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Les finances publiques mondiales sont globalement sous tension. Pour les redresser, il faut procéder de façon graduelle au contraire des erreurs commises dans les plans des années 2010 (aux effets économiques récessifs donc aux conséquences contreproductives sur le ratio Dette/PIB). La croissance doit être préservée grâce à un ajustement progressif. Dans le même temps, il est impératif de raisonner à moyen terme, en liant finances publiques, croissance économique et compétitivité. Il s’agit « aussi » de s’intéresser au dénominateur du ratio Dette/PIB. Dans ce billet tirant les enseignements d’exemples historiques, nous expliquons les mécanismes d’ajustement possibles (dévaluation externe, interne), en rappelant l’expérience espagnole, puisque la prime souveraine française est proche de celle espagnole aujourd’hui en dépit d’une crise de la dette il y a plus de 10 ans. Concernant le ratio Dette/PIB, l’expérience espagnole montre une action tant au numérateur (dépenses publiques, impôts) qu’au dénominateur (croissance, compétitivité) avec des aides exogènes (politique monétaire, plan de relance européen).

Monde : une dégradation mondiale de l’appétit envers les dettes souveraines

Tout d’abord, signalons que les dettes souveraines connaissent un repricing global et ininterrompu depuis fin 2022 : leur prix, relativement aux autres actifs obligataires (dette d’entreprise, marché des swaps) connaît une dégradation généralisée. Côté demande de capitaux des Etats, les perspectives de croissance de la dette publique dans le futur se sont accrues : en France, la trajectoire Dette/PIB peine à être renversée, en Allemagne, les élections anticipées pourraient aboutir à la fin du dogme du « zéro déficit – minimisation du ratio Dette/PIB », donc se traduire par davantage de recours au marché en 2025 et les années suivantes et aux Etats-Unis, D. Trump a, dans son programme, un plan de relance de 7500 Mds de dollars sur 10 ans, en grande partie financé par le recours au marché. Les besoins de financements sont croissants (vieillissement de la population, réarmement, transition écologique et énergétique, adaptation climatique…). Pendant ce temps, les marchés alternatifs (entreprises) ont des équilibres pluriannuels davantage stables. Côté offre de capitaux, les banques centrales ont poursuivi leur politique de réduction de bilan, réduisant les liquidités en circulation et se traduisant par la disparition d’une grande partie de l’offre de monnaie. Le nouvel équilibre offre/demande se traduit par un accroissement de la prime de terme et par une dévalorisation des obligations souveraines relativement aux taux monétaires (élargissement du « swap spread »).

France : pas de « crise » mais une dégradation de la qualité de la signature

Ensuite, et plus précisément, pour éviter tout amalgame/raccourci, rappelons que la France ne connait pas de crise de la dette. Il y a certes une réappréciation du risque souverain de la part des investisseurs, comme en témoigne l’augmentation de la prime de risque de la France vis-à-vis de l’Allemagne, et de la part des agences de notation (dégradation d’un cran de la notation AA-/AA-/AA3 chez S&P, Fitch et Moody’s en 2024), mais i) la prime de risque reste contenue au regard des niveaux atteints par les primes en cas de crise comme au début des années 2010 et ii) la dette de la France se place plus cher auprès des investisseurs, mais sans rencontrer une moindre demande, comme en témoigne le ratio offre/demande des adjudications qui ne montre pas de décrochage (la demande des investisseurs, lors de l’appel au marché est toujours proche de sa moyenne historique de plus de 2 fois le montant émis).

Un mécanisme d’ajustement qui a disparu : le taux de change

Devant cette question du niveau d’endettement posée à tous les Etats, se pose la question de l’expérience des pays qui ont connu des difficultés budgétaires et qui ont aujourd’hui redressé la situation. Outre les leviers habituels largement documentés par ailleurs (hausses d’impôts, baisses des dépenses, sources des déficits, multiplicateurs des politiques économiques), l’ajustement peut passer par une dévaluation interne et externe.

Avant d’évoquer la dévaluation « interne », évoquons celle « externe ». En change dit « flottant » lorsque la parité entre 2 devises n’est pas fixe (le cas des pays de la zone euro avant 1999), que se passe-t-il quand un pays a son économie enlisée dans une faible compétitivité et une dette élevée ?  Il peut y avoir deux configurations :

  • Les investisseurs « ne croient plus dans le pays » : alors il y a des sorties de capitaux, les taux d’intérêt se tendent pour tenter de retenir les investisseurs et la monnaie se déprécie (vente de la monnaie de ce pays pour achat de devise étrangère conservant de la valeur). Il y a « dévaluation » quand les autorités de politique économique n’arrivent plus à maintenir le cours de la devise dans le système de change (arrimage à une monnaie forte) : il faudrait des taux courts trop élevés (pour dissuader les ventes de la devise ou la spéculation par usage du levier) et dommageables pour l’économie ou des achats trop massifs de la monnaie nationale en vendant la devise étrangère pour soutenir le change (risquant de faire fondre les réserves de change) ;

 

  • Parce que les mesures internes destinées à retrouver de la compétitivité seraient trop impopulaires et difficiles à mettre en œuvre (gel des salaires, moindre solidarité, dérégulations…), les autorités économiques peuvent chercher à « organiser » une dépréciation (on parle alors de dévaluation car ce n’est pas une force spontanée du marché) de leur monnaie pour faire gagner des parts de marché à l’export mais au prix d’une défiance des investisseurs face à une monnaie non solide (donc ils exigeront des taux d’intérêt plus élevés sur la dette de ce pays pour couvrir leurs rendements de la dépréciation anticipée de la devise fragile) et d’une inflation forte (il faut davantage débourser pour acquérir des biens libellés dans une devise étrangère). 

Le taux de change permet de faire varier les prix relatifs (prix des biens de ce pays relativement à ceux du reste du monde). On peut rappeler l’exemple de l’Italie dans les années 1990 : la lire italienne a connu une dévaluation de 30 %, entre 1992 et 1996, sortant du système monétaire (SME) qui liait indirectement la lire au mark allemand en septembre 1992 : cela a permis à la péninsule de retrouver de la compétitivité, de redresser sa balance commerciale et de réduire son ratio Dette/PIB. La dévaluation du change a contrecarré les effets récessifs de l’ajustement budgétaire (voir par exemple la Revue de l’OFCE de juillet 2000, la France et l’Italie face à leur destin européen).

 

Le mécanisme d’ajustement qui s’y substitue : le défaut ou la dévaluation interne

En monnaie unique (fin des taux de change variables entre pays de la zone monétaire : cas des pays de la zone euro depuis 1999), quand un pays a son économie enlisée dans une faible compétitivité et une dette élevée, il peut y voir deux configurations :

  • Le défaut partiel sur la dette, une restructuration ou un plan de sauvetage conditionné avec une perte de pouvoir sur le modèle économique au profit d’un modèle économique et social imposé par les créditeurs. Le défaut ne se limite pas à effacer une partie de la dette pour la rendre soutenable ou y associer moins d’impôts. L’économie ne peut plus se financer : elle doit alors convaincre les prêteurs (souvent les institutions telles que le FMI) de leur fournir des liquidités en contrepartie de mesures visant à restaurer la solvabilité sur le long terme. Par exemple, en 2010, la Grèce est entrée en crise de financement : elle a fait défaut sur une partie de sa dette (sur 53,5 % de la dette détenue par les banques privées) et disposé de fonds de la « troïka » (FMI, CE et BCE) avec une cure d’austérité (suppression des 13e et 14e mois de salaire dans la fonction publique, hausse de la durée de cotisations retraites de 3 ans, hausses de taxes, baisse des retraites, privatisations…).

 

  • Une dévaluation « interne ». Pour avoir davantage de revenus, l’économie peut devoir se résoudre à organiser une dévaluation interne. On parle de dévaluation car il s’agit de modifier les prix relatifs (prix des biens du pays domestiques relativement à ceux étrangers) mais l’utilisation du taux de change étant impossible, cet ajustement est « interne » : il passe par le prix (coûts de production, salaires…). Dans les années 2000, l’Allemagne, qui faisait face à une situation compétitive dégradée, a connu une série de chocs d’offre pour agir sur ce prix interne : les réformes structurelles du marché du travail ont produit des effets économiques positifs (amélioration de la balance commerciale, baisse du taux de chômage, cf. Trésor Eco, Réformes Hartz : quels effets sur le marché du travail allemand ?) mais négatif sur la demande interne allemande et pour les partenaires économiques européens (dont la France : moindre demande allemande et perte de parts de marché au bénéfice de l’Allemagne). 

L’expérience espagnole pour s’extirper de la crise souveraine de la décennie passée

L’Espagne a été concernée par la crise de la dette souveraine, dans le sillage d’une crise des subprimes qui a fragilisé les fondamentaux espagnols. Pénalisé par l’éclatement d’une bulle immobilière, une crise bancaire et un déficit extérieur important, le financement souverain s’est compliqué. Les taux d’intérêt ont sensiblement augmenté : le taux à 10 ans a dépassé 6 % mi-2012. Les notations des agences S&P et Moody’s ont été abaissées de AAA/Aaa début 2009 à un plancher de BBB-/Baa3 courant 2012. Alors, 3 ingrédients ont été mobilisés pour sortir de la crise :

i) Du côté des dépenses, les salaires des fonctionnaires ont été réduits (5 % en 2010), les retraites ont été désindexées, l’âge de la retraite a été repoussé de 65 à 67 ans… le ratio dépenses publiques/PIB s’est ainsi replié

ii) Du côté des recettes, par exemple, les taux de TVA ont été augmentés, le ratio recettes/PIB s’est apprécié

Entre dépenses et recettes, la rigueur budgétaire a été sensible, avec des budgets très restrictifs

iii) Du côté de la compétitivité et des politiques d’offre, les volets de la dévaluation interne se retrouvent :

  • réforme structurelle du marché du travail (cadre des négociations salariales collectives, licenciements…)
  • et, dès le mode « crise » endigué, l’abaissement des impôts sur les entreprises a amélioré la compétitivité (note : le Portugal et l’Italie ont également réduit ces taux, la Grèce n’a pas pu vu l’étendue des besoins)

Tous les pays confrontés à la crise de la dette souveraine ont connu une progression moindre des coûts salariaux unitaires pendant et en sortie de crise

iv) Il est important de noter que, si l’Espagne n’a pas profité d’un environnement commercial externe particulièrement favorable venant de ses partenaires commerciaux (la décennie 2010 était une décennie pauvre en croissance), l’aide exogène européenne a été porteuse :

  • La BCE a mené une politique monétaire très expansionniste : les taux directeurs ont été abaissés en territoire négatif (taux de dépôt de la BCE négatif plus de 4 ans) et les taux longs ont baissé sous l’influence du programme d’achat massif de dettes souveraines de la BCE (le « quantitative easing »), engendrant une baisse généralisée des taux longs. L’Espagne, qui dispose davantage de dette à taux variable que ses homologues européens a bénéficié de la baisse généralisée des taux due à cette politique monétaire accommodante.
  • L’Espagne a bénéficié de la stratégie européenne, notamment à partir de 2020 du plan de relance et d’investissement Next Generation European Union (NGEU), permettant de réhausser le PIB de 1,7 point en 2024 et de 1,2 point par en moyenne entre 2021 et 2031 (cf. Note OFCE).

La rigueur budgétaire n’a évidemment pas été sans peine :

1) Le PIB par tête a décroché : il y a un clair « déclassement » permanent en niveau vis-à-vis des pays de l’OCDE. Le taux de pauvreté relatif a augmenté, contrairement aux pays de l’OCDE.

2) Le revenu disponible brut ajusté des ménages par personne, indicateur de pouvoir d’achat, a moins progressé entre 2010 et 2015 dans les pays ayant connu une crise de dette souveraine.

Du côté positif, on notera que :

  • La notation de l’Espagne s’est améliorée : les notations des agences S&P et Moody’s ont été relevées d’un plancher à BBB-/Baa3 courant 2012 et s’établissent début 2025 à A/Baa1 ;
  • Le taux souverain 10 ans, au-dessus de 6 % mi-2012, s’est réduit à 3 % début 2025, la prime de risque face au Bund allemand se réduisant de 475 pb mi-2012 à 66 pb début 2025 ;
  • Le taux de chômage a diminué ;
  • Le solde courant est devenu excédentaire.

 

Concernant des indicateurs extra financiers, l’indice de développement humain, calculé par le Programme des Nations Unies pour le développement qui calcule, en prenant en compte l’espérance de vie, les niveaux d'éducation et de revenus, la qualité de vie, s’est tout de même amélioré entre 2010 et 2022 ; l’Espagne a perdu toutefois 7 places (elle a un score égal à la France en 2022, qui a reculé de 14 places depuis 2010 pour se situer au 28e rang des pays dans le monde, l’Allemagne gagnant 1 place, au rang 9).

Conclusion

L’histoire montre que la stratégie de redressement des finances publiques est donc plurielle : elle passe autant par les questions budgétaires (dépenses voire impôts) que par la recherche de compétitivité. Pour qu’une telle stratégie soit créatrice de valeur et bénéficie à la zone euro (gain de parts de marché vis-à-vis de ses grands concurrents), il convient toutefois que les pays européens ne viennent pas à se disputer les parts de marché des débouchés européens au bénéfice du moins disant social : une articulation européenne est nécessaire. Ainsi, pour éviter ces stratégies non coopératives et ne pas passer par une dévaluation interne aux effets économiques/budgétaires à moyen terme certes positifs mais aux coûts sociaux importants, il est impératif d’associer aux efforts sur la compétitivité coût (l’énergie qui est le sujet européen à adresser, avec une recherche de souveraineté nécessaire), un volet sur les stratégies hors coût : recherche de productivité par la formation des travailleurs, soutien à l’innovation, un marché du travail plus profond avec une hausse du taux de participation, une attractivité du territoire forte via des infrastructures performantes (réseau de transport, immobilier, numérique…), un financement optimal (« Union de l’épargne et de l’investissement » – cf. détails sur le site de la Banque de France, fléchage de l’épargne, règles prudentielles appropriées pour l'investissement de long terme). L’investissement privé et public doivent donc être préservés afin de maximiser les futurs gains de compétitivité porteurs pour le dénominateur du ratio Dette/PIB.