur·rice·s de comprendre les liens entre leurs pratiques, la biodiversité présente sur leur exploitation, les services écosystémiques potentiellement fournis sur leur exploitation, et les actions qu’ils mettent en œuvre pour préserver ces derniers. Il leur permet aussi d’identifier les voies de progrès adaptées à leur exploitation et à leurs productions.
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[2] Pesticides et engrais, causes majeures de l’effondrement des populations d’oiseaux en Europe (lemonde.fr)
[5] Rapport du CGAAER n°22114 – La haie, levier de planification écologique, avril 2023
https://agriculture.gouv.fr/rapport-du-cgaaer-ndeg-22114-la-haie-levier-de-la-p…