Les politiques de préservation et de restauration de la biodiversité présentent aujourd'hui une situation paradoxale. Alors que l'action publique en faveur de la biodiversité constitue un levier essentiel pour relever les défis de la transformation écologique (atténuation et adaptation au changement climatique, amélioration du cadre de vie, transition agroécologique, etc.), les moyens mobilisés restent insuffisants.

Ce paradoxe se double d'un autre constat : bien que peu de politiques publiques ciblent directement la préservation de la biodiversité en tant que telle, celle-ci s'inscrit pourtant au cœur de nombreux dispositifs d'aménagement et de gestion de l'espace. On la retrouve ainsi dans la séquence Éviter-Réduire-Compenser (ERC), dans les Paiements pour services environnementaux (PSE), ou encore dans le développement des Solutions fondées sur la nature (SfN).

Un cadre complexe mais structurant

Les différents dispositifs intégrant la biodiversité, notamment les mécanismes de compensation, reposent sur un cadre juridique complexe et des modèles économiques spécifiques encore émergents. La multiplicité et la technicité de ces dispositifs représentent souvent un frein pour les porteurs de projets, notamment les collectivités territoriales, qui peinent parfois à structurer des projets tenant compte des questions de biodiversité adaptés aux problématiques de leur territoire.

Nous tentons, ici, de comprendre les finalités et les mécanismes sous-jacents des dispositifs contribuant à la protection de la biodiversité. Il s’agit ainsi, de permettre aux acteurs locaux de les mobiliser efficacement au service de stratégies territoriales - de court, moyen et long terme – cohérentes et déclinées en projets opérationnels de préservation et de restauration de la biodiversité, tout en répondant à des besoins territoriaux clairement identifiés.

La biodiversité dans l'action publique territoriale

Rappelons que la protection de la biodiversité s'articule autour, d’une part, de la préservation des espaces qui ont un fort enjeu écologique, et d’autre part, de la restauration des espaces qui ont été dégradés par l’homme - pour in fine générer un gain écologique.

Comment se définissent les écosystèmes ?

Ceux-ci se caractérisent par deux composantes essentielles :

- Le biotope : le milieu physique et ses caractéristiques
- La biocœnose : l'ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné

Le code de l'environnement distingue trois éléments fondamentaux pour caractériser les écosystèmes : les espèces, les habitats naturels et les fonctions écologiques. Parmi ces dernières, les services écosystémiques désignent spécifiquement les services que la nature rend à l’homme, c’est à dire les bénéfices qu’elle lui apporte.

De la stratégie nationale à l'action locale

Si les objectifs des politiques publiques sont clairement affirmés au niveau national, la Stratégie Nationale Biodiversité visant à « de susciter des changements en profondeur afin d’inverser la trajectoire du déclin de la biodiversité », l'enjeu réside dans son appropriation locale et son intégration aux politiques territoriales.

Le développement territorial poursuit des objectifs variés : développement économique et urbain, amélioration du cadre de vie, adaptation au changement climatique. Selon les contextes, la biodiversité peut être perçue soit comme une ressource à protéger ou à restaurer, notamment dans les projets d'aménagement et développement de l’urbanisation, soit comme pourvoyeuse de services, spécifiquement dans le cadre de l'adaptation au changement climatique avec les Solutions fondées sur la nature.

Des instruments d'action publique diversifiés pour une approche territoriale intégrée

Les dispositifs permettant d'intégrer des objectifs de préservation et de restauration de la biodiversité dans les projets territoriaux répondent à des enjeux multiples : limitation de l'étalement urbain, établissement d’une stratégie de sobriété foncière, sécurisation des projets immobiliers et d'aménagement, ou encore adaptation au changement climatique. Ils visent également à mobiliser et responsabiliser les parties prenantes, tout en cherchant à donner une valeur économique aux actions de préservation et de restauration de la biodiversité.

Certains dispositifs relèvent d'obligations réglementaires inhérentes à l’autorisation d’un projet, comme la compensation écologique ou la renaturation prévue par la loi climat et résilience. D'autres proposent des moyens d'action, tels que les Solutions fondées sur la nature. Enfin, d’autres reposent sur la création de  structures spécifiques peuvent également être créées : Sites Naturels de Compensation de Restauration et de Renaturation (SNCRR), coopératives carbone.

Ces différents mécanismes peuvent se combiner pour répondre aux besoins et aux enjeux d'un territoire. Par exemple, un territoire peut simultanément avoir besoin de compensation écologique - après la mise en œuvre des phases d’évitement et de réduction - pour une infrastructure linéaire de transport impactant de manière significative les écosystèmes, de compensation carbone volontaire pour atteindre la neutralité en matière d’émissions de CO2, et de renaturation urbaine pour lutter contre les îlots de chaleur et limiter les risques inondations dans son espace urbain. 

Dans cet exemple, face aux enjeux multiples de biodiversité, deux outils complémentaires s'offrent donc aux territoires : SNCRR et la coopérative carbone. Ces structures peuvent être déployées à l'échelle locale ou supra-territoriale.

Le SNCRR, qu'il soit porté par un acteur public ou privé, remplit une double mission : restaurer et préserver des habitats naturels, puis vendre ses Unités de Compensation auprès des porteurs de projets, des crédits carbone ou des certificats biodiversité.

La coopérative carbone, quant à elle, joue un rôle d’intermédiaire. Elle met en relation les entreprises cherchant à réduire leur empreinte carbone avec des porteurs de projets locaux qui développent des actions concrètes de réduction et de stockage du carbone.

Une entrée par dispositifs à dépasser

Ces dispositifs constituent des leviers précieux pour faire émerger des projets de préservation et de restauration de la biodiversité mais ne sont pas une fin en soi. Certains porteurs de projets privilégient trop souvent une réflexion sur la mobilisation de tel ou tel dispositif.

Or, à travers les mécanismes juridiques et économiques qui les sous-tendent, ces dispositifs contribuent à circonscrire la place de la biodiversité dans les politiques publiques, en misant principalement sur les services rendus par celle-ci et en la réduisant à sa seule dimension économique et financière, négligeant ainsi l'enjeu fondamental : sa préservation dans les choix d'aménagement futurs.

Pour une intégration réussie de la biodiversité au sein des politiques territoriales

L'élaboration d'un projet territorial intégrant la biodiversité nécessite une méthodologie rigoureuse. Les porteurs de projets doivent d'abord définir leurs objectifs territoriaux en se concentrant sur deux aspects essentiels :

  • l'identification des espaces à transformer/laisser évoluer, basée sur une analyse approfondie de leur état initial et de leur devenir souhaité/possible, en tenant compte des pressions environnementales à différentes échelles temporelles ;
  • la définition des solutions techniques appropriées dans un plan d'action détaillé : travaux de démolition, dépollution des sols, renaturation - au sens de la création d’un milieu -, végétalisation, adaptation des pratiques agricoles et forestières, désimperméabilisation.

Le choix des dispositifs à mobiliser ne doit intervenir qu'après cette réflexion préalable, en parfaite cohérence avec les objectifs du projet et les caractéristiques des écosystèmes concernés (nature, état, pressions exercées).

Dans cette perspective, les collectivités locales ont un rôle central à jouer. Elles doivent assurer le pilotage stratégique des projets territoriaux, de leur conception à leur mise en œuvre, en intégrant pleinement les enjeux de biodiversité. Cette approche globale, associant planification et montage juridico-financier, garantit la cohérence des actions menées et leur inscription dans une stratégie territoriale ambitieuse