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Crédit ©FrankBoston / Adobe stock
On le sait, c’est un véritable « choc du vieillissement » auquel devront faire face nos sociétés, notamment sur le plan de son organisation et de ses dépenses dans les deux prochaines décennies. Selon le rapport Libault (2019), en France, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait augmenter de 20 000 personnes chaque année à l’horizon 2030, puis ensuite de 40 000 personnes.
Le défi sociétal lié à la perte d’autonomie est non seulement financier mais aussi humain, car il faut assurer un meilleur bien-être des personnes âgées dépendantes, les différents scandales de ces dernières années démontrant que ce n’est pas toujours le cas.
Cette dépendance engendre des dépenses à la fois pour les personnes atteintes, l’Etat et la protection sociale, mais aussi pour les aidants familiaux. Le nombre de personnes dépendantes devrait se hisser de 2,5 millions en 2015 à 3,2 millions en 2030, puis à 3,7 millions en 2040. Alors, les dépenses devraient augmenter de 7,6 Mds€ en 2030 et près de 14,6 Mds€ pour 2040 sous le seul effet démographique.
La chaire Transitions démographiques, Transitions économiques (TDTE) a étudié le coût de la perte d’autonomie en prenant en compte de nouvelles politiques ambitieuses pour considérablement améliorer le bien-être des personnes dépendantes et des proches aidants.
En janvier 2022, le scandale du groupe de maisons de retraite privées Orpea a mis en lumière l’insuffisance des taux d’encadrement. Les Députés Monique Iborra et Caroline Fiat (2018) suggèrent d’atteindre un niveau d’encadrement global d’encadrement de 93 personnes (ETP) pour 100 résidents.
Ce dernier objectif pour 2030 alignerait la France sur les pays nordiques qui ont un taux d’encadrement d’environ un soignant par résident. Avec cette priorité, environ 909 000 emplois sont envisagés en 2030 et 1,1 millions en 2040. De ce fait, il faut s’attendre à une dépense supplémentaire de 7,1 Mds€ en 2030 et de 8,4 Mds€ en 2040 (voir le tableau 1).
Le secteur des aidants professionnels souffre d’un très gros manque d’attractivité, 60 000 postes étant vacants en 2019. Sont en cause, une faible rémunération et des conditions de travail difficiles, avec une pénibilité physique et morale et une augmentation incessante de la charge de travail.
Dans ce contexte, il sera nécessaire dans les années à venir de changer le regard porté sur les métiers du grand âge, qui, pour l’instant, attirent insuffisamment, impliquant des difficultés de recrutement importantes. Revaloriser tous ces métiers devient fondamental et cela passe notamment par une revalorisation des salaires, de l’ordre de 20% (El Khomri, 2019).
Au total, la revalorisation salariale impliquerait une dépense supplémentaire de 4,5 Mds€ pour 2030 (voir le tableau 1).
Il est aussi primordial de prendre en compte les proches aidants qui réalisent des tâches cruciales, parfois au détriment de leur propre santé et de leurs revenus. Ils sont près de 11 millions en France, les femmes (57%) sont en majorité et près de 52% de ces aidants ont une activité professionnelle en parallèle.
Le montant de l’Allocation journalière du proche aidant (AJPA), créée en septembre 2020, est bien trop faible, compte-tenu de la charge pesant sur les aidants. Aujourd’hui, seules 6 600 personnes en bénéficiaient réellement au début de l’année 2022 sur 337 000 personnes éligibles. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce faible résultat : le manque important de communication et d’information autour de cette aide ou encore la nécessité de demander un « congé proche aidant » à son employeur et donc de l’assumer pleinement.
Nous préconisons de, fixer comme objectif que 80% des personnes éligibles à cette aide en bénéficient réellement, d'augmenter l’allocation journalière au niveau du SMIC horaire net pour une journée de 9h et de doubler le nombre de jours autorisés. Les dépenses supplémentaires liées à l’AJPA atteindraient alors 2,8 Mds€.
Dans le tableau 1, nous avons synthétisé les différentes dépenses supplémentaires liées aux trois priorités, au-delà du simple « effet démographique ». Les dépenses devraient s’élever d’environ 30 Mds€ actuellement à 52 Mds€ en 2030 et à 61 Mds€ en 2040.
Ces priorités engendrent aussi des retombées économiques bénéfiques comme la baisse du chômage et l’amélioration du bien-être d’une grande partie de la population des aidants salariés, ce qui devrait se concrétiser par des gains de productivité. Dans le cas d’une amélioration des prises en charge par l'État réduisant de 30% les coûts supportés par les aidants, ce serait 3,4 Mds€ de retombées économiques du seul fait d’une meilleure productivité de ces aidants salariés. Au total, ce serait 4,8 Mds€ d’économies qui pourraient être induites mais elles ne sont évidemment pas à la hauteur des dépenses envisagées.
Une perte d’autonomie repensée au travers des trois politiques proposées constitue un véritable défi financier, celui de dégager dès 2030 de nouvelles ressources à hauteur d’environ 17 Mds€. Ce défi est d’autant plus difficile à relever qu’il s’inscrit dans un nouveau contexte politique et économique.
Dans une société vieillissante, sans réformes majeures, la diminution du nombre d’actifs, la hausse des coûts du vieillissement, la baisse du niveau d’investissements et des capacités d’innovation en berne, vont de pair avec une croissance plus faible. Sans vision globale de l’avenir de la protection sociale et de l’effort à réaliser, le financement de la perte d’autonomie risque de n’être jamais une priorité, comme c’est le cas depuis plus de dix ans.
Aussi, nous proposons que son financement repose sur deux nouvelles sources de financement.
Ces contributions du patrimoine seraient le signe d’une solidarité accrue des aînés dépendants envers les autres générations qui les aident sous de multiples formes en favorisant leur bien-être.