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Même si l'accent mis sur les métropoles est aujourd’hui moins d'actualité, et que les politiques visant à en faire le principal moteur de l’économie française, en vogue pendant la seconde partie de la décennie 2010, ne sont plus de mise, le moment nous semble venu de faire un bilan du processus de métropolisation et des effets de la création des 22 métropoles par les lois de décentralisation. En lien avec le Cahier de recherche sur l’effet local nous proposons ici un point sur la manière dont les métropoles ont, ou pas, exercé les effets d’entrainement attendus sur les territoires voisins et les raisons qui explique la diversité des résultats observés.
Selon une partie de la théorie économique, les métropoles disposent d’avantages liés à des « flux, des liens, des circulations, des réseaux, des interdépendances »[1]. La concentration et la densité des ressources disponibles sur ces territoires les effets d’échelle qu’elles engendrent, accentués par la proximité géographique, se traduisent par des économies d’échelle et des effets externes d’agglomération qui procurent des gains de productivité et un avantage comparatif aux entreprises qui y sont implantées. Cette supériorité devrait se traduire à la fois par une surperformance de ces territoires et par des retombées positives sur territoires avoisinants.
Nous avons à plusieurs reprises abordé cette question en mobilisant la notion d’Effet Local[2] qui, correspond à la part de croissance non expliquée par la composition du portefeuille d’activité d’une unité spatiale donnée. La spécificité de notre approche réside dans la démarche, d’emblée comparative, retenue. En effet, loin de considérer que la performance est une valeur absolue définie par rapport à un seuil en-deçà duquel il serait sous-performant alors qu’une valeur plus élevée traduirait une sur-performance, nous avons cherché à positionner les territoires les uns par rapport aux autres. A cette fin, nous avons positionné sur un même graphique l’effet local propre exercé par chacune des zones d’emploi correspondant aux métropoles administratives et l’effet local correspondant aux zones d’emploi mitoyennes. Cette présentation permet de rendre compte simultanément de l’existence et de l’ampleur de l’avantage local dont bénéficient les territoires métropolitains et de la situation dans laquelle se trouvent les territoires mitoyens au regard de ce même indicateur dont la valeur moyenne est projetée sur le plan. La méthode a été développée dans le cadre de recherches réalisées avec le soutien de l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts, l’ANCT et France Stratégie[3].
L’application de cette démarche à la période 2009-2019, soit entre la crise financière puis globale de la fin de la décennie 2010 et le choc macro causé par la pandémie de Covid-19, rend compte des performances contrastées des zones d’emploi métropolitaines.
Il ressort tout d’abord que les 22 métropoles, dont la variation de l’emploi est reportée sur l’axe des abscisses (horizontal), sont loin d’être égales en matière de dynamique de l’emploi. En effet, plus de 20 points de pourcentage du niveau de l’effet local séparent les extrêmes (Nancy et Nantes) et le regroupement de la moitié d’entre-elles. 11 d’entre elles sont dans une marge entre -5% et +5%. La dimension et la densité des territoires considérés n’expliquent guère cette hiérarchie, ce qui nous amènera à faire état d’autres phénomènes pour expliquer cette distribution.
Cette hétérogénéité de l’effet local de la variation de l’emploi se retrouve au niveau des territoires mitoyens de chaque métropole dont la valeur est reportée sur l’axe des ordonnées (vertical).
Les quatre cadrans correspondant au positionnement des couples de valeurs correspondent à quatre catégories de métropoles : i) à dynamique partagée, qui correspondent à l’image idéale de la métropole exerçant un effet bénéfique sur les territoires alentours ; ii) à dynamique inversée, qui constituent une sorte d’anti modèle métropolitain ; à développement auto-centré, qui sont performantes sans pour autant entraîner dans leur sillage les territoires voisins et iv) en repli, puisque la métropole centre et les territoires voisins connaissent un effet local de la variation de l’emploi négatif.
Figure 1. Typologie des métropoles basée sur le taux de croissance de l’effet local des métropoles et des territoires avoisinants (2009-2019)
Des études complémentaires réalisées à l’échelle des EPCI confirment ces résultats, avec quelques variations au niveau des performances calculées pour les territoires au voisinage des métropoles[4] qui ne remettent toutefois pas en cause le schéma global.
La démarche comparative fournit une première lecture de la diversité des trajectoires de développement, des disparités de croissance, de la diversité des relations au sein de ces écosystèmes. La typologie qui en résulte montre que le modèle idéal de la métropole rayonnant sur les territoires voisins est loin d’être majoritaire. La dynamique de ces derniers dépend par conséquent d’autres facteurs que nous avons aussi interrogés.
Parmi les explications possibles du niveau de l’effet local, les facteurs dits « invisibles », la qualité des interactions entre les différents acteurs locaux (entreprises - grandes et petites-, centres de ressources de R&D notamment, partenaires publics, etc.) occupent une place privilégiée. L’effet local dépendrait par conséquent de l’ambiance d’un territoire, celle-ci allant au-delà des comportements et pratiques individuelles pour s’incarner dans le territoire même.
La littérature abonde d’analyses de terrain rendant compte du caractère coopératif des territoires situés à l’ouest du pays (le fameux modèle vendéen), des difficultés en la matière longtemps rencontrées en Ile-de-France ou de l’absence de dynamique collective pour des raisons tenant à l’inadéquation entre la métropole institutionnelle et la métropole vécue comme dans le Sud-Est. Le jeu des acteurs publics locaux et de leurs relations réciproques importe également comme nous avons pu le montrer dans le cas de chambres de commerces plus ou moins impliquées (Lyon vs. Paris) et des pratiques de coopération partagées (Tours) ou pas (Dijon)[5].
Une autre composante des invisibles, que nous avons particulièrement observée dans nos recherches sur les métropoles, est le jeu des effets de débordements qui mesurent l’influence réciproque entre les territoires. Celle-ci dépend bien entendu de la proximité géographique, comme le résume parfaitement la première loi de la géographie de Tobler selon laquelle « Tout interagit avec tout, mais deux objets proches ont plus de chances de le faire que deux objets éloignés ». La typologie des territoires métropolitains précédents a montré, à l’instar de nombreux travaux d’économie et d’économétrie spatiale, qu’être proche n’est pas une condition suffisante à l’activation de relations de coopération. D’autres formes de proximité existent comme nous avons pu l’analyser en amont de la production d’une grille morphologique[6] permettant d’identifier les profils des territoires.
L’ampleur relative de la base productive, les profils de spécialisation sectorielles sources de complémentarité potentielles horizontales ou verticales (activités reliées), les proximités organisationnelles, tenant par exemple à la présence de firmes multi établissements, à des relations de sous-traitance, etc., sont autant de facteurs extra-géographiques qui peuvent expliquer que des territoires entretiennent des interrelations ou pas. Cette extension de la proximité à un cadre a-spatial ouvre la possibilité d’effets d’entraînement par la coopération reposant sur des choix stratégiques.
Toulouse et ses activités centrales aéronautiques et spatiales interagit ainsi à travers des entreprises, sous-traitants, équipementiers, etc., avec des territoires distants (Figeac par exemple).
Les actions et politiques volontaristes, visant à renforcer, étendre les coopérations entre territoires, jouent également un rôle clef. Renouant avec les études de cas de territoires réalisées sur des zones d’emploi à effet local positif conduites avec l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts et Intercommunalités de France, à l’époque AdCF, nous travaillons actuellement sur cette dimension dans le cadre du programme POPSU Transitions sur le pôle métropolitain rennais afin de rendre compte de la manière dont l’action des élus, des collectivités locales et des services qui en dépendent peuvent œuvrer pour faire bifurquer en parallèle plusieurs collectivités locales.