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03 fév. 2025

Zones d’Activités Economiques : une nécessaire mise en stratégie à l’échelle des EPCI

Héritières directes d’une certaine foi dans le fonctionnalisme, les Zones d’Activités Economiques (ZAE) sont avant tout des espaces assignés à une fonction : celle d’assurer les bonnes conditions d’implantation et de fonctionnement des entreprises sur le territoire. Perçues par les acteurs économiques comme des espaces de liberté, elles offraient une latitude totale en termes de choix d’emplacement, d’emprise foncière et de nature d’activité.

A l’origine, ce nouveau « terrain de jeu » des entreprises répondait à une logique claire : il s’agissait de mettre à l’écart de la ville les activités sources de nuisances, en opérant une séparation stricte entre les fonctions productives et résidentielles. De cette nouvelle compétence est née une concurrence accrue entre les territoires, alimentée par les opportunités offertes en termes de dynamisme économique et de retombées financières liées à la fiscalité.

L’émergence de nouvelles contradictions urbaines

La liberté initialement accordée aux entreprises soulève aujourd’hui de nombreuses interrogations, et des contradictions urbaines émergent peu à peu. Le désir de visibilité et d’une meilleure accessibilité a conduit à implanter les ZAE le long des axes routiers majeurs, en entrée de ville, et à proximité d’échangeurs routiers. Déployées selon un schéma d’extension urbaine, alors souvent éloignées des gares, ces zones, pour certaines très peu denses, se sont développées selon un modèle désormais obsolète du « tout voiture ».

Ce modèle repose sur des caractéristiques dépassées : stationnements peu mutualisés, voiries surdimensionnées, espaces publics au faible confort thermique, desserte insuffisante en transport en commun, etc. Ces aménagements ne posent que marginalement la question de l’empreinte environnementale et de son intégration au sein des corridors de biodiversité.

La transformation des frontières urbaines

Si hier encore, ZAE et villes cohabitaient sur des territoires bien distincts, les délimitations s’estompent progressivement. Les zones d’activités, autrefois périphériques, se retrouvent aujourd’hui rattrapées par le tissu urbain, sans qu’un dialogue clair ne soit établi entre ces différents espaces. Ces zones, qui semblaient figées dans leur foncier, sont désormais confrontées à un défi : se réinventer dans un système urbain en pleine mutation (traitement des franges, liens inter-quartiers, ZAN et disponibilité foncière) tout en intégrant les transformations rapides du travail (mutations structurelles de l’emploi, des modes de consommation …) et des secteurs productifs (en termes de filières, gouvernance, de nouveaux usages, de gestion des déchets/réemplois, de décarbonation, …).

Tensions et paradoxes contemporains

Dans ce contexte, deux dynamiques s’entrechoquent :

  • D’une part, une dégradation progressive des bâtis des ZAE, où l’artificialisation et la construction neuve sont moins contraignantes et onéreuses qu’une optimisation sur site. Ce modèle, reposant sur une consommation foncière illimitée, n’incite pas à l’entretien des ZAE existantes. Cette mécanique s’avère difficile à enrayer pour les collectivités, les fonciers étant essentiellement sous maîtrise privée ;
  • De l’autre, la nécessaire réduction, voire l’arrêt, de l’artificialisation imposée par le ZAN – maintenant TRACE - tout en maintenant les objectifs assignés aux ZAE : soutenir l’emploi dans les territoires, maintenir et développer des entreprises locales.

Vers des stratégies intercommunales

Les ZAE sont ainsi confrontées à une adaptation impérative de leur offre aux mutations économiques et environnementales afin de maintenir et renforcer leur attractivité.  Nous pensons que cette transformation relève d’une stratégie globale et transversale à l’échelle des intercommunalités. Ce qui implique, pour les EPCI, de se saisir pleinement de leurs compétences économiques et de gestion des ZAE, dans un contexte de raréfaction foncière toujours plus contraint, de hausse de prix et de taux d’emprunts élevés.

Il s’agit de sortir d’une logique opportuniste (réponses aux sollicitations des entreprises, opportunités de préemption…) pour intégrer les ZAE, leurs évolutions et renouvellement, dans une véritable stratégie de développement territorial, en adoptant une approche territorialisée, contextualisée, avec une gouvernance et des outils de suivi robustes.

La stratégie économique intercommunale : des ZAE pour qui et pourquoi ?

Une stratégie économique à l’échelle intercommunale – voire plus large – est un préalable indispensable à la requalification d’une ZAE. Au-delà d’une simple question d’aménagement, le renouvellement d’une ZAE implique d’interroger sa vocation au service de la vision et des besoins économiques du territoire.

Les questions centrales deviennent alors :

  • Quels types d’entreprises et de filières ont des besoins ou sont ciblés par le territoire ?
  • Et en conséquence, quel rôle cette ZAE doit-elle jouer vis-à-vis de l’écosystème économique du territoire ?

Trois axes sont indispensables dans cette réflexion : une approche par filières, un regard sur les parcours résidentiels des entreprises, et la recherche de complémentarité avec l’offre existante.

La stratégie des filières : cohérence et complémentarité

La stratégie de filières économiques doit s’inscrire en cohérence avec les stratégies régionales – et idéalement celles des territoires voisins – pour éviter toute mise en concurrence stérile des ZAE. Sur la base des filières fortes du territoire, de celles en dynamique et/ou ciblées par le territoire, l’objectif est d’identifier les « maillons manquants » des filières, et les secteurs d’activités qui ont des besoins immobiliers pour soutenir leur développement.  

Les parcours résidentiels des entreprises

Une analyse approfondie de la capacité du territoire à répondre au parcours résidentiel des entreprises au fil de leur évolution est indispensable. Elle permet d’évaluer l’aptitude du territoire à soutenir la création d’activités, puis à leur donner les moyens d’évoluer au sein des ZAE, avec des offres adaptées à différentes phases de leur développement : petites cellules peu onéreuses, espaces mixtes artisanaux et tertiaires, villages d’artisans, grandes cellules avec services mutualisés à proximité, offre de tertiaire bien desservie…

Une vision systémique des implantations

Les ZAE ne constituent pas des objets isolés mais s’inscrivent dans un réseau d’offres d’implantation – au sein du territoire et au-delà, dans sa zone de chalandise – qui doit être pris en compte dans tout projet de transformation : quels besoins ne sont pas couverts par le réseau des ZAE, en termes de types de locaux, d’accessibilité, de prix et de services ? Est-ce que les projets déjà lancés répondent à ces besoins ? Selon les enjeux et dynamique spécifiques à chacune des ZAE, ce raisonnement permet de penser leurs vocations individuelles dans le cadre global de la stratégie économique du territoire : logique de clusters, diversification pour favoriser une plus grande résilience, constitution autour d’une entreprises-locomotive avec ses sous-traitants et fournisseurs…

Une stratégie globale, transversale, croisant les thématiques d’actions

L’obsolescence urbaine des ZAE

D’un point de vue urbain, un grand nombre de ZAE se retrouvent aujourd’hui fragilisées. Les formes urbaines sont datées et les structures bâties (aux cycles de vie restreints pour le tertiaire, l’industrie, le commerce) se sont construites de manière opportuniste, sans véritable synergie, avec un positionnement davantage lié à une disponibilité foncière plutôt qu’à une logique globale. Certains sites présentent des signes manifestes de vieillissement et d’obsolescence, et sont déconnectés des besoins actuels : espaces publics peu qualitatifs (confort thermique accompagnant les parcours modes actifs, espaces verts d’agréments et supports d’usages, …), image globale (traitement des franges et des seuils entre le privé et le public), évolution des besoins industriels et tertiaires, changements radicaux des techniques et des méthodes de travail pouvant impliquer l’impossibilité de faire évoluer les patrimoines existants quel que soit leur apparent état patrimonial.

Des mutations structurelles profondes

Ces espaces, qui ont massivement contribué à l’imperméabilisation des sols, soulèvent désormais des questions cruciales : de biodiversité, de perspectives de succession et d’avenir, et s’avèrent, selon les cas, mal adaptés à l’évolution rapide des paramètres économiques (nature des activités, principes de localisation, structures immobilières, intégration), énergétiques et de développement durable.

La nécessaire transformation : une approche multidimensionnelle

Ces impératifs sont à considérer en lien avec l’évolution des modes de vie et le développement d’une conscience collective forte autour de la qualité de vie et de travail, et de l’empreinte écologique des entreprises. Il y a nécessité à considérer ces espaces économiques comme des quartiers/morceaux de ville à part entière, et d’agir à plusieurs échelles :

  • Aménagements paysagers et voiries : améliorer la desserte des activités ; tisser des liens avec les autres quartiers de la ville ; rechercher une cohérence architecturale et paysagère.
  • Transformation du modèle de développement : passer d’un modèle expansif/extensif à un modèle plus compact ; repenser l’accessibilité et les mobilités durables pour sortir progressivement du modèle du « tout voiture » des ZAE (amélioration de l’offre de transport public, multimodalité, développement des modes actifs)
  • Gestion durable de l’environnement : préserver et valoriser le du paysage, maintenir/créer des continuités écologiques, développer la trame verte et bleu, renaturer, : mettre en œuvre une gestion « zérophyto », réaliser des plantation multi-strates et d’arbres d’alignements.
  • Performance énergétique et résilience : développer des bâtiments résilients (évolutifs, modulaires, temporaires) ; viser des constructions à énergie positive, améliorer la performance thermique, utiliser des matériaux biosourcés, réduire/optimiser les consommation de fluides.
  • Transition économique : accompagner la transformation des industries/activités traditionnelles ; favoriser l’implantation d’activités à faibles émissions de GES.

Cette transformation implique de dépasser la logique du simple bilan d’opération pour intégrer des modèles de développement environnementaux qu’il reste à conforter au gré d’une approche décloisonnant les transitions écologiques, sociales et territoriales.

La gouvernance : penser la pérennité des ZAE avec les propriétaires et occupants

Le renouvellement des ZAE soulève une question cruciale : leur capacité à perdurer dans le temps. Face au morcellement des parcelles, majoritairement privées, la mise en place d’une gouvernance partagée constitue un préalable pour observer, entretenir et animer les ZAE – afin d’éviter de reproduire les phénomènes de déprise dans quelques années.

L’échelon intercommunal : coordination et stratégie

A l’échelle intercommunale, la gouvernance représente le garant de la stratégie de développement économique définie par le territoire. Cette instance de gouvernance permet d’articuler les développements des différentes ZAE, d’adapter leur positionnement au fil du temps, et d’assurer une veille sur les services mutualisés d’envergure intercommunale : aires de stationnement poids lourds, signalétique, image de marque…

L’échelle des ZAE, une gouvernance collaborative

Au niveau local, l’association des propriétaires, des occupants, collectivités et partenaires, constitue un outil de gouvernance efficace pour suivre les mutations au sein de la ZAE, identifier les besoins des entreprises et salariés, ainsi qu’assurer l’entretien de la zone et des services mutualisés.

La ZAE de Carros-Le Broc (188 ha au sein de la Métropole de Nice) illustre parfaitement ce modèle. L’Association Syndicale Libre du Lotissement Industriel de Carros le Broc (ASLLIC) gère l’entretien des voiries ainsi que des services communs, comme le Restaurant Inter-Entreprises. Malgré sa création dans les années 60, la ZAE évite la dévalorisation grâce à l’association des parties prenantes qui dispose d’une force de frappe suffisante pour conduire des projets d’amélioration (notamment de des opérations de désimperméabilisation), incitant les entreprises à réinvestir.

Penser, tester, anticiper avant d’agir

La dégradation avancée de certaines ZAE incite souvent à une approche immédiatement opérationnelle. Pour autant, penser ces espaces non pas comme des objets (économiques) et des secteurs (géographiques) isolés, mais comme un réseau au service du territoire et de ses acteurs, implique des temps d’échanges et de concertation.

Si de premières actions, notamment sur les espaces publics, peuvent arriver tôt dans le processus, elles doivent s’inscrire dans une logique d’urbanisme tactique : expérimenter de futurs aménagements, pas à pas avec les usagers.  Loin de céder à l’urgence, une intervention sur les ZAE implique de s’appuyer sur une stratégie économique intercommunale, une vision multithématique des enjeux de ces espaces et une gouvernance partenariale et durable.

Trois piliers préalables à toute action opérationnelle, pour répondre au mieux aux objectifs qui se cachent derrière les redynamisations et requalifications des ZAE : soutenir la création d’emplois, accueillir salariés et entreprises dans un cadre qualitatif, et respectueux des limites planétaires.