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Crédit ©Polpimol / Adobe stock
Depuis les années 1950, l'agriculture française s’est profondément modernisée notamment grâce à la mécanisation, à une meilleure sélection des semences et à l'utilisation intensive d'engrais et de produits phytosanitaires. Cela a entrainé de spectaculaires gains de productivité mais aussi une érosion continue du nombre de fermes et d’agriculteurs.
En 1970, il y avait en métropole quatre fois plus de fermes (1 587 600) qu’aujourd’hui (390 000) et, en près de quarante ans, l’emploi agricole a été divisé par trois : (7,5 % de l’emploi total en 1982 contre 2,7 % en 2022, selon l’Insee[1]). Chaque année depuis 2015, environ 20 000 chefs d’exploitation cessent leur activité tandis que 14 000 nouveaux s’installent. Dans le même temps, tandis que les gains de productivité s’effaçaient, la taille moyenne des exploitations a augmenté : 70 ha aujourd’hui contre 42 ha en 2000 (+66%)[2]. Le modèle traditionnel de l’exploitation familiale est moins hégémonique et de nouveaux modèles d’affaires se répandent. Le métier d’agriculteur s’est du même coup profondément transformé, divers facteurs venant en outre modifier et complexifier son exercice (aléas climatiques plus fréquents et plus intenses, forte volatilité des prix sur des marchés de plus en plus ouverts, technicité des outils…).
Même si la majorité des chefs d’exploitation sont encore aujourd’hui enfants d’agriculteurs, les installations hors cadre familial augmentent : ce sont 34,3 % des installations intervenues depuis 2010, contre 22,7 % avant 2010. Plus de la moitié des personnes qui s’informent sur le métier d’agriculteur se déclarent « NIMA » (Non issus du milieu agricole). Les aspirations de ces nouveaux installés hors cadre familial sont différentes de celles de leurs ainés. Retour à la ruralité pour les urbains, désir entrepreneurial, sensibilités écologiques…, les motivations sont diverses. Une fois installés, leurs pratiques varient également. Elles intègrent moins d’élevage, plus de diversification, et le projet agricole n’est pas toujours envisagé à l’échelle d’une vie, mais parfois pour quelques années seulement.
En l’absence de caractérisation précise, les nouveaux installés sont mal suivis par la statistique publique et les connaissances à leur sujet demeurent parcellaires. En complément des données du recensement agricole de 2020, Terra Nova a souhaité collecter des données plus récentes sur les chefs d’exploitations. En partenariat avec le Collectif Nourrir et avec le soutien de Parlons Climat, une enquête[3] été réalisée auprès des de 600 chefs d’exploitation agriculteurs avec un volet spécifique sur les jeunes installés. Cette population recouvre des profils variés et de tous âges. Un peu plus féminisée, plus âgée, mieux formée, plus ouverte à la pratique bio et à la commercialisation en circuits courts, elle se distingue sur de nombreux aspects de celle de leurs prédécesseurs.
Tout d’abord, les nouveaux installés[4] ont des parcours beaucoup moins linéaires. Ils s’installent plus tardivement et sont plus nombreux à avoir exercé une autre activité professionnelle avant leur installation, un tiers d’entre eux déclarant avoir exercé auparavant une activité sans lien avec l’agriculture. Avec des compétences et des expériences variées, tous n’ont pas suivi le parcours classique d’installation, axé aujourd’hui autour de l’élaboration d’un plan de professionnalisation personnalisé (PPP) et d’un stage pratique de 21h. Les raisons sont multiples. Certains ont déjà fait de longues études et ont besoin de travailler rapidement, d’autres refusent les parcours de formation imposés. Ainsi, parmi les nouveaux installés interrogés dans notre enquête, seulement 59% d’entre eux ont été accompagnés par des chambres d’agriculture et 21% déclarent n’avoir été accompagnés par aucun organisme. Autre fait marquant de l’enquête, 47% des nouveaux installés n’ont pas bénéficié de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), une aide à l’installation réservée aux nouveaux installés. Certains n’y sont pas éligibles car trop âgés, d’autres y renoncent. La transmission et l’apprentissage entre pairs restent donc des facteurs déterminants : 62% des personnes interrogées ont acquis leur compétence grâce à l’accompagnement de l’agriculteur cédant /ou associé.
Pourtant, avant de se lancer, seuls 30% des nouveaux installés interrogés ont eu des expériences bénévoles ou salariées dans d’autres exploitations. Il s’agit d’un métier exigeant, à la fois très technique et physique, susceptible d’impacter l’équilibre familial. Passer du temps sur le terrain, au contact d’autres agriculteurs, permet de se former, d’affiner son projet et de prendre conscience des difficultés. La création d’un statut d’« agriculteur à l’essai » pourrait permettre, selon le profil des candidats, un accès sur mesure à un ensemble de droits : protection sociale, formation professionnelle, perception d’indemnités ou de rétribution. Les « espaces tests » qui offrent la possibilité aux porteurs de projets de se former sont également plébiscités ces dernières années et continuent de se multiplier.
Il existe une grande variété de dispositifs d’aides à l’installation et d’accompagnement à la transmission. Ils sont organisés principalement autour de subventions, d’exonérations fiscales et sociales, de la mise en œuvre du programme Aide à l’Accompagnement à l’Installation et la Transmission en Agriculture (AITA), de l’encadrement du marché foncier agricole. Néanmoins, les principaux dispositifs proposés ne semblent plus en adéquation avec les besoins exprimés par les nouveaux installés. Plus d’un tiers des personnes qui se présentent dans les PAI (point accueil installation) ne finalisent pas leur projet et plus d’un installé sur deux se déclare insatisfait de son parcours (CESE, 2020). La mise en œuvre de la nouvelle PAC, le transfert aux régions de la gestion des aides à l’installation et la loi d’orientation et d’avenir agricole actuellement discutée à l’Assemblée nationale vont impacter l’organisation de ces dispositifs. La création des guichets France service agriculture, points d’accueil uniques pour les porteurs de projets, les cédants et ceux qui sont salariés, sera également un changement important.
Dans un rapport publié en mars 2024, Terra Nova a fait plusieurs propositions pour encourager le renouvellement générationnel et en faire une opportunité d’accélérer la transition écologique. Pour répondre à la diversité des profils et des attentes, il est essentiel de proposer des dispositifs d’accompagnement qui ne soient pas conditionnés au suivi du Plan de Professionnalisation Personnalisé et qui répondent à la diversité des profils et des nouvelles formes d’installations. Il est essentiel d’assurer une meilleure représentativité des différents modèles agricoles tout au long du parcours de formation. Aux côtés des chambres d'agriculture, des organisations représentant des acteurs diversifiés et complémentaires doivent participer activement au pilotage et à la mise en œuvre des politiques et dispositifs d’accompagnement à l’installation-transmission. Ce pluralisme doit être mis en œuvre dans le dispositif de conseil et d’accompagnement à l’installation-transmission encadré par l’Etat et proposé aux candidats à l’installation et aux cédants. Nous préconisons également d’élargir l’accès à la dotation jeune agriculteur jusqu’à 50 ans et de la remplacer par une dotation nouvel agriculteur (DNA).
Pour faciliter l’accès au foncier, qui reste un frein pour une majorité des nouveaux installés, nous préconisons le développement de fonds de portage. Cela permettrait de soulager les nouveaux entrants du poids de l’accès au foncier. Pour encourager les nouveaux installés qui s’engagent dans une démarche agroécologique, le développement d’initiatives foncières agricole citoyennes, non-lucratives, doit être encouragé. Lors de la location de terrains préemptés par la SAFER ou appartenant à des collectivités locales, il faut prioriser des baux ruraux environnementaux (BRE) notamment dans le cadre de parcelles précédemment cultivées en bio ou à proximité de zones de captage.
Enfin, pour permettre à celles et ceux qui s’installent de développer des exploitations viables écologiquement et économiquement, nous encourageons la mise en place d’un diagnostic modulaire à l’échelle de l’exploitation, qui devra se faire en amont de la transmission pour que les repreneurs puissent avoir une analyse la plus précise possible de l’exploitation. Ce diagnostic inclura notamment un stress-test climatique et un diagnostic de santé des sols.
Le renouvellement des générations en agriculture est une priorité depuis des années, matérialisée par un projet de loi, actuellement en discussion au Parlement, visant à freiner le déclin de la population agricole tout en répondant aux impératifs de souveraineté alimentaire. Cependant, à la suite des manifestations agricoles de début 2024, les discussions portent davantage sur la souveraineté alimentaire et la simplification de la règlementation, reléguant la transition écologique au second plan. Si rien n'est fait, on risque une concentration accrue des exploitations et le maintien de pratiques non durables. Mais il existe une autre option : saisir l'opportunité du renouvellement générationnel pour accélérer la transformation du secteur et favoriser l'innovation. Il est crucial de développer rapidement des politiques publiques adaptées pour rendre les métiers agricoles attractifs et maintenir les nouveaux installés en activité, tout en veillant à ce qu'ils développent des exploitations viables, vivables et transmissibles. Le sujet de l'installation agricole doit être envisagé comme une politique à long terme et être intégré à tous les débats futurs du secteur agricole.
La Caisse des Dépôts soutient les travaux de Terra Nova, think tank progressiste indépendant qui produit et diffuse des solutions politiques innovantes en France et en Europe.
Retrouvez l’ensemble des propositions dans le rapport « Les nouveaux visages de l’agriculture » sur le site de Terra Nova.
Notes
[3] Une nouvelle étude BVA Xsight / Collectif Nourrir / Terra Nova pour éclairer la réalité de la crise agricole - BVA Xsight (bva-xsight.com)
[4] Sont considérés comme « nouvel installé », les chefs d’exploitations installés depuis moins de 10 ans.