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Crédit ©Marc / AdobeStock
Jusqu'à récemment, nos bâtiments abritaient de nombreuses espèces animales grâce aux anfractuosités présentes dans les façades et les toitures. Mais aujourd'hui, les bâtiments modernes ont supprimé ces opportunités, et les rénovations thermiques condamnent ces espaces entraînant une perte d'habitat et une réduction de la biodiversité en milieu urbain. Quelles solutions pour y remédier ? Éclairage avec Matthieu Suc.
Aujourd’hui, nous assistons à un effondrement de la biodiversité, que cela soit en France, en Europe ou partout dans le monde. En moins de 30 ans, environ 80 % de la population d’insectes a disparu tout comme 30 % de la population d’oiseaux. Pour beaucoup, ces disparitions passent inaperçues, car les oiseaux et les chauves-souris continuent de circuler dans nos espaces urbains. Cependant, une observation plus attentive montre qu’en réalité, ces populations sont bien moins nombreuses qu’on ne le croit. Un exemple frappant de cette évolution se trouve dans nos expériences quotidiennes. 10 ans en arrière, lorsque l’on roulait de nuit, les pare-brise étaient systématiquement couverts d'insectes. Aujourd’hui, ce phénomène a disparu. Les insectes sont pourtant une partie essentielle de la chaîne alimentaire qui soutient l’ensemble des écosystèmes.
L’effondrement de la biodiversité est une conséquence directe de l’activité humaine. Ce phénomène est exacerbé par l’étalement urbain et l’agriculture intensive qui contribuent à l’artificialisation des sols et à la destruction des habitats naturels. Paradoxalement, les constructions humaines, notamment les bâtiments, les ponts et les viaducs, sont devenus des refuges pour des espèces qui, pour certaines, sont devenus dépendantes de ces structures. Les bâtiments anciens, construits en pierres, les bardages endommagés, des combles accessibles ou encore les avancées de toiture sont des espaces favorables à la nidification d’oiseaux et au repos de chauves-souris. Malheureusement, dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, et pour faire face à l’augmentation du coût de l’énergie, des rénovations thermiques sont nécessaires sur les bâtiments les plus énergivores. La rénovation thermique se fait, le plus souvent, par l’extérieur en appliquant des panneaux isolants directement sur la façade. Cette enveloppe va alors condamner les accès aux cavités du bâtiment entrainant la destruction de ces espaces d’accueil.
La démarche Landboost vise à concevoir des solutions techniques permettant de favoriser l’accueil de certaines espèces dans le tissu urbain, en particulier à travers les rénovations thermiques des bâtiments. L’objectif est d’encourager les acteurs de la rénovation à prendre en compte les enjeux concernant la biodiversité.
Dans le cadre de ce projet, l’objectif n’est pas de créer des refuges pour toutes les espèces, mais bien de cibler celles qui peuvent se développer dans des milieux urbains. Certaines espèces d’oiseaux et de chauves-souris, par exemple, se sont particulièrement adaptées à ces environnements artificiels. Le Martinet noir, autrefois nichant sur les falaises, niche aujourd’hui presque exclusivement sur nos bâtiments. Si ce besoin n’est pas pris en compte durant les travaux de rénovation, les espaces qu’ils occupaient pour pondre et élever leurs petits disparaissent.
Landboost vise à conserver les habitats de ces espèces en créant des aménagements adaptés à leurs besoins et aux contraintes techniques et esthétiques des bâtiments. Les aménagements conçus sont sélectifs, et permettent de favoriser uniquement certaines espèces, choisis notamment pour leurs traits comportementaux. En aucun cas ces aménagements ne permettront à des espèces dont le comportement cause des dégradations, comme le pigeon ou l’étourneau par exemple, de s’installer sur le bâtiment.
Les aménagements réalisés sont conçus pour offrir un refuge aux espèces les plus vulnérables, tout en limitant l’impact sur l’usage urbain. Cette approche sélective vise à concilier développement urbain et préservation de la biodiversité en ville, contribuant ainsi à un avenir plus durable pour nos écosystèmes.
Mais comment ça marche ? La première étape consiste à réaliser un diagnostic écologique. Cette mission peut être simple, et se concentrer uniquement sur les espèces anthropophiles, qui sont susceptibles de s’abriter sur le bâtiment ; ou plus complexe, si le projet le nécessite, en élargissant les observations à d’autres espèces animales ou végétales. Afin de préserver ces espèces et leur habitat, l’intervention d’un écologue, dès la phase de conception, peut permettre d’identifier les enjeux et d’anticiper les actions à mettre en place pour préserver les habitats et le cycle biologique des espèces.
Lors de sa visite, l’écologue pourra identifier les espaces susceptibles d’être favorables à l’accueil d’oiseaux ou de chauves-souris. Lorsque les espèces sont présentes, l’identification de ces espaces pourra se faire directement au sol en étudiant les allées et venues lors de périodes clé comme la nidification pour les oiseaux, ou en début de soirée en période estivale pour les chauves-souris. En revanche, en dehors de ces périodes, les cavités ne sont pas utilisées, il conviendra donc de les ausculter avec une caméra endoscopique pour rechercher des traces d’éventuelles présences comme des déjections ou des matériaux servant à la construction de nids.
A noter qu’aujourd’hui, la destruction d’espèces protégées ou de leur habitat est passible d’une peine allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amendes. La visite préalable d’un écologue permet donc d’éviter ce risque mais également, un éventuel arrêt de chantier en cas de découverte tardive d’espèce(s) protégée(s) s’abritant sur le bâtiment.
Les solutions les plus connues et les plus utilisées sont les nichoirs installés en applique. En bois ou en béton de bois, ils sont simples à mettre en place, et permettent d’offrir un abri rapidement à faible coût.
Aujourd’hui, il est possible, d’aller plus loin, en intégrant ce type de cavité directement dans les structures ou l’enveloppe des bâtiments. Cette solution offre plusieurs avantages en termes d’attractivité pour les espèces mais également d’exploitation pour la maitrîse d’ouvrage.
En effet, intégrés dans les façades, ces aménagements peuvent être discrets, voire invisibles. Les chauves-souris ont, par exemple, besoin d’une ouverture d’environ 2 cm pour accéder à un espace leur permettant de s’abriter. Ces aménagements peuvent donc s’intégrer harmonieusement sur les façades et préserver l’identité architecturale des bâtiments. Ces solutions permettent notamment de préserver les habitats sur les bâtiments patrimoniaux, soumis aux Architectes des Bâtiments de France (ABF).
Protégés dans l’enveloppe du bâtiment, ces aménagements ne sont pas soumis aux intempéries et aux UV. Leur durabilité est a minima équivalente à celle de la façade elle-même, ce qui garantit une capacité d’accueil sur le long terme. Ces aménagements peuvent donc être installés, puis laissés à disposition des espèces qui vont les investir et les entretenir. Aucune action n’est donc à prévoir en phase d’exploitation du bâtiment.
Intégrés dans la façade, ces aménagements sont aussi moins exposés aux vents et profitent de l’inertie thermique du bâtiment. Les variations de températures sont donc plus faibles dans la cavité. Les espèces qui l’occupent ont donc probablement moins de difficulté à réguler la température, notamment durant la période de couvaison, rendant ces aménagements plus attractifs.
Les connaissances fines des espèces susceptibles d’occuper les bâtiments permettent aujourd’hui de créer des aménagements parfaitement adaptés aux besoins de chaque espèce. Le trou d’entrée, le volume de la cavité, sa position sur le bâtiment, l’environnement à proximité, chacun de ces paramètres permet de favoriser ou non une espèce. Il est ainsi possible d’accueillir la biodiversité sur le bâtiment, sans s’inquiéter d’une potentielle colonisation d’espèces indésirables susceptibles d’occasionner des dérangements ou des dégradations.
Le défi de la préservation de la biodiversité est vaste et complexe et ne se limite pas à l’accueil de la faune sauvage sur les bâtiments. En effet, des réflexions sur la désartificialisation, la végétalisation ou encore sur la gestion des espaces verts et l’éclairage urbain doivent aussi être menées pour permettre aux espèces de se nourrir et de se déplacer dans nos villes.
Les initiatives comme Landboost montrent néanmoins qu’il est possible de mettre en place, sur tout projet de rénovation ou de construction, des actions simples et peu coûteuses qui peuvent permettre de favoriser l’accueil de nombreuses espèces protégées. L’intégration de ce type d’aménagement dans les bâtiments contribue à la préservation des espèces tout en offrant de nombreux avantages. Cette démarche contribue à l’amélioration du cadre de vie en créant des espaces urbains plus agréables et plus durables tout en valorisant le patrimoine en y intégrant des solutions respectueuses de l'architecture existante. À travers ses actions, Landboost démontre qu’il est possible de concilier renouvellement urbain et préservation de la biodiversité.
La Banque des Territoires soutient la démarche Landboost depuis 2020.