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SOMMAIRE DES ARTICLES DE LA SERIE
1.Renaturation ou restauration des sols ? Une définition à éclaircir
2.Refonctionnaliser les sols : quelles conditions techniques et socio-économiques ?
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Les sols urbains sont fragilisés et dégradés par des processus d’artificialisation : imperméabilisation, perte de biodiversité, pollution, compaction, érosion … Cette dégradation est irréversible : la formation d’un sol d’un mètre de profondeur prend entre 10 000 et 100 000 ans dans nos climats tempérés. S’il n’est pas possible de restaurer des sols d’origine, dans tout leur degré de complexité, il existe des méthodes pour contrer les effets négatifs de l’urbanisation et de l’anthropisation des sols, en restituant ou en améliorant certaines de leurs fonctionnalités : infiltration de l’eau, fertilité, réservoir de biodiversité, stockage de carbone, etc. Plus qu’une restauration des écosystèmes d’origine, la « renaturation » peut donc être comprise comme une refonctionnalisation des sols
Voir le billet de Lukas Madl : Renaturation ou restauration des sols ? Une définition à éclaircir
Quelles techniques pour restaurer des sols ?
Restaurer les fonctions des sols passe notamment par l’amélioration de leur capacité d’infiltration. Dans le cas de sols scellés, une désimperméabilisation est donc nécessaire, comprenant à la fois un descellement, mais aussi une décompaction, voire des mesures d’amélioration de la porosité. Les sols scellés sont également assez pauvres en matière organique et en azote, présentent un pH très élevé et une faible activité biologique. Le projet DESSERT, conduit entre 2020 et 2024 par un conglomérat d’acteurs scientifiques et opérationnels et soutenu par l’ADEME, l’OFB et le CIBI, a permis de recenser une cinquantaine d’opérations de désimperméabilisation et de tester différentes modalités de descellement. Les résultats témoignent de la possibilité de restaurer une multifonctionnalité sur des sols autrefois scellés.
Au-delà du descellement, les pratiques de restauration de cette multifonctionnalité des sols mobilisent parfois des techniques de construction de sols. Dans une logique d’économie circulaire, les projets de restauration tendent de plus en plus à limiter l’apport de terre végétale, pour favoriser la réutilisation de déchets, produits et sous-produits urbains. Ces matériaux et ces techniques peuvent varier en fonction de la finalité et de l’usage de ces sols construits, mais ils comprennent généralement un mélange de substrats minéraux (déblais géologiques, matériaux de déconstruction, sédiments …) et organiques (déchets verts, sous-produits papetiers, boues de stations d’épuration …). Les sols reconstruits sont ensuite organisés en couches fonctionnelles, permettant généralement un horizon de croissance, un horizon de développement et un horizon hydrique. Si les projets de construction de sol se développent en milieu urbain, la recherche en la matière n’en est qu’à ses débuts : il existe notamment peu de données sur les méthodes de construction de sols à vocation agricole.
Ces sols construits peuvent accueillir de la biodiversité : certains taxons, comme les collemboles, par leur abondance ou leur diversité, peuvent constituer de bons indicateurs de la fonctionnalité de sols urbains, altérés ou reconstruits. La construction de sols peut aussi permettre de diminuer l’exposition aux polluants dans un cadre d’agriculture urbaine.
Une évolution des représentations des acteurs en matière de restauration des sols
Alors que les aménagements d’espaces plantés se sont longtemps reposés sur l’importation de terres végétales, les flux de matières destinées aux projets de renaturation se circularisent de plus en plus, favorisant des produits issus de la ville, ou conservant au maximum les sols en place, hérités. Ces nouvelles circulations font écho à une évolution des représentations des sols chez les acteurs de la gestion des sols : d’un sol « matériau » à un sol « écosystème ». Cependant, selon une étude conduite en 2022 auprès d’acteurs de la Métropole de Strasbourg, les positionnements restent variables selon les groupes d’acteurs : le monde de l’aménagement reste encore principalement attaché à une appréhension physico-chimique des sols, tandis que la qualité biologique des sols capte surtout l’attention du grand public. De même, les opérations paysagères urbaines visant à conserver les sols hérités, parfois pauvres, restent minoritaires : les canons esthétiques paysagers sont encore peu adaptés aux spécificités des sols locaux.
La confrontation des représentations des sols entre praticiens (acteurs de l’aménagement, jardiniers, riverains) et scientifiques dans le cadre de projets de recherche participative contribue d’ailleurs à construire des connaissances scientifiques plus adaptées aux conditions et aux besoins du terrain. A ce titre, le projet IPAUP-93 a permis de co-construire des protocoles de recherche entre jardiniers et experts des sols, dans l’objectif d’étudier l’effet de la construction de sols pour diminuer l’exposition aux polluants dans des sites d’agriculture urbaine en Seine-Saint-Denis.
Modèles économiques, gouvernance territoriale : quels enjeux de faisabilité ?
La mise en œuvre opérationnelle de projets de restauration des sols doit s’appuyer sur le transfert des connaissances scientifiques en pédologie, écologie des sols, agronomie … mais aussi en économie : les coûts de la restauration des sols restent difficiles à quantifier. En adoptant une démarche divisant le processus de restauration en dix étapes techniques, des coûts médians très variables peuvent être estimés : entre 30€ et 250€/m2, selon une étude menée par la Chaire de Comptabilité Écologique du CIRAD (Charles Claron, Mathilde Salin, 2025).
Si la restauration peut être pensée à l’échelle du profil de sol, elle fait aussi l’objet de discours et de représentations à des échelles plus large : la ville, le SCoT, le bassin versant, la région … L’articulation entre les différentes échelles de connaissance, de gouvernance et de pratiques sur les sols est nécessaire pour mettre en œuvre des stratégies concertées et éclairées. Celles-ci doivent aussi s’appuyer sur l’usage d’outils existants en matière de politiques environnementales, des trames vertes et bleues aux stratégies de réduction du risque d’inondation à l’échelle des bassins versants.
Au-delà des enjeux de faisabilité technique, l’opérationnalisation de la restauration des fonctions des sols pose donc des enjeux sociaux et politiques, en matière de gouvernance et d’intégration des populations riveraines. Ces sujets feront l’objet d’un prochain billet de blog !
Pour approfondir :
Vous pouvez consulter le premier Cahier de la Chaire, s’appuyant sur les actes de la journée d’études du 21 mars 2024, ou écouter le podcast de la journée.